Un été ivre de lecture
photographie Lili Barbery-Coulon

Un été ivre de lecture

Un été ivre de lecture

Cet été, j’ai dormi et j’ai lu. Je n’ai fait que ça. J’ai pris des notes sur mes lectures que je partage ci-dessous. Une revue chronologique de tout ce qui m’a nourrie et transformée. Des romans, des ouvrages de psychanalyste et de sociologue, des enquêtes sur les fondateurs du yoga moderne, des histoires qui réveillent…

La fille de Deauville de Vanessa Schneider (Éditions Grasset)

Grand Reporter au journal Le Monde et autrice d’une dizaine de livres, Vanessa Schneider est une amie proche. Ce n’était pas encore le cas lorsque j’ai découvert ses premiers romans autobiographiques : Tâche de ne pas devenir folle et La mère de ma mère. Ces livres ont été vraiment importants pour moi et je crois qu’ils ont beaucoup participé à la constitution de notre amitié. En 2018, elle a publié Tu t’appelais Maria Schneider où elle s’est à nouveau servie de sa mémoire pour tisser une matière littéraire. Avec La fille de Deauville, elle nous plonge dans un tout autre univers en nous racontant la trajectoire de Joëlle Aubron, l’une des quatre terroristes du groupe Action Directe qui a marqué les années 1980 par une série d’attentats en France. Je me souviens très bien de ces quatre visages en noir et blanc recherchés quand j’étais enfant. Vanessa qui a un talent particulier pour les portraits et que j’ai toujours vu s’intéresser aux parcours qui dérapent, choisit ici de focaliser son attention sur la bourgeoise de la bande. Elle imagine un flic traquant les quatre militants et nous planque avec lui dans sa voiture en plein hiver, espérant mettre une fin définitive aux attentats. Un roman policier qui prend source dans un terreau historique que Vanessa n’a pas manqué de labourer avec sérieux. Le livre n’est cependant pas une enquête journalistique mais bien une fiction avec deux atmosphères qui se juxtaposent, celle d’un flic usé par la solitude et la cavalcade d’une jeune femme que rien ne prédestinait au terrorisme. Tout au long de la lecture, on imagine très bien le film qui pourrait en jaillir.

Play boy (Stock), Love me tender (Flammarion) et Nom (Flammarion) de Constance Debré

Début juillet, j’étais en weekend pour une nouvelle formation à l’enseignement du yoga vinyasa. Mon corps était en plein effondrement. Il ne répondait plus à aucune de mes demandes. Même la posture la plus simple me collait à terre. Je suis partie me reposer au bord de la mer une semaine avec quelques bouquins. Dans ma valise, j’ai trouvé Play Boy de Constance Debré qu’une de mes amies venait de m’offrir. Ça parait fou mais je ne savais rien de l’autrice, en dehors du fait que toutes mes amies me recommandaient de lire ses romans. Sans doute parce que je ne me suis pratiquement intéressée qu’au yoga ces dernières années, que je lis peu la presse et ne regarde aucune émission littéraire. Et puis, j’ai tendance à être intimidée par les livres dont tout le monde parle et que je n’ai pas lus. Je n’entends plus, je m’extrais du buzz, je fuis la conversation sans bouger. Je ne connaissais même pas ses liens de parenté avec les hommes politiques de la lignée Debré. C’est vous dire dans quelle virginité je me trouvais lorsque j’ai entamé Play Boy. Ça ne faisait pas 10 pages que je lisais que toute ma colonne vertébrale s’est redressée. Des faits. Des lieux. Des impressions. Aucune volonté de séduire. Un rythme en rupture. Des chapitres ultra courts. Constance Debré raconte comment elle est devenue lesbienne après s’être séparé de son mari avec qui elle a eu un garçon. Elle dépouille les phrases au cutter comme elle quitte son métier d’avocate pénaliste. Et tous les masques qui l’aliénaient dans des rôles qu’elle pulvérise à la hache. Elle s’autorise tout. Dans sa vie comme sur le papier. On se sent grisé par la liberté qu’elle arrache comme une croûte sur un genou d’enfant. J’ai eu l’impression de sortir de ma léthargie avec une grande claque dans la figure. J’ai aussitôt enchainé avec Love me tender, son second roman. Le dépouillement se poursuit. Plus de thune. Plus d’appart mais une chambre de bonne. Plus d’objets personnels en dehors d’un jean, une montre et un sac pour aller à la piscine. Un procès d’une grande brutalité la prive de son fils. De quoi se constitue l’amour qui lie une mère à son enfant ? Est-ce qu’on peut cesser de l’aimer comme on quitte une conquête ? À la lecture des scènes au centre de médiation familiale, seul endroit où on l’autorise à voir son fils pendant cette période, j’avais l’impression qu’on me prenait le cœur et qu’on l’essorait jusqu’à la dernière goutte. J’ai évidemment voulu connaitre la suite en lisant Nom, le dernier livre de Constance Debré (sorti en 2022) qui marque une rupture avec les deux premiers puisqu’elle sort du rapport factuel et du rythme stylistique avec, parfois, des phrases de plusieurs pages. Les cheveux courts ont été rasés. Le corps sculpté au crawl quotidien s’est aiguisé comme un couteau. Plus de chambre à soi ni de clefs. Plus de comptes à rendre à personne, pas même aux filles chez qui elle dort. Cette fois, Constance Debré interroge l’héritage familial. Peut-on se libérer de tout ? Peut-on se défaire d’une éducation ? D’une classe sociale ? D’un accent ? D’un nom ? Qu’est-ce qui subsiste quand on croit avoir tout enlevé ? Sans pathos, elle raconte la mort de son père toxicomane. La mort prématurée de sa mère alcoolique lorsqu’elle était adolescente. La violence et le panache. Chez elle, ce n’est pas l’histoire ni son comportement qui m’intéressent, c’est la littérature. La musique sans foi ni loi qu’elle invente au lance-flamme. Après avoir lu cette trilogie, j’ai trouvé mon ordi et me suis remise à écrire. Jouissif. Il n’y a que deux livres sur la photo car j’ai oublié Play boy dans la maison où j’étais cet été 😉

Emotional Inheritance de Galit Atlas (Éditions Short Books)

« Il faut absolument que tu lises ça ! » m’a écrit Zeva Bellel, ancienne journaliste devenue coach, dans un sms accompagné de la couverture du livre. Je l’ai commandé et Zeva me l’a offert quelques jours plus tard : avec deux exemplaires, je ne risquais pas d’éviter de le lire. Galit Atlas est une psychanalyste d’origine israélienne installée à Manhattan depuis de nombreuses années. Elle s’intéresse ici aux traumatismes générationnels en nous présentant une série de patients dont elle a modifié, avec leur accord, l’identité et parfois quelques détails permettant de les reconnaitre. De quoi hérite-t-on sans le savoir et comment les drames non résolus de la génération de nos ascendants se répercutent-ils sur notre présent ? Cette question existentielle occupe mon cerveau depuis plus de trente ans. J’ai toujours été obsédée par la puissance dévastatrice des secrets de famille et la résilience qui s’opère lorsqu’ils sont révélés, y compris aux générations qui n’ont pas connus les ascendants concernés. Il y a ces dates anniversaire que l’inconscient reconnait et manifeste dans le corps. Une fausse couche qui arrive à l’âge exact qu’avait une grand-mère lorsqu’elle a perdu un de ses enfants dont on ignorait l’existence… On connait tous des histoires troublantes de ce type, qu’elles soient issues de notre famille ou de celles de notre entourage. Galit Atlas en a compilé un certain nombre et j’ai beaucoup aimé qu’elle partage avec nous le flot de ses pensées au cours des séances avec ses patients. Cela nous permet de comprendre ce qui se déroule dans la tête d’un psy, les associations d’idées qui le renvoient à sa propre histoire, et le cheminement à deux, sans que l’analysant prenne le dessus sur l’analysé. La psychanalyste ajoute aussi, au cours de son récit, des notions psychanalytiques afin de nous permettre de mieux comprendre comment la psyché fonctionne. J’ai mis du temps à lire ce texte. J’étais très émue. Il me fallait du temps pour digérer le parcours thérapeutique des uns et des autres car chaque histoire me renvoyait à la mienne. Une mise en abîme du jeu de miroirs entre le soignant et le soigné. Le trauma contamine autant que la résilience et l’on se sent soulagé dès que le patient dénoue, ouvrant un espace de guérison pour le lecteur. Je me suis posée de nombreuses questions en lisant cet ouvrage alors que j’étais si fatiguée que je ne pouvais plus me lever. J’allais avoir l’âge que mon père a atteint lorsqu’il est mort il y a 33 ans. Je n’ai jamais craint de mourir aussi jeune que lui d’une maladie grave. Je me suis toujours dit que j’avais suffisamment eu de malchance dans mon enfance pour ne pas me taper ça, en plus du reste. À 13 ans, je rêvais de me casser loin de chez moi pour faire tourner la roue et que la vie, la vraie, démarre enfin. Cet été, je me suis sentie faible. Fragile. Vulnérable. Même mon cerveau qui carbure habituellement à une vitesse folle ne me laissait plus ni écrire ni réfléchir. Je n’avais pas peur de mourir (mes problèmes de surmenage sont d’une grande banalité et le repos forcé a montré son efficacité) mais je n’arrêtais pas de conscientiser ce que cela signifie que de disparaitre à 46 ans. Mon corps ne m’a pas laissé me distraire de ma peine en travaillant comme une acharnée. Lorsque j’ai lu ce livre, j’ai compris que ce n’était pas un été anodin. Au chagrin du deuil et du manque que je connais s’est superposé un autre traumatisme : le sien, peut-être, lorsqu’il a compris qu’il ne survivrait pas à son cancer du cerveau. Il n’y avait pas que mes larmes qui débordaient mes yeux, il y avait aussi les siennes. J’ai écrit à Galit Atlas après avoir fini son livre. J’avais tant de questions à lui poser. Nous avons démarré une conversation que j’aimerais poursuivre et partager avec vous. J’en reparlerai. Le livre Emotional Inheritance a été publié aux États-Unis, en Angleterre et traduit en italien. Il n’existe pas encore en français. Pour écouter l’épisode de mon podcast que j’ai enregistré avec Zeva Bellel, c’est par ici.

Vivre sans bruit de Samar Seraqui de Buttafoco (Éditions Charleston)

Connue sur Instagram sous le nom « d’Une Libanaise à Paris », Samar Seraqui de Buttafoco est une ancienne journaliste née au Liban dont les hasards l’ont mené à travailler dans l’univers de la mode. Créatrice de la marque de t-shirts Das mot et de la ligne de soins capillaires Philia, cette jeune femme pétillante aime jouer avec les apparences. Méfiez-vous de ses éclats de rire et de ses tenues moulantes. C’est la poudre qu’elle souffle au nez de ceux qui la jugent pour masquer ses blessures et ses grands chagrins. Une politesse, en somme. On ne se connait pas très bien elle et moi mais on s’est souvent croisé et elle m’a gentiment envoyé son livre qui est sorti le 24 août 2022. Elle m’avait confié, l’hiver dernier, qu’elle écrivait mais je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. Je l’ai ouvert et lu d’un trait. Qu’est-ce qui fait qu’on appartient à un pays ? Est-ce la langue que l’on partage ? L’histoire qu’on nous apprend à l’école ? Les souvenirs gustatifs ? Les murs sur lesquels on a laissé courir la pulpe de nos doigts ? Avec pudeur, Samar raconte un drame familial entre Beyrouth et le XVIe arrondissement parisien. Factuelle, parfois détachée, elle ne cherche pas à maquiller les déchirures du passé et interroge son lecteur sur le sentiment d’appartenance. D’ailleurs elle joue beaucoup avec le choix des temps auxquels elle conjugue ses verbes. Elle passe du présent à l’imparfait, comme si elle se remémorait à l’instant où elle écrit. On sent que quelque chose de grave va se passer mais inutile de s’y préparer. C’est déjà trop tard.

Siècle Bleu Tome 1. Le rêve de Gaïa et Tome 2. Ombres et Lumières de Jean-Pierre Goux (Éditions Babel Noir Actes Sud)

J’avais commencé à lire cette saga il y a plus d’un an lorsque j’ai interviewé son auteur Jean-Pierre Goux pour le premier épisode de mon podcast Pleine Présence. Mais comme ils réunissent à eux deux plus de mille pages, je me suis découragée, par manque de temps. Cet été, j’ai recommencé du début et j’ai dévoré les deux tomes en quatre jours (comme quoi quand on a décidé de faire de la place aux livres, rien ne peut nous arrêter). Ancien chercheur en mathématiques et créateur de OneHome, Jean-Pierre Goux est convaincu de la puissance des récits sur l’éveil des consciences. Alors que nous sommes inondés de films d’anticipation annonçant la fin du monde, de science-fiction apocalyptique et de nouvelles de plus en plus anxiogènes sur l’avenir du climat et ses conséquences sur la biodiversité, Jean-Pierre Goux imagine une autre issue aux défis de notre époque. Le monde qu’il dépeint au début du premier tome de Siècle Bleu (sorti en 2010) ressemble beaucoup au nôtre. Deux amis, Paul, un astronaute prêt à décoller pour la lune et Abel un passionné des sciences de la vie, fondateur d’une organisation écologique clandestine, se retrouvent mêler à une machination politique d’envergure internationale. Tout au long du récit, Jean-Pierre Goux en profite pour documenter son histoire d’informations sur la biodiversité, l’astronomie, l’économie criminelle, le fameux overview effect, les solutions déjà disponibles pour changer ce que nous percevons comme une fatalité… Avec maniaquerie et délice, il réussit à intégrer tous ses objets de réflexion. Traité comme un roman d’espionnage, la saga nous embarque aux quatre coins du monde, nous fait décoder des messages chiffrés, nous fait entrer en transe sur les beats de Laurent Garnier… et nous laisse rêver d’un autre monde. Uni et respectueux du vivant. Jean-Pierre Goux prépare actuellement la suite de cette saga. Retrouvez le tome 1 ici et le tome 2 là.

Grâce et Dénuement d’Alice Ferney (Éditions J’ai Lu)

J’ai fait tomber ce livre dans la rivière alors que je remettais mes lunettes. Je l’ai sauvé et me suis dépêchée de le finir avant que les pages ne se collent entre elles, d’où son allure sur la photo. Une bibliothécaire se rend un jour dans un camp de gitans installés à la frontière de la ville. Elle souhaite venir lire des histoires aux enfants. Une lecture chaque mercredi sans aucune attente en retour. On se méfie. Elle insiste. De Babar au Petit Prince de Saint Exupéry, en passant par les fables de La Fontaine, la lectrice se fait progressivement adopter par les petits qui attendent impatiemment son retour chaque mercredi, par leurs mères et surtout leur grand-mère qui dirige la vie du camp. Je connais très peu la culture tzigane et je me suis demandée en lisant ce que penseraient ceux qui pourraient se reconnaitre dans ce roman sorti en 1998. De mon côté, j’ai adoré rencontrer cette famille, me sentir accueillie, à l’instar de la bibliothécaire, un café brûlant entre les mains. Au fil des chapitres, les préjugés réciproques fondent comme les morceaux de plastique au coin du feu. On s’apprivoise. On se rapproche. On se prend dans les bras avec pudeur. On se reconnait au-delà des différences. Une lecture qui rend curieux de l’autre.

leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu (Editions Actes Sud)

J’ai beaucoup de retard sur ce livre qui a reçu le Prix Goncourt en 2018 et que j’avais acheté la même année. Nicolas Mathieu a eu le temps d’en sortir un autre cette année. Leurs enfants après eux m’a placée dans une telle atmosphère cinématographique que j’ai eu l’impression de le regarder sur un grand écran. Nicolas Mathieu est né en 1978. Nous avons deux ans d’écart. Il plante son décor dans l’Est de la France au bord d’un lac que je ne connais pas, dans les années 1990, celles de son adolescence. Du choix des prénoms de ses personnages en passant par les références musicales, les événements sportifs, les marques de gâteaux industriels ou encore les émissions télévisées, l’auteur n’a oublié aucun détail de cette décennie. L’histoire commence en 1992 pendant les grandes vacances. Des ados zonent à mobylette, les poches remplies de feuilles à rouler et de micro-boulettes de shit à faire tourner, espérant un frisson à la vue de seins nus sur la plage naturiste du lac. Anthony fantasme sur Stéphanie et aimerait bien oser lui parler à la prochaine soirée. L’espace d’une nuit festive, un délit qui aurait pu rester bénin va totalement modifier la destinée d’Anthony et de son entourage. L’auteur Nicolas Mathieu qui a découpé son récit en quatre parties, nous embarque dans cette vallée à la découverte de personnages que l’on voit évoluer tous les deux ans au même endroit à la même saison, des années Nirvana à la coupe du Monde de 1998. Il sait si bien décrire l’ennui et le temps qui s’étire au ralenti pendant l’adolescence. Mais son récit n’est pas un documentaire historique sur les ados dans les années 1990. Il est bien plus que cela. Il dit l’aliénation des classes sociales bien compartimentées, l’effondrement de ceux qui n’ont vécu qu’en lutant, le désir brûlant de s’échapper au récit familial, le sabotage irrépressible que l’on connait tous par périodes, la splendeur de la banalité, la violence du manque, la nostalgie et la fatalité. J’ai adoré ce livre dont je n’ai pas pu décrocher. Je pense encore à Anthony, à Hacine, à Stéphanie et « au cousin » et je me demande, en regardant des inconnus de mon âge dans la rue, ce qu’ils sont devenus aujourd’hui. Et moi, quel goût me reste-t-il de ces années ?

La carte postale d’Anne Berest (Editions Grasset)

C’est l’un de mes coups de cœur de l’été. Je voudrais que tout le monde lise ce roman, si important à mes yeux. D’abord, il cumule à peu près tout ce que j’ai envie de lire en ce moment : un récit personnel, des questions identitaires, une énigme familiale à résoudre, la transmission des traumatismes, les répétitions mystérieuses entre des générations qui ne se sont pas connues et une réflexion qui transforme le lecteur au fil des pages… En janvier 2003, la famille d’Anne Berest reçoit une carte postale sur laquelle sont inscrits quatre prénoms : celui de son arrière-grand père. Celui de son arrière-grand-mère. Celui de la sœur de sa grand-mère maternelle et celui du petit frère de sa grand-mère. Quatre humains raflés et exterminés dans les camps de concentration pendant la deuxième guerre mondiale. Une liste macabre sans signature. D’où vient ce courrier ? Qui peut bien l’avoir envoyé ? Que cherche son auteur ? Quelques années plus tard, une question de sa fille pousse Anne Berest à interroger son identité juive alors qu’elle a reçu une éducation laïque et qu’elle n’a jamais pratiqué cette religion. Avec l’aide de sa mère qui a accumulé des archives sur ses ascendants pendant plus de vingt-cinq ans, Anne part en quête de l’auteur de cette carte postale et de l’histoire de ceux qu’elle n’a jamais connus. Je suis encore émue en me remémorant cette lecture. Je ne veux pas en dévoiler davantage. Lisez-le, c’est une merveille. Essentielle même. Je ne saurai dire à quel point ce livre m’a touchée. Il m’a fait grandir. La carte postale vient tout juste de sortir en poche.

Dépasser la honte, comment passer de « que vont penser les gens ? » à « je suis comme je suis » de Brené Brown (Editions Guy Trédaniel)

J’ai commandé ce livre en français. Si vous lisez en anglais, je vous recommande vivement d’éviter de faire la même erreur que moi : la traduction est médiocre. J’étais capable, sur certaines pages, de reconstituer la phrase originelle en anglais tant le texte semblait sortir d’une fonction « Google Translate ». Son titre en anglais est : I thought it was just me (but it isn’t), sorti aux Éditions Gotham en 2007. Brené Brown est chercheuse en sciences sociales et humaines, professeure et chercheuse à l’Université de Houston au Texas. Elle est connue aux États-Unis pour ses ouvrages et ses conférences sur la vulnérabilité et la nécessité de pactiser courageusement avec nos fragilités afin d’oser prendre la place que nous souhaitons occuper. Le titre de ce livre est prometteur mais ce n’est pourtant pas un guide. Il s’agit d’une enquête menée sur un grand nombre de femmes américaines qui ont accepté de confier à la sociologue les situations qui les ont rendues honteuses. La chercheuse ne s’est pas contentée de partager le récit des femmes interviewées en le classifiant par thèmes. Elle leur a également proposé de se prêter à une série d’exercices afin d’identifier ce qui les enferme dans ce qu’elle appelle « la toile de la honte » versus le « réseau de soutien » capable de les aider à se libérer de cette émotion. Sortie en 2007, l’étude est illustrée d’exemples qui semblent parfois un peu datés mais jamais inintéressants. Brené Brown fait la distinction entre la honte, la culpabilité et l’humiliation et nous permet de voir combien l’identification de nos déclencheurs (triggers), l’appel à notre esprit critique, le partage avec un réseau de confiance, l’expression émotionnelle, le courage, la compassion et la culture du lien à l’autre peuvent nous aider à dépasser la honte. Il y a des points intéressants à propos du contexte sociétal qui favorise la honte (la publicité, l’industrie cosmétique, les injonctions autour de la maternité, la fertilité, la réussite scolaire ou professionnelle…). J’ai aussi beaucoup aimé le récit des anecdotes personnelles de l’autrice mais je n’ai pas trouvé ce que j’espérais dans cette étude sur la honte. J’ai un autre livre de Brené Brown en attente, j’en reparlerai si je suis plus enthousiaste.

Practice and All is Coming Abuse, Cult Dynamics, and Healing in Yoga and Beyond de Matthew Remski

J’ai eu beaucoup de mal à aller jusqu’au bout de ces trois cent soixante-six pages d’enquête et de témoignages au sujet de Pattabhi Jois, fondateur du yoga ashtanga, décédé en 2009. D’abord, la maquette est difficile à suivre, le corps de texte est minuscule et les passages du gris au noir ne répondent à aucune logique. Sur un plan structurel, j’ai eu la sensation de faire beaucoup d’allers retours chronologiques mais aussi d’assister à des dizaines de répétitions alors que le sujet me passionne. Ce livre publié en 2019 aux États-Unis a fait l’effet d’une bombe au sein de la communauté américaine des ashtangis (les adeptes de l’ashtanga, le yoga le plus exigeant de tous sur le plan physique). Avec l’aide de nombreux témoignages et l’étude de divers documents (livres, vidéos, billets de blog, podcasts…), Matthew Remski révèle la manière dont le célèbre gourou indien Pattabhi Jois, adulé par plusieurs générations de yogis, s’est servi de son statut et du prétexte d’ajustements pour abuser sexuellement et maltraiter physiquement un grand nombre de femmes (et aussi d’hommes) ayant assisté à ses cours à Mysore en Inde et ailleurs. Des accusations graves qui ont totalement divisé les fans d’ashtanga et les disciples du maître. Formé à l’enseignement du yoga, à la méditation, au bouddhisme, à l’ayurveda, l’auteur Matthew Remski n’est pas journaliste. Il a réussi à s’extraire de deux mouvements sectaires dont il fait mention dans cet ouvrage. Ces épisodes douloureux l’ont conduit à mener une lutte sans merci contre les dérives dans le milieu du bien-être et du yoga. J’ai écrit cinq pages de notes en lisant son bouquin que je continue à digérer. Je ne compte pas faire ici la synthèse de ma réflexion encore en cours. D’où ma difficulté à lire : les témoignages sont parfois insoutenables, en particulier au sujet de la douleur infligée au corps, considérée comme « normale », voire « porteuse de libération ». Or, on est loin d’être sorti de cette croyance ! Combien d’épaules démises, de hanches délogées, de genoux cassés, de côtes brisées et de dos maltraités pour réussir à entrer et rester dans des postures acrobatiques ? Quand cesserons-nous véritablement de nourrir le dicton « No pain, no gain » (pas de souffrance, pas de récompense) ? Qu’applaudissons-nous réellement lorsque nous nous extasions devant des corps de ballerines totalement brisés ou des athlètes courant avec les ménisques entourés de bandages ? Je m’interroge à deux titres. En tant qu’élève à qui on a souvent dit après une blessure au yoga que « cela faisait partie du chemin », « que c’était le signe d’une grande libération énergétique », « que j’étais sans doute mal placée », « que c’était ma faute », « que c’était bon signe ». Et je me pose aussi ces questions en tant qu’enseignante : comment encourager sans pousser au culte de la performance et à la blessure ? En s’intéressant à Pattabhi Jois mais aussi aux autres révélations de comportements abusifs ou déviants des gourous ayant respectivement fondé le yoga sivananda, le kundalini yoga, le yoga nidra, le yoga iyengar, le yoga bikram et j’en passe…, Matthew Remski tente de démonter le système qui a permis (et permet encore) à tous ces « maîtres » d’exercer une fascination sur leurs disciples (qui la transmettent ensuite à leurs propres élèves). Comment considérer ces outils lorsqu’on sait par qui ils ont été créés ? À chacun de cheminer pour trouver une réponse qui lui convient. L’enquête est délibérément à charge et les motivations de l’auteur sont claires, c’est pourquoi son livre continue de diviser les yogis qui y voient une croisade personnelle. Il a cependant le mérite de poser des questions indispensables et d’encourager le discernement afin de repérer plus facilement l’inacceptable ainsi que la manipulation. Reste à se fader 366 pages en anglais car le livre n’a pas encore été traduit en français.

Premka: White bird in a golden cage, my life with Yogi Bhajan de Pamela Sarah Dyson (Editions Eyes Wide Publishing)

Je n’ai pas lu ce livre cet été mais au printemps 2022. Néanmoins, je ne peux pas mentionner le livre de Remski (précédemment cité) sans associer ce témoignage sorti le 8 janvier 2020. Il est signé Pamela Sarah Dyson dont le nom spirituel était Premka du temps où elle travaillait bénévolement pour Yogi Bhajan (fondateur du kundalini yoga), c’est-à-dire de la fin des années 1960 jusqu’en 1986. En plus d’être l’une de ses maitresses, elle a été sa secrétaire générale pendant toute cette période qu’elle dépeint comme une incarcération en enfer. La première fois que j’ai entendu parler de ce livre c’était fin janvier 2020. J’étais avec des enseignants de kundalini yoga plus âgés que moi, très virulents sur le sujet. « Encore une qui veut se faire du fric et attirer l’attention sur elle » ai-je alors entendu. « On le sait bien que Yogi Bhajan n’était pas un tendre, et alors ? Il cumulait les conquêtes et elles étaient toutes consentantes, c’était un génie » a-t-on ajouté. « C’est facile de cracher sur les morts qui ne peuvent pas se défendre »… J’ai écouté sans me mêler car je n’osais pas leur avouer que je n’ai jamais été inspirée par Yogi Bhajan (décédé en 2004). Lorsque j’ai découvert cette discipline en 2016, j’ai acheté tous les bouquins que j’ai pu trouver sur le sujet. Yogi Bhajan n’en a écrit aucun mais ses fervents disciples ont pris en note ses conférences et ont scrupuleusement retranscrit ses cours. Les synthèses de ces retranscriptions ont donné naissance à des dizaines de recueils principalement dédiés à l’enseignement de ce yoga. J’en ai lu un grand nombre. Les exercices de respiration, les méditations et les séquences de postures (kriya) m’ont tout de suite beaucoup plu, mais le discours accompagnant la pratique m’a toujours exaspérée : des promesses démesurées qui feraient rougir les industries cosmétique et pharmaceutique comme « Pratiquez cette méditation 31 minutes pendant 1001 jours et vous rajeunirez/deviendrez invincible/ne connaitrez plus aucun problème de dos », une somme d’élucubrations foireuses, en passant par des conseils nutritionnels ne répondant à aucune réalité scientifique (voire même dangereux pour la santé) ou encore des règles de vie frapadingues délivrées dans un recueil baptisé Humanologie qui m’est tombé des mains dès les premières pages lorsque j’ai tenté de le lire… Sur YouTube, j’ai regardé des tonnes de vidéos de lui pour tenter de saisir son discours tout comme son personnage ostensiblement odieux. J’ai aussi écouté des dizaines d’enregistrements de ses cours disponibles sur le site Library of Teachings. Les profs que j’ai rencontrés qui l’ont connu m’ont expliqué que « je ne pouvais pas comprendre » car j’essayais d’intellectualiser « le maître » sur un plan rationnel et non de le ressentir « dans sa dimension énergétique ». Et puis, « c’était une autre époque ». En gros, il fallait l’avoir connu et avoir pratiqué avec lui, point barre. Je me souviens avoir demandé pourquoi certains profs affichaient sa photo sur leurs autels alors que ce yoga enseigne que la sagesse est logée à l’intérieur de chacun. On m’a expliqué que la présence d’un de ses portraits servait de véhicule pour trouver la voie du Soi supérieur. Mouais. Ce culte de la personnalité n’a jamais eu de sens pour moi. Tout comme l’utilisation du turban ou le fait de s’habiller en coton blanc pour pratiquer. Lorsque j’ai entamé mon cycle de formations à l’enseignement, j’étais d’ailleurs rassurée car personne n’était habillé en blanc, personne ne portait de turban et l’école n’affichait pas de photo de Yogi Bhajan. À première vue, il n’était pas traité comme une icône (une de mes formatrices partageait d’ailleurs tout à fait mes impressions à son sujet) contrairement à tous les studios traditionnels américains où j’avais remarqué des posters géants du « maître » derrière l’estrade des enseignants. Le fait de ne pas le montrer ne signifiait pas pour autant qu’il n’était pas adulé par d’autres formateurs. Lorsque j’ai commencé à enseigner j’ai consciencieusement choisi d’éviter de mentionner Yogi Bhajan. Je me contentais de dire qu’il avait été le premier à diffuser ce yoga en Occident. Même ses citations sensées valoriser les femmes en les présentant comme des déesses me paraissaient totalement caricaturales, dépourvus de fondement scientifique et contre-productives. Donc, quand le livre Premka de Pamela Sarah Dyson est sorti, je ne me suis intéressée ni au contenu ni au débat qui l’entourait. Je crois aussi que j’avais peur de ce que j’allais y découvrir comme si le livre était un virus pouvant contaminer ma passion pour cette pratique. En France, le récit est passé inaperçu, puis le Covid est arrivé dans nos vies et j’ai été occupée comme nous tous par bien d’autres sujets. Aux États-Unis en revanche, le livre de Pamela Sarah Dyson a déchiré la communauté du kundalini yoga. Il faut dire que son témoignage donne la nausée. Le niveau de manipulation et d’abus dénoncés est hyperbolique. Libérant la parole d’un grand nombre de victimes, la sortie du livre a été suivie d’une enquête menée par l’organisme indépendant An Olive Branch au sein de 3HO, la société initialement fondée par Yogi Bhajan qui continue à gérer mondialement l’héritage de ses enseignements ainsi que les copyright. En août 2020, 3HO a publié un rapport réunissant plusieurs centaines témoignages au sujet du comportement du maitre indien. La communauté américaine du kundalini yoga s’est alors divisée en deux camps : le premier, accablé par les révélations ignobles a choisi de prendre ses distances avec Yogi Bhajan. Sa photo a soigneusement été retirée des manuels de formation à l’enseignement publiés par le Kundalini Yoga Research Institute (KRI) ainsi que du site de 3HO qui a dû présenter des excuses publiques aux victimes. Certains sont même allés jusqu’à renoncer à la pratique et l’enseignement du kundalini yoga, reprochant à leurs professeurs d’avoir toujours su et caché les agressions de leur maître. L’autre camp, constitué de proches et de fidèles de Yogi Bhajan mais aussi de jeunes enseignants ne l’ayant jamais rencontré, n’a pas pu se résoudre à croire à ce qu’elle a qualifié de calomnieux. Une réaction classique à chaque fois qu’une figure établie tombe de son piédestal. Particulièrement véhéments, la fondatrice de Rama Institute Guru Jagat (décédée brutalement en août 2021) et son acolyte Harijiwan (fondateur du groupe de musique White Sun) ont condamné avec fermeté les accusations portées contre leur guru, présentant Pamela Sarah Dyson comme une menteuse dont les motivations seraient pécuniaires et qui aurait d’ailleurs déjà perçu de l’argent en attaquant en justice Yogi Bhajan dans les années 1980. D’autres ont choisi de se taire publiquement tout en soutenant, en privé, celui qu’ils continuent à appeler « leur maître » dans leurs cours. En septembre 2020, lorsque j’ai entendu parler de ce rapport, j’ai adopté une nouvelle stratégie d’évitement : après tout, je n’étais pas fan de « Yogi Bhajan » mais de « kundalini yoga ». En prime, j’étais encore persuadée que les enseignements partagés par Yogi Bhajan étaient millénaires et qu’il s’était contenté de les diffuser aux États-Unis puisque c’est ce qu’on m’avait enseigné et répété (ce que je sais être aujourd’hui totalement faux : j’invite ceux que le sujet intéresse à lire l’enquête du chercheur et historien Philip Deslippe doctorant à l’Université de Santa Barbara au département des études religieuses en Amérique du Nord sur les origines véritables de ce que l’on appelle le kundalini yoga). En 2021, une série d’événements se sont chargés de me faire comprendre que j’étais tout à fait concernée et qu’il était temps que je cesse de faire l’autruche. En décembre 2021, je suis tombée sur une enquête du Vanity Fair US au sujet de Guru Jagat qui m’a fait frissonner. Lors de sa venue en France pour une série d’ateliers qu’elle a encadrés en janvier 2019, j’ai détesté l’expérience et n’ai pas succombé à la fascination qu’elle exerçait sur son public. J’étais cependant loin d’imaginer ce que révèle l’article du Vanity Fair. J’en ai parlé avec des professeurs qui cheminaient comme moi dans ce marécage nauséabond. J’ai choisi de prendre mes distances avec ceux qui se moquaient des « pseudo-victimes » de Yogi Bhajan ainsi qu’avec ceux qui continuaient à se référer à leur « maître » sans le contextualiser sous prétexte « qu’il ne faut pas juger » et que toute cette affaire nous offre « un magnifique enseignement sur le caractère humain et faillible du maître ». BULLSHIT. J’ai finalement commandé le livre de Pamela Sarah Dyson que je n’ai lu qu’en avril 2022 (par manque de temps et aussi par résistance vis-à-vis du sujet). Après l’avoir englouti, je me suis aussitôt lancée dans la lecture des résultats de l’enquête de 76 pages publiés sur le site de 3HO. L’organisme An Olive Branch a réuni les témoignages des supporters de Yogi Bhajan ainsi que ceux des victimes qui ont accepté de parler après la sortie du témoignage de Pamela Sarah Dyson. Le travail d’enquête est sérieux et les conclusions sont équilibrées avec une méthodologie clairement exposée, offrant une synthèse d’ensemble pour chaque sujet évoqué (violences au cours d’actes sexuels, exposition d’adolescents mineurs à des films pornographiques, harcèlement sexuel, mariages arrangés, manipulations…). J’ai eu du mal à aller jusqu’au bout tant les témoignages sont accablants. J’étais bouleversée. J’ai poursuivi mes recherches, écouté des podcasts, lu d’autres livres, discuté avec de nombreux yogis… Ce travail n’est évidemment pas terminé mais il a déjà modifié mon rapport à la pratique, qu’il s’agisse du kundalini yoga ou du yoga vinyasa. Ceux qui suivent mes cours depuis plusieurs années s’en sont d’ailleurs aperçus : le ton, le contenu et la manière avec laquelle j’enseigne depuis janvier 2022 a beaucoup évolué. Ma pratique personnelle a également changé. En mai 2022, lorsque j’ai commencé ma formation à l’enseignement du yoga vinyasa, les affirmations ont toutes été remplacées par des questions. Au lieu d’absorber les informations comme je l’avais fait lorsque j’ai été formée au kundalini yoga (j’avais confiance en mes enseignants, j’étais enthousiaste et bonne élève), je remets désormais chaque enseignement en question. Qui dit quoi ? Quelle en est la source ? Pourquoi le croire ? Qu’est-ce que ça me fait de le croire ? S’agit-t-il d’une croyance religieuse ou d’une vérité scientifiquement prouvée ? Et si c’est une croyance, pourquoi nous la présente-t-on comme une réalité dont on ne saurait douter ? Est-ce que je suis d’accord pour croire ? Quel crédit accorder à tous ces maîtres indiens qui ont abusé de leur pouvoir ? Pourquoi continuer à les citer sans les remettre dans leur contexte ? Quelle valeur accorder aux outils qu’ils ont développés au cours du XXe siècle ? Ces outils tiennent-ils leurs promesses ou bien participent-ils au maintien d’un système de domination et de soumission entre l’élève et son professeur ? Je n’ai pas toutes les réponses et elles changeront probablement au fil de mes recherches. J’en suis là, je désosse et j’observe. J’ai l’impression d’être au milieu des décombres et de soulever des gravats pour y déceler les particules d’or à la pince à épiler. Je ne remets pas en question les bénéfices récoltés ces dernières années grâce à la pratique du kundalini yoga, du vinyasa yoga et de la méditation. Mon entourage, ma famille comme mes amis, peuvent témoigner de la transformation que cette pratique m’a permis d’opérer. Ils n’ont pas cessé de me le rappeler ces derniers mois. Chaque jour, je reçois des dizaines de messages d’élèves me remerciant pour les effets positifs de mes cours en ligne, pas seulement sur leur forme physique mais aussi dans leurs relations aux autres, leur confiance au travail et la réalisation des projets qui leur tiennent à cœur. Je connais les effets incroyables des méditations, des chants de mantras et des pranayamas et nous avons été des milliers à en faire l’expérience ensemble sur Instagram pendant les confinements de 2020. Je ne cherche pas à tout rationaliser (est-ce seulement possible ?) et je ne veux pas me fermer à l’émerveillement ni à la part de mystère qui saisit mon cœur dès lors que je regarde un ciel étoilé. Mais j’ai besoin de mieux comprendre ce que je transmets et de cesser d’affirmer des conneries si j’en répète sans en être encore consciente. Je ne pensais pas que le livre Premka provoquerait un tel cataclysme intérieur. Mais s’il y a bien une croyance que j’assume pleinement, c’est la suivante : on n’est jamais trop conscient. Ce livre n’a pas été traduit en français (question: à qui ai-je prêté ce bouquin? Impossible de le retrouver…)

Happy Days de Gabrielle Bernstein (Hay House Inc)

Autrice de best-sellers outre atlantique, Gabrielle Bernstein est une coach experte en développement personnel. Elle est ce qu’on appelle aux États-Unis “a motivational speaker” c’est à dire une conférencière qui booste la motivation. Ancienne toxicomane, elle s’est fait connaitre au début des années 2010 en partageant les solutions qui lui ont permis d’abandonner l’usage de l’alcool et de la cocaïne. La découverte de la spiritualité, du yoga et de nombreuses thérapies ont jonché le chemin de guérison qu’elle a entamé il y a plus de vingt ans. C’est d’ailleurs dans un studio de yoga new-yorkais que j’ai découvert son livre The Universe Has Your Back (L’univers veille sur vous, traduit en français aux Editions Guy Tredaniel) en février 2017. Je n’étais pas adepte de ce genre d’ouvrages avant de fréquenter les salles de yoga. Ancienne journaliste, j’avais plutôt du mépris pour les livres qui font la promesse de solutions simples et miraculeuses. J’étais encore plus méfiante avec tout ce qui m’apparaissait ésotérique ou religieux. Je continue à l’être même si l’on pourrait croire le contraire. Pourtant, plusieurs chapitres de Universe has your back m’ont troublée et aidée à me faire confiance. J’étais alors en pleine lune de miel avec le kundalini yoga que je venais de découvrir un an plus tôt, une discipline abondamment citée dans L’univers veille sur vous puisque Gabrielle Berstein a elle aussi été formée à l’enseignement de cette pratique (NB : j’ai remarqué qu’elle n’utilise plus aucune référence au kundalini yoga ni à Yogi Bhajan depuis la libération de la parole de ses victimes ; dans ce podcast enregistré en janvier 2022, elle fait référence à ceux qu’elle considérait comme ses guides et qui l’ont profondément déçue). J’ai acheté ses deux livres suivants mais je n’ai pas fini Judgment Detox et je n’ai finalement jamais entamé Super Attractor. En février 2022, Gabrielle Berstein m’a envoyé son dernier né : Happy Days en anglais (qui a été traduit en français et est sorti sous le même titre aux Editions Guy Tredaniel en juin 2022). Il est resté sur ma table de chevet pendant des mois et je viens tout juste de le finir. Dans ce guide, elle confie ce qu’elle n’avait encore jamais avoué : un abus sexuel dont elle a été victime lorsqu’elle était enfant et dont le souvenir traumatique est remonté à la surface il y a seulement cinq ans lors d’une séance avec sa psy. Derrière l’apparente réussite de Gabrielle Bernstein et les conférences vertigineuses qu’elle anime dans des salles remplies de spectateurs se cachait un désarroi profond qu’elle partage courageusement dans son nouveau guide. Ce livre vient alimenter le courant actuel de nombreux témoignages sur la vulnérabilité, la honte et la fragilité. Il déconstruit les projections et l’imaginaire autour du succès ainsi que la figure du « thérapeute » (NB : Gabrielle Bernstein ne se présente pas en tant que thérapeute mais elle est formée à plusieurs techniques citées dans le livre et donne quotidiennement des conseils qui donnent l’impression qu’elle est, de fait, thérapeute) dont on attend souvent – à tort – une incarnation de pleine santé mentale. Il est ponctué d’exercices introspectifs (assez ambitieux à mon sens sans l’aide d’un thérapeute ou d’un groupe de soutien) et de nombreux outils qui ont permis à l’autrice de libérer l’origine de ses crises d’angoisse, comme l’EMDR (Eye Movement Desensitization Reprocessing) , l’EFT (Emotional Freedom Technique), l’IFS (Internal Family System) et la SE (Somatic experiencing) dont je n’avais jamais entendu parler, ainsi que des méditations qui encouragent la prise de conscience des messages corporels. Il y a deux éléments qui m’ont paru intéressants et avec lesquels je me sens en résonnance. Le premier concerne les « triggers », ces déclencheurs émotionnels qui nous conduisent à nous battre/nous défendre, à fuir/éviter ou à nous pétrifier. J’en ai déjà beaucoup parlé dans les différents ateliers que j’ai animés online car identifier ce qui nous fait partir en toupie me parait essentiel lorsqu’on souhaite reconnaitre les schémas qui nous emprisonnent. Lorsqu’on est face à une « trigger » (une gâchette en français), le corps est le premier à réagir (rougeurs, tensions, maux de ventre, serrage de mâchoire, immobilité…) et il est accompagné d’une émotion (colère, chagrin, honte, peur, insécurité…) qui nous conduit à mettre en place une stratégie pour stopper l’émotion inconfortable en cours : manger, fumer, boire, se droguer, travailler à outrance pour obtenir une validation extérieure, zoner sur les réseaux sociaux, s’anesthésier devant une série télé, hurler, se bagarrer, bitcher auprès de son entourage, consommer du sexe à outrance… (Attention, les triggers qui agissent comme des drapeaux rouges ne sont pas « mauvais » et ne doivent pas être ignorés : si je marche trop près d’un ravin, je ressens un frisson et de la peur ce qui me permet de réagir et d’adopter un comportement adéquat en me reculant du bord pour éviter de tomber). Dans ce livre, Gabrielle Bernstein nous rappelle qu’il est plus facile de se débarrasser du symptôme (la stratégie réactionnelle = l’addiction) que de cultiver sa curiosité pour l’émotion inconfortable provoquée par le déclencheur initial. Or identifier ce ressenti émotionnel permet de récolter la pensée qui y est attachée et de traquer la source traumatique (un travail qui me parait impossible sans l’aide d’un thérapeute adapté). En luttant uniquement contre la stratégie finale sans explorer l’émotion en présence, on finit par créer de nouvelles addictions anesthésiantes. Exemples : remplacer la cocaïne par une addiction au travail comme Gabrielle Bernstein l’a fait, remplacer la boulimie par une addiction au contrôle alimentaire… Je sais que la psychanalyse le disait déjà il y a plus de cent ans mais sans prétention et avec courage, Gabrielle Bernstein utilise des épisodes peu glorieux de sa vie au travail, avec son fils ou ses amis afin d’illustrer concrètement ses prises de conscience en espérant que ses anecdotes auront un effet miroir sur le lecteur. Le deuxième élément du livre qui me semble intéressant est la compassion nécessaire pour avancer lorsqu’on est engagé dans un processus de guérison, quel que soit le traumatisme. Compassion pour toutes les parties de nous, celles qui sur-réagissent, celles qui ont envie de tordre le cou, celles qui font des sales coups et qui sont pleines de mauvaise foi, vis-à-vis de nous-mêmes et des autres. Toutes ces parties se sont développées au fil de nos blessures et tentent de veiller à notre sécurité comme à notre survie. Y compris lorsqu’elles nous poussent à adopter des comportements qui finissent par nous détruire. D’après Gabrielle Bernstein, elles cherchent à protéger l’enfant intérieur blessé et exilé en nous. Faire preuve de compassion pour nos stratégies défensives, d’évitement ou d’attaque permet de les apaiser et de renouer avec la blessure la plus ancienne. Il y a bien d’autres outils mentionnés au cours du livre, du journal de la rage (qui m’a rappelé le journal de la colère que j’ai tenu en 2018 pendant quelques mois) au mouvement corporel. J’avoue rester insensible aux nombreuses prières et citations issues du livre A Course in Miracles sorti aux débuts des années 1970, un genre de bible présentée par des millions d’adeptes comme une parole christique des temps modernes, largement promue par l’écrivaine Marianne Williamson. Ce qui me parait important en revanche, en particulier pour ceux qui suivent et admirent Gabrielle Bernstein, est l’authenticité avec laquelle elle raconte la dissonance entre ce que son public percevait d’elle et les crises d’angoisse qu’elle traversait. Dernier message important du livre : il n’y a pas de méthode miraculeuse pour guérir et Gabrielle Bernstein admet à plusieurs reprises que les outils spirituels qu’elle vantait dans ses précédents livres n’ont pas été suffisants lors de sa dépression postpartum. C’est courageux de l’écrire. Prendre soin de sa santé mentale exige un accompagnement adapté, du temps, du courage… et aussi de l’argent, car la plupart des thérapies citées sont coûteuses. En France, il existe des centres médico psychopédagogiques qui proposent des thérapies entièrement remboursées par la sécurité sociale (c’est d’ailleurs ce qui m’a permis d’entreprendre un travail psychanalytique à l’âge de 16 ans en toute confidentialité), certains psychiatres formés à l’EMDR peuvent également être éligibles à un remboursement des séances. Dernier avertissement : en dehors de l’EMDR que j’ai pratiqué auprès d’une psychologue clinicienne agréée et dont l’efficacité a été reconnue par la Haute Autorité de Santé ainsi que l’OMS, je ne sais rien des méthodes citées ci-dessus ni des thérapeutes qui les ont mises au point et qui sont interviewés dans son livre. Je vous invite à faire vos propres recherches.