Les dessous d’Elsa et de Sarah
photographie henriette h

Les dessous d’Elsa et de Sarah

Les dessous d’Elsa et de Sarah

Vous avez sans doute déjà entendu parler de la collaboration entre Sarah Stagliano, la créatrice de la marque Atelier Henriette H et Elsa Wolinski. Depuis la fin du mois d’août, ces deux filles colonisent les médias avec leur collection de culottes. Elles sont partout, dans la presse féminine, à la télé, sur les réseaux sociaux et sur les blogs. Je m’en réjouis car ces deux personnes sont mes amies. Pourtant, je n’aurais jamais imaginé qu’elles puissent travailler ensemble tant je croyais leurs univers différents. Journaliste pour le magazine Point de Vue, Elsa Wolinski pourrait se faire tatouer la mention « attention fragile » sur le cœur. Elle parle d’elle comme d’un éléphant dans une boutique de porcelaine. Moi, je la vois plutôt comme une faïence délicate, débordant de larmes de joie et de chagrin. Et ça ne date pas de la mort de son père, Georges Wolinski, assassiné dans les locaux de Charlie Hebdo en janvier 2015. Quant à Sarah, la fondatrice d’Atelier Henriette H, dont je vous ai déjà parlée ici et là, c’est une créature envoutante qui adore faire le pitre comme une gosse de quatre ans sur une balançoire, parler cul quand on s’y attend le moins et réfléchir au moyen de surprendre ceux qu’elle aime. Ensemble, elles viennent de lancer une collection de trois culottes brodées. A l’avant, on retrouve les mots manuscrits par Sarah : amoureuse, délurée, intrépide. Sur les fesses, une broderie représentant un dessin original de Wolinski. Une histoire dingue qui a démarré plusieurs mois avant la mort du dessinateur. Une histoire que j’avais envie qu’elles vous racontent toutes les deux, avec leurs mots et à leur rythme, sans retouche ni montage…

Photographie Lili Barbery-Coulon. Elsa Wolinski et Sarah Stagliano

Alors ça y est, elles sont en vente ces culottes dont vous me parlez depuis des mois ! Elsa, tu peux m’expliquer comment tout ça a commencé ?
Elsa Wolinski : Les mois qui ont précédé le 7 janvier 2015, mon père était assez déprimé. Il ne comprenait plus notre société, notre époque. Il avait alors 82 ans, il était malheureux de vieillir et souffrait beaucoup de la montée du racisme. Il venait de se faire brusquement virer du Journal du Dimanche, cet endroit où il avait passé 37 ans et où il avait rencontré sa femme. Donc, c’était une période chargée… Parallèlement, on passait beaucoup de moments ensemble. Il avait écrit un livre sur moi qui s’appelle J’Hallucine (sorti en 1991) et il voulait à nouveau collaborer avec moi. Mais je n’étais pas certaine que ce soit une bonne idée.

Il faut dire que tu n’as jamais été à l’aise avec la célébrité de tes parents…
Elsa Wolinski : Non je n’ai jamais été à l’aise avec ça. En même temps, j’aimais beaucoup l’homme qu’il était devenu. J’aimais bien sa mélancolie. Ses dessins ne racontaient pas toujours ce qu’il était. Moi je lui avais proposé de raconter la réalité de l’homme qu’il était, un monsieur qui vieillit, qui se pose plein de questions, qui a peur de l’avenir, qui a peur de la mort, qui adore les femmes d’aujourd’hui… Je lui répétais « Dis ça, raconte-le. C’est intéressant de savoir que tu as des doutes. » Mais lui ne voulait pas. En tous cas, j’avais envie de passer du temps avec lui, de rire avec lui. Peut-être que je sentais aussi qu’il vieillissait. Il m’a proposé d’écrire un livre avec lui. Pour moi, c’était impossible car j’ai peur des mots et c’est une galère pour moi d’écrire. Et puis, en 2014, lors d’un voyage de presse à l’autre bout du monde avec des jeunes femmes journalistes, je parlais avec elles du fait que mon père était malheureux et j’étais très surprise de voir qu’elles connaissaient toutes ses dessins, son humour… Elles avaient de la tendresse pour cet homme qui avait pourtant une réputation de « machiste », de « misogyne », de « phallocrate ». Gaëlle Perrin, l’attachée de presse qui nous accompagnait m’a alors dit : « Elsa, tu as fait le Studio Berçot, t’adores la mode, pourquoi tu ferais pas, je sais pas moi, des culottes ? ». J’ai instantanément adoré cette idée. J’en ai parlé à mon père à mon retour et il était aussi enthousiaste que moi. L’idée que les filles puissent porter un dessin de lui sur leurs fesses l’amusait énormément. Alors on a beaucoup travaillé ensemble. Il avait des problèmes de santé et s’emmêlait un peu les pinceaux entre ses dessins pornographiques pour mes culottes et ses radios de prostate, ce qui me faisait hurler « Nan mais Papa, on peut pas tout partager avec sa fille ! ». Et puis, ça n’a jamais été simple pour moi d’avoir un père qui passait son temps à dessiner des mecs qui sautent des filles… Ce projet m’a en tous cas offert la chance de passer un temps fou avec lui avant qu’il meure. Et je crois que le deuil aurait été très différent sans cette période.

Photographie Lili Barbery-Coulon, les culottes Henriette x Wolinskiki en train d’être brodées

Du coup, tu as fouillé dans ses archives ?
Elsa Wolinski : Oui et j’ai trouvé un dessin de 1951 qui me plaisait beaucoup. Le 6 janvier 2015 à 18h, on s’est mis d’accord sur trois dessins devant ma mère. Le soir-même j’avais rendez-vous Place de la République avec une amie qui crée des jeux pour enfants afin de discuter de la manière dont je pourrais mettre au monde cette aventure. J’ai sorti les dessins Place de la République pour les lui montrer. Je n’avais pas idée que quelques jours plus tard, cette place allait devenir un emblème. Je ne pouvais pas imaginer que le lendemain à 11h, il allait mourir dans de telles conditions.

Tu vas ensuite passer plusieurs mois à trouver comment réaliser ces culottes. A quel moment est-ce que tu rencontres Sarah ?
Elsa Wolinski : Quelques semaines après la mort de mon père, je me suis cassée le coccyx. J’étais en jogging chez moi, le dos bloqué, avec déjà une dizaine de kilos pris depuis la mort de mon père, je feuilletais la presse et je suis tombée sur la photo d’une fille en culotte brodée du mot « amoureuse ». Aussitôt, je publie cette photo sur Instagram, sans savoir qu’il s’agit d’une création de Sarah pour Atelier Henriette H.
Sarah Stagliano : Moi j’ai vu cette photo sur Instagram et du coup je t’ai envoyé un message privé avec une photo d’une culotte sur laquelle j’avais brodé Georges et que je voulais t’offrir parce que j’étais tellement émue que tu aimes mon travail. Du coup, Elsa m’a appelée pour me demander de collaborer avec elle. Elle venait de perdre son papa et moi, de mon côté je venais de donner naissance à mon deuxième enfant, un petit garçon qui s’appelle Georges, lui aussi.

Mais c’est un hasard ou un hommage ce prénom ?
Sarah : Non, non, c’est un hasard, mon fils est né avant les événements de janvier 2015 !
Elsa : C’est un hasard bien sûr mais moi j’y ai vu un signe. Je voulais absolument faire ce projet avec elle.

Photographie Lili Barbery-Coulon. Après l’étape broderie, les culottes sont lavées à la main pour retirer le papier hydrosoluble sous la broderie

De ton côté Sarah, en dehors de l’arrivée de ce deuxième enfant, tu avais une vie bien remplie au moment où Elsa est entrée en contact avec toi ?
Sarah : Oui, j’ai du m’arrêter pour m’occuper de mon bébé et de ma fille aînée. Et puis, je préparais aussi l’ouverture d’un pop-up store. J’avais d’autres projets de collaboration en cours… Les idées d’Elsa me plaisaient mais il me semblait qu’il fallait laisser passer du temps. C’était trop tôt, l’émotion était encore à chaud.

Justement, est-ce que vous n’aviez pas peur qu’on vous reproche de faire du commerce sur le dos des événements ? 
Sarah : Bien sûr que ça me faisait peur. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles je voulais qu’on attende. Laisser passer du temps pour qu’Elsa puisse faire son deuil. L’idée n’était pas de rendre hommage à Wolinski mais de tenir une promesse qu’elle avait faite à son père avant sa mort. Si ça avait été trop rapide, les gens auraient projeté sur cet objet l’ombre du deuil alors qu’on avait au contraire toutes les deux envie que ces culottes restent joyeuses.
Elsa : Quand on est « enfant de », on est très habitué à ce genre de critiques. Quoi que je fasse, on me reproche toujours le fait d’être la fille de mon père. Je suis contente que tu me poses cette question parce que ça me permet d’affirmer ici que nous ne voulions pas surfer sur une émotion personnelle ou collective. On a essayé de le faire le plus humblement possible. Je ne voulais pas que ces culottes inondent tous les rayons. On voulait rester à une petite échelle. Une échelle humaine.

Photographie Lili Barbery-Coulon. Une culotte lavée en train de sécher avant le repassage

Mais est-ce qu’il n’y avait pas une contradiction entre les idées de ton père, très à gauche, son engagement à la fête de l’Humanité et la création d’une petite culotte de luxe ?
Elsa : Si, bien sûr. On s’est posé beaucoup de questions à ce sujet. Je voulais que la culotte soit bon marché. En même temps, je voulais aussi un produit de qualité, fabriqué dans de bonnes conditions et surtout pas par des enfants. Sarah m’a assuré que c’était le cas et que les culottes étaient ensuite brodées en France. Je n’aurais jamais pu mettre un dessin de mon père sur un sous-vêtement fabriqué dans des conditions indignes. Maintenant, je me suis beaucoup bagarrée à ce sujet parce que je répétais à Sarah que je voulais que n’importe qui puisse se l’offrir, la dame qui travaille à la poste, la maîtresse de nos enfants à l’école et pas seulement les modeuses qui ont le privilège d’aller dans des boutiques de luxe. Je nous imaginais vendant nos culottes à la fête de l’huma…
Sarah : C’est un projet qu’on a toujours… mais ma réalité aujourd’hui c’est que je suis minuscule. C’est même pas de l’artisanat à ce stade, on pourrait presque inscrire sur l’étiquette « fait à la maison ». En fait, c’est un produit de luxe parce qu’il nous faut deux heures pour faire chaque culotte. Entre le moment où on la brode, puis où on la corrige (car la machine n’est jamais aussi précise que la main), on la lave, on la repasse, on coud les étiquettes à la main, on la place dans un pochon, il nous faut quasiment deux heures. Le projet, ce n’était pas de nous faire de l’argent car de toutes façons, ça paraît assez improbable avec un modèle économique pareil. Mais il ne fallait pas non plus qu’on en perde. Après, si le succès de cette première série collector est au rendez-vous, on envisagera peut-être de faire évoluer la production afin de faire baisser les coûts et donc le prix.

Parce que le plus fou dans cette histoire, c’est qu’une semaine après les avoir lancé chez Colette, elles étaient déjà en rupture de stock !
Sarah : Oui, c’est dingue ! C’est à dire que moi j’ai vendu en une journée ce que je pensais vendre en cinq mois.

Et du coup, vous avez choisi deux associations auxquelles vous reversez une partie de vos bénéfices, Elsa, tu peux m’en parler ?
Elsa : Oui, c’était une évidence et quand j’en ai parlé à Sarah, elle a immédiatement adhéré à l’idée. D’abord, le Planning Familial parce que j’ai eu besoin de leur aide dans ma vie de femme.
Sarah : Moi aussi.
Elsa : Ils fêtent leurs 60 ans cette année et ils ont de moins en moins d’argent pour travailler. Par ailleurs, on remarque une vraie remise en question des droits fondamentaux des femmes donc ça me semblait évident. Et puis, l’association Ninoo pour les enfants atteints d’autisme parce que je suis leur ambassadrice… parce que la directrice de cette association m’a beaucoup soutenue après la mort de mon père, comme toi, comme Sophie Trem. Parce que ça me paraissait essentiel. Mais je voudrais aussi dire que cette histoire de culotte, c’est surtout une rencontre avec Sarah. Parce que j’ai mes failles, j’ai mes fantômes, j’ai mes doutes…

Je crois qu’on peut informer les lecteurs que vous êtes toutes les deux complètement cinglées (rires)
Elsa : Ouais, on est cinglé (rires)! Moi je suis hyper pudique, elle, elle parle de cul du matin jusqu’au soir. On est complètement bordélique. On se retrouve face à un joli succès et on se dit « han mais comment on va faire ? »
Sarah : En vrai, si Elsa n’avait pas été comme elle est, je n’y serais pas allée. J’avais peur que notre projet soit mal interprété. Je me posais plein de questions sur mon activité, s’il fallait que j’entame une énième collaboration, si je devais me remettre à l’écriture, si je devais faire grandir ma boite, ou bien carrément cesser de faire des culottes pour me mettre à autre chose, laisser Elsa la faire avec quelqu’un qui puisse lui permettre d’en faire un produit plus abordable… Donc, j’ai beaucoup résisté. Je lui disais « Je veux bien t’aider mais je ne les ferai pas avec toi ». Et puis, je suis tombée amoureuse d’Elsa. J’ai envie de la voir du matin au soir, j’ai envie de la faire rire. Et du coup c’est devenu cohérent.

C’est vrai que lorsque je les vois aujourd’hui, l’association de vos deux univers me paraît évidente
Sarah : Oui, c’est fou.
Elsa : On a réussi, je crois, à faire un objet rempli d’amour, de rire et d’impertinence. Je voulais un manifeste d’optimisme dans un contexte ultra pessimiste. Il fallait que ça reste drôle parce que j’ai reçu l’humour en héritage. Et quand je vois des clientes poster des photos de leurs culs avec nos culottes sur les réseaux sociaux, ça me réjouit !

Photographie Lili Barbery-Coulon. Ah, ces deux-là… je peux vous dire qu’on ne s’ennuie pas avec ce duo!

Les culottes Henriette x Wolinskiki sont disponibles sur commande sur le site internet d’Atelier Henriette H ou chez Colette, 65€ la culotte