La manufacture royale de Lectoure
Photographie Lili Barbery-Coulon

La manufacture royale de Lectoure

La manufacture royale de Lectoure

Aujourd’hui, je vous embarque dans le Gers, dans une ancienne tannerie royale du XVIIIe siècle devenue maison d’hôtes grâce à l’énergie incroyable de ses propriétaires… Bienvenue à la Manufacture royale de Lectoure.

En haut: photographie d’un bureau par Lili Barbery-Coulon. Ci-dessus, photographie de Christèle Ageorges par Claire Faya et photographie à droite par Lili Barbery-Coulon

Lorsqu’elle traverse le grand salon vert, elle semble ne pas frôler le béton qui nappe les sols. Christèle Ageorges se déplace avec la discrétion d’un murmure. L’élégante Manufacture royale de Lectoure lui sied comme un vêtement de toujours. Pourtant, quand elle l’a découverte en 2017, l’ex journaliste experte en décoration n’a pas été foudroyée par le charme de ce monument classé historique. Il faut dire que l’ancienne tannerie du village gersois était alors un Ehpad abandonné depuis trente ans. Les volumes extérieurs avaient beau être somptueux, les petites pièces délabrées dotées de sanitaires déprimants rendaient l’imagination peu fertile. C’est Hubert Delance, le mari de Christèle, visiblement doué en géométrie de l’espace, qui a fini par la convaincre du caractère unique de cette demeure. À l’époque, le couple est de passage dans le Gers sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle. Amoureux de marche et de plein air, ils cherchent un refuge à la campagne. Une maison à décorer du sol au plafond. Christèle Ageorges a l’intuition qu’il est temps de changer de vie professionnelle mais son projet n’est pas encore défini. Appelé par cette maison découverte grâce à une annonce immobilière, le couple se décide et se lance dans une rénovation d’envergure. Il n’est alors plus question de résidence secondaire : la Manufacture devient alors leur nouveau livre de vie.

Photographies Lili Barbery-Coulon. En haut, l’une des chambres d’hôtes, en bas, le salon et son canapé osaka de Paulin ainsi qu’un aperçu de la Manufacture

DES VOLUMES QUI OUVRENT LA CAGE THORACIQUE

Aidés par l’architecte François Muracciole pour le dessin des plans au départ, Christèle et Hubert vont ensuite passer plus de quatre ans à offrir un souffle nouveau au bâtiment signé Pierre Racine au XVIIIe siècle. Des talents incroyables viennent les soutenir dans cette aventure: Quentin Benoit de la société Artpege qui réalise la maçonnerie exceptionnelle, Esposito le charpentier, Florent Grisot le menuisier, Euseda qui s’est occupé des fenêtres, Lochard et Lucas pour la ferronerie et Maelyss Lemaire qui a posé les peintures à la chaux. Car c’est bien d’oxygène dont la vieille tannerie asphyxiée a besoin. Les pièces étriquées disparaissent au profit de grandes salles où l’énergie circule à nouveau. Lorsqu’on séjourne à la Manufacture Royale de Lectoure, les espaces sont si vastes qu’ils ont un effet sur la manière dont on se tient, sur la façon dont on respire. Ainsi, les volumes libèrent aussi la cage thoracique. Près de la cuisine bois de rose équipée par Gaggenau qui est désormais devenue la pièce à vivre où Christelle et sa petite équipe travaillent toute la journée, on trouve la salle poudrée majestueuse de 90 mètres carré où j’ai eu la chance d’organiser mes cours de yoga pendant toute ma retraite d’avril 2023. Pensée pour accueillir des diners inoubliables, des célébrations particulières ou des séminaires, cette salle de bal laisse deviner le futur bassin qui sera mis en eau cet été dans un genre de jardin d’hiver. Clin d’œil à la tradition thermale du village de Lectoure qui dispose de thermes à quelques minutes de l’ancienne tannerie, cette pièce d’eau immaculée est baignée de lumière. Au centre du bâtiment principal, une entrée dessert le salon vert à gauche, la salle rose à droite et mène vers le deuxième jardin et cette porte triomphante au fond qui m’a fascinée pendant tout mon séjour sur place. Dans les grands salons où les hôtes peuvent profiter d’un feu de cheminée et de différents canapés irrésistibles, on a envie de tout photographier. Aucun détail n’a été laissé au hasard, tout est beau, rare et raffiné. Des petits bougeoirs en bois de Maison Pechavy posés sur les tables de la salle du petit-déjeuner au canapé Osaka de Pierre Paulin, en passant par les tapisseries de Pierre Frey, le parquet brûlé au sol qui tutoie le béton moderne dans la pièce accolée… partout où l’on pose son regard, on se sent nourri du goût sans faille de Christèle Ageorges.

Photographie de moi en haut par Cécile Hirigoyen. En bas photographies Lili Barbery-Coulon

ÉLOGE DE L’OMBRE ET DE LA COULEUR

Dans le corps central de la maison, cinq chambres d’hôtes gigantesques attendent les visiteurs en quête de repos. J’écris « gigantesque » en mesurant l’adjectif. Le couple aurait pu choisir de diviser les chambres pour accueillir plus de clients. Ils ont préféré offrir de l’espace à tous ceux qui manquent habituellement d’horizon. Et c’est là qu’intervient l’actrice principale du lieu : la couleur. Christèle a développé avec la marque Mercadier un nuancier de chaux naturelles absolument exclusives : vert doux rafraichissant, rose minéral, vert grisé apaisant, rose terreux, jaune vieilli, bleu nuit, terre d’ombre… Il fallait oser envelopper les murs de ces teintes et faire parfois l’éloge de l’ombre pour mettre les rayons en lumière. Dans la cuisine dédiée à la confection du petit-déjeuner des invités, on se croirait dans une peinture hollandaise. Le moindre ingrédient posé sur la table ressemble alors à un trésor. Idem dans chaque pièce de la maison principale dont les murs en chaux sont presque tous nus : la matité des teintes embellit chaque objet. Qu’il fasse beau ou mauvais dehors, on s’émerveille à regarder les rayons percer à travers les rideaux en voile de coton et éclairer un fauteuil en paille tressée de chez Midi.

Photographies Lili Barbery-Coulon

BATHROOM PORN

Adolescente, j’avais une amie qui vivait dans une petite maison à Vanves. La salle de bain familiale à l’étage disposait d’une fenêtre qui donnait sur le jardin. Cette pièce me faisait totalement fantasmer. Chez mon amie Thérèse rue Saint Jacques à Paris, il y avait aussi une salle de bain avec une fenêtre sur cour qui me plaisait beaucoup. J’ai le souvenir d’une lampe avec un abat-jour qui créait une atmosphère feutrée dans cette pièce d’ablutions. Lorsqu’on a rénové notre appartement en 2015, j’ai su que ma pièce préférée serait notre salle de bain rose. Encore aujourd’hui, lorsque je prends un bain en regardant la lumière jouer avec le voilage en lin, j’ai l’impression d’être Elizabeth Taylor dans Cléopâtre. À la Manufacture Royale de Lectoure, les salles de bains ne sont pas traitées différemment des salons ou des chambres. Contrairement à la plupart des hôtels, même luxueux, qui compartiment la décoration des pièces de toilette en misant principalement sur des matériaux hygiénistes (carrelage ou marbre) plutôt que sur la cohérence visuelle entre l’espace dédié au sommeil et celui de la douche, la Manufacture Royale de Lectoure a fait des salles de bain un élément central de son langage. Elles sont spectaculaires car elles sont toutes immenses. Elles sont inoubliables parce qu’elles déclinent elles-aussi les teintes de chaux exclusives de la maison Mercadier. Elles sont lumineuses car elles disposent toutes de fenêtres ou de puits de lumière. Elles sont fascinantes parce qu’en plaçant la douche ou la baignoire en plein cœur de la pièce, elles font de la toilette quotidienne une parenthèse méditative à prendre très au sérieux. Et puis, là encore, il y a tous ces détails précieux comme le linge de bain signé Bonsoirs, le gel douche maison aux agrumes, le parfum pour les toilettes de Domaine Singulier

Photographies des salles de bain par Lili Barbery-Coulon. Le duo de photos ci-dessus a été prise dans la “maison à louer”

UNE MAISON À LOUER AU CŒUR DE LA MANUFACTURE

Parallèlement aux cinq chambres d’hôtes, la Manufacture dispose aussi d’une maison de vacances qui peut être entièrement privatisée. On rejoint son entrée par l’aile gauche en traversant le second jardin qui fait face à la porte en arc de triomphe. Au rez-de-chaussée un vaste salon s’ouvre sur une cheminée, une salle à manger pour douze personnes et une grande cuisine aménagée. Cinq chambres doubles ainsi qu’un grand dortoir sont répartis sur les deux étages au-dessus. Chaque pièce dispose de sa propre salle de bain et de ses toilettes. Le style est tout fait différent de la maison principale et pourtant on reconnait le goût de Christèle dans le choix des papiers peints d’Antoinette Poisson, de certaines têtes de lit signées Elitis et à sa façon si naturelle de marier des lampes modernes en métal mat coloré avec du linge de lit plus sage. Les grands lits doubles peuvent être séparés en lits jumeaux, ce que j’ai choisi pour le partage des chambres au cours de ma retraite. Regardez la robinetterie apparente dans les salles de bain, je trouve que c’est une super idée à décliner lorsqu’on fait des travaux !

Photographies Lili Barbery-Coulon: les images ci-dessus ont toutes été prises dans la “maison à louer”

LE GîTE DES PÈLERINS

Christèle et Hubert avaient aussi envie de pouvoir recevoir les pèlerins du Chemin de Saint Jacques de Compostelle. Ces marcheurs qui partent d’Auvergne en direction de l’Espagne sont facilement identifiables sur le chemin. Ils sont équipés, armés de capes imperméables qui recouvrent leur gros sac à dos. Certains ont une coquille accrochée à leur sac. À l’entrée de la cathédrale de Lectoure, un homme attend derrière un petit bureau, un tampon à la main. Ainsi les pèlerins de passage viennent faire marquer leur passage, sur le poignet ou dans un carnet. Ceux qui se rendront à la Manufacture pourront profiter d’un lit à 40 euros la nuit au sein du “gîte pèlerins” dans un dortoir divisés en quatre cellules d’une grande élégance. Les lits simples sont tous séparés par des draps blancs et les plafonds en arc comme les boiseries en soubassements donnent l’impression d’être installé dans une ancienne abbaye. La couleur fait ici place au blanc monacal. Un blanc qui n’est pas immaculé mais qui laisse au contraire apparaitre quelques ombres et donne ainsi du relief à l’ensemble. En prime, un coin cuisine permettra aux randonneurs pressés de se préparer un frichti tandis que les plus fatigués préfèreront peut-être profiter du petit-déjeuner délicieux de Christèle Ageorges…

Photographie Lili Barbery-Coulon

MON IDÉE DU LUXE

Vous l’aurez compris, j’ai adoré la Manufacture Royale de Lectoure. Un coup de cœur à hauteur de celui ressenti la première fois que j’ai découvert la Ferme du Vent à Cancale, la Trasierra en Andalousie, le couvent de Pozzo en Corse ou encore les studios Kavos à Sifnos (voir les liens vers les articles dédiés un peu plus bas). Or, qu’est-ce qui relie ces lieux ? Une vision personnelle et authentique de l’hospitalité. On se sent reçu comme si on arrivait chez quelqu’un et non pas dans un lieu impersonnel qui déclinerait les mêmes codes architecturaux qu’à Bali, Seoul et Londres. La magie vient de l’histoire du lieu, de son enracinement dans la région où il est implanté, de son respect des artisans locaux qui ont œuvré à le rénover, des fleurs sur les tables qui récitent la poésie intime de l’hôte. Je suis toujours curieuse du petit-déjeuner car il dit aussi beaucoup sur le savoir-vivre de la maison où l’on est. Le premier matin, alors que mes élèves n’étaient pas encore arrivées, j’ai vu le soin que Christèle mettait dans la préparation de mon petit-déjeuner. Les œufs à la coque, pondus la veille, viennent d’une ferme du coin, les yaourts au lait de brebis sont faits maison par Christèle, tout comme sa compote sans sucre ajouté. Le pain au levain a été préparé le matin même par l’artisan boulanger de Lectoure, le fromage gersois a été acheté au marché du vendredi et les fraises sont évidemment de saison. Même la théière en céramique est locale et signée Aurélie Champfailly. Est-ce que ce n’est pas cela le luxe véritable ? Savoir d’où chaque produit est issu, se régaler de simplicité, découvrir les trésors d’une région, ceux qui ont le goût véritable du beau et du bon…

Photographie Lili Barbery-Coulon. La salle du petit-déjeuner

TARIFS ET INFORMATIONS PRATIQUES

Manufacture Royale de Lectoure, 19 rue Claude Ydron, Lectoure, Tel: 06 83 51 28 67. À partir de 40€ la nuit pour un lit dans le gîte des pèlerins, de 280 à 320€ la nuit dans l’une des 5 chambres doubles de la maison principale (lit d’appoint possible à 40€ la nuit en supplément pour un enfant). Maison à louer pour 15 personnes à la semaine, sur devis par email [email protected] . Réservations via le site internet de la Manufacture. Pour se rendre à la Manufacture : le TGV Paris-Agen prend seulement 3h puis on trouve des cars Agen-Lectoure ou des taxis sur réservations (environ 30-40 minutes en voiture de la gare d’Agen à la Manufacture de Lectoure). Le lieu se trouve à 1h20 de l’aéroport de Toulouse et à 1h45 de l’aéroport de Bordeaux. Ah oui et si vous vous demandez ce que vous pourriez bien faire pendant un weekend à Lectoure, allez faire un tour par ici.