itinéraire d’une enfant dyslexique
Photographie Camille Hirigoyen

itinéraire d’une enfant dyslexique

itinéraire d’une enfant dyslexique

J’ai écrit ce texte pour les parents dont les enfants croient qu’ils sont stupides parce qu’ils ont des résultats médiocres à l’école. Pour ceux qui gardent un souvenir terrifiant des devoirs à la maison et ont parfois encore peur de lire à voix haute en public. Pour tous les écoliers qui détestent apprendre en classe. Pour les enseignants et les thérapeutes qui me suivent. Pour tous ceux qui ont de la curiosité pour la différence. Photographie d’ouverture: Camille Hirigoyen

J’ai longtemps hésité à livrer le témoignage qui suit. C’était trop douloureux il y a un an. J’avais besoin de temps. Et je n’étais pas la seule concernée. Il me fallait digérer, réfléchir et demander à ma fille et à mon mari s’ils étaient d’accord pour que je partage ce récit. Le prénom de ma fille n’est volontairement jamais mentionné. Certain.e.s d’entre vous le connaissent. Je vous remercie par avance de ne pas l’utiliser si vous choisissez de commenter cet article, ici comme sur les réseaux sociaux. J’ai également décidé de ne pas citer les établissements scolaires qu’elle a fréquentés. Mon intention, à travers ce long texte, est de permettre à d’autre familles qui connaissent des difficultés similaires de se sentir moins seules. Mon but est que des enfants ou des adultes souffrant des mêmes symptômes ou ayant un parcours scolaire similaire retrouvent, en lisant mon témoignage, de l’espoir et de l’estime pour eux-mêmes.

Premières alertes à la maternelle

Lorsque ma fille est entrée à l’école maternelle, j’étais convaincue qu’elle était surdouée. À la crèche, on m’avait alertée à plusieurs reprises sur son avance au niveau du langage et la sophistication de son vocabulaire. L’une des puéricultrices avait noté, par exemple, qu’elle savait utiliser une dizaine de mots différents pour décrire l’émotion de la peur selon son degré d’inquiétude alors qu’elle n’avait pas encore trois ans. Une autre avait remarqué son inventivité et son humour empruntant bien souvent au registre des adultes. Comme tous les parents qui trouvent leur progéniture unique et plus singulière que les autres, mon narcissisme était comblé. Logé par chance dans un quartier privilégié qui ne correspondait ni à nos revenus ni à nos convictions politiques, on avait réussi à obtenir une place en crèche à l’autre bout de notre arrondissement. Ce cocon duveteux encadré par une équipe passionnée n’avait pour seul inconvénient que d’être situé loin de notre domicile. Lors de l’inscription à l’école maternelle, on s’est aperçu qu’on était encore sectorisé sur un établissement éloigné. Une école privée se trouvait à 40 secondes de chez nous. Le tarif annuel y était anecdotique ; un paquet de collègues travaillant dans la presse ou la mode y avaient scolarisé leurs enfants et ne tarissaient pas d’éloges au sujet de l’établissement… Et puis, on pensait que ce ne serait que pour une année ou deux puisqu’on avait le projet de déménager. On s’était imaginé qu’elle retrouverait le système public très rapidement. On n’avait pas anticipé la difficulté de trouver un appartement dans Paris ni l’attachement que les petits ressentent pour leur première école. Dès l’entrée en maternelle, on a commencé à me convoquer : ma fille avait du mal à rester assise sans bouger toute la journée et « c’était un problème ». « Elle n’est pas concentrée, elle se tient assise, elle reste sage mais s’affale progressivement au fil de la matinée » ajoutait sa maitresse qui ne cessait de me culpabiliser en me rappelant « qu’une journée entière, c’était beaucoup pour un enfant de trois ans » et que ma fille était « la seule à rester à la cantine tous les jours ». Et oui, je bossais ET je n’avais pas les moyens de m’offrir les services d’une nounou à mi-temps. En seconde année de maternelle, nouvelle convocation. Cette fois pour nous parler du « niveau » de coloriage « déplorable » de notre petite fille de 4 ans. Il faut dire qu’elle « s’amusait » à colorier exclusivement à l’extérieur des zones de remplissage. À la maison, je continuais à la voir comme un petit génie rempli de créativité, inventant de longues intrigues élaborées pour ses peluches, se déguisant avec des trouvailles improbables et vibrant la joie du matin au soir. J’ai conservé des enregistrements des histoires qu’elle imaginait lors de nos road-trips. Sa créativité ne connaissait aucune limite. Nous n’étions pas inquiets pour elle, plutôt amusés par les attentes grotesques des maitresses de cet établissement privé. En grande section, certains de ses camarades savaient déjà lire. Notre fille avait eu des déclics assez tôt avec les syllabes qu’elle identifiait aisément mais s’était brusquement rétractée comme un bernard-l’hermite dans sa coquille. Je n’en comprenais pas la raison mais on n’était pas pressé, elle n’avait pas encore six ans. Avant l’entrée au CP, un médecin est venu établir un bilan de chaque écolier inscrit en grande section. Notre enfant n’a pas réussi à répondre à des consignes graphiques simples mais a fait une ligne de clés de sol qui a estomaqué le médecin me demandant de la faire tester pour vérifier son QI. Cette petite fille ne rentrait pas dans les cases, ce qui continuait à me réjouir.

Le début d’un long cauchemar avec l’entrée au CP

L’entrée tant attendue au cours préparatoire – la « grande » école, « c’est super tu vas apprendre à lire et à écrire ! » – a été ressentie comme une punition brutale par toute la famille. Finis les jeux, la pâte à modeler, les collages et les comptines. Au bout de quelques jours, j’ai vu ma fille s’assombrir. L’école était désormais un lieu sérieux où elle devait trimer sans pause. Pire, le temps scolaire ne prenait plus fin à 16h30 mais venait s’immiscer à la maison avec les devoirs de lecture et d’écriture chaque soir. Dans sa classe, beaucoup de mômes âgés de six ans disposaient déjà de « petits cours » à domicile pour les aider lorsqu’ils n’étaient pas coachés par leurs parents pour absorber des leçons à l’avance. Tout le monde avait beau répéter « On refuse de lui coller la pression, on fait le strict minimum », je me sentais angoissée en voyant la liste des activités des autres écoliers. J’ai même fini par inscrire ma fille chez les experts de l’enseignement britannique pour faire comme les autres « parce que tu comprends, c’est le seul moyen qu’ils deviennent un jour bilingues ». J’avais beau savoir que ce n’était pas comme ça que j’avais réussi à apprendre l’anglais, j’ai suivi comme un mouton. À la sortie de l’école, les discussions tournaient souvent autour des meilleurs moyens d’intégrer de célèbres établissements privés parisiens. Je me sentais complètement larguée, d’autant que notre petite fille avait du mal à lire plus de quatre syllabes d’affilée. Pour les maitresses, l’objectif était clair : lecture fluide et acquise pour les vacances de Noël, stylo plume avec cartouche au mois de février. Notre gamine si joyeuse à la maison pleurait dès qu’on ouvrait son cahier de lecture. Combien de crises pour faire rentrer une frise numérique jusqu’à vingt ? Combien de marelles inventées au sol avec de grandes feuilles de papier pour apprendre à compter : « Regarde, c’est comme si tu grimpais les étages d’un immeuble ! Quand tu es sur la case 5 et que tu veux monter d’une marche, tu arrives sur quelle case ? PAS LA HUIT NON, TU ARRIVES SUR LA CASE SIX, LA CASE SIIIIIIX, FAIS UN EFFORT, BON SANG, C’EST QUAND MÊME PAS COMPLIQUÉ » ? Pas plus de résultats du côté de l’apprentissage de la lecture. Elle qui adorait feuilleter des livres dans sa chambre se fermait désormais au moindre déchiffrage. « Bravo mon poussin, tu as reconnu le mot « chat ». Donc qu’est-ce qui se passe lorsqu’on place un R à la place du T, un rrrrrreu, ce mot, ça se dit ? NON pas chatte ! CHAR ! CHARRRRRRR ». J’ai très vite remarqué que la présence de ma fille s’évaporait pendant les devoirs : son regard devenait fuyant. Absent. Un océan de tristesse dévorait sa pupille. Pourtant, à la maison, dès qu’elle jouait, elle n’éprouvait plus aucune lassitude. Elle aimait faire « seule » et tenait à apprendre par elle-même. Ses deux maitresses nous ont convoqués dès le mois d’octobre, après l’entrée au CP : « Le niveau en mathématiques de votre fille est très inquiétant, elle ne comprend rien. Il va falloir insister le soir et lui montrer avec des allumettes ou des élastiques. Faites preuve d’inventivité… » Pire : « Votre fille est très lente, souvent on lui fait manquer la récréation pour qu’elle ait le temps de finir d’écrire ce qui est au tableau. D’ailleurs, vous voyez, là, on l’a chronométrée ; elle a mis onze minutes à écrire cette phrase, elle se moque du monde ! ». Je ne sais pas pourquoi on n’a rien répondu ce jour-là ni toutes les fois où l’on nous a parlé ainsi de notre enfant à cette époque. Assis sur les petites chaises d’écolier pendant que les deux institutrices se tenaient debout sur l’estrade, nous étions impressionnés. Impuissants. Coupables. C’était forcément notre faute. Mon mari et moi épluchions nos souvenirs d’enfance afin d’y trouver un indice. J’avais adoré l’école. J’y allais avec joie et je faisais partie des bons élèves qui collectionnaient les images et les tableaux d’honneur. Je gardais un souvenir terrifiant des exigences de mon père qui ne se contentait jamais de mes 18/20. Parfois, en perdant patience avec ma fille devant une phrase à lire, je sentais une colère rugir à l’intérieur de moi qui me faisait peur : était-ce cet héritage émotionnel paternel que je transmettais à mon tour comme une maladie grave ? Je me suis très vite résolue à ne plus faire les devoirs avec elle. Du côté de mon mari, ses souvenirs étaient à l’opposé des miens. Brillamment sorti d’une école supérieure d’arts graphiques prestigieuse après le Bac, les années qui avaient précédé constituaient un long cauchemar du cours préparatoire jusqu’à la terminale. Il redoutait que notre enfant vive le même calvaire. Malgré son calme légendaire, lui aussi s’énervait pendant les devoirs de notre fille. Qu’était-il arrivé à notre enfant dont on ne cessait de nous vanter l’intelligence et la rapidité ? Pourquoi est-ce qu’on nous parlait d’elle comme de la dernière des débiles ? Après l’avoir perçue comme un génie, nous étions à présent les parents d’une écolière « au ralenti ». Je me souviens d’une journaliste avec qui j’avais partagé mes inquiétudes qui m’avait demandé : « Mais il y a bien une matière où elle excelle, non ? ». Là encore, je n’avais pas su quoi répondre. À six ans, en quoi est-on sensé exceller précisément ? Doit-on maitriser deux langues couramment, être un prodige au piano ?

En quête désespéréE de soutien

En CE1, on prêtait déjà à notre fille des intentions malignes : « Elle peut mieux faire et se moque de vous ». On disait aussi qu’elle souffrait d’une paresse infinie : « Elle ne se donne pas de mal, ne fait aucun effort ». Et puis, lorsqu’elle n’était pas responsable de ses difficultés, c’est à nous qu’on faisait des reproches : « Vous lui collez trop de pression ! Embauchez un professeur pour faire les devoirs du soir ! Vous n’êtes pas faits pour enseigner à votre enfant, passez le relais à ceux qui savent. » On s’est exécuté. Enseignants diplômés, étudiantes, babysitters… on a tout essayé. Il n’y a pas eu de miracle. Je ne comprenais pas. À la maison, on s’aimait fort, on n’avait pas d’attente de dingue, juste l’envie qu’elle avance au rythme du reste de sa classe. On en a consulté des experts pour nous aider… Une graphothérapeute recommandée par les maitresses du CP qui m’a expliquée, devant ma fille, que tout était dû à mon accouchement par césarienne qui l’aurait « traumatisée ». On n’y a jamais remis les pieds. Des psys, en veux-tu en voilà, nous ont conduit à interroger notre propre rapport à l’école, à l’autorité et à nos parents. Ce n’était pas inintéressant mais tout était culpabilisant, en particulier pour moi, puisque j’étais la mère, CQFD. Combien de fois suis-je sortie en larmes de ces rendez-vous en étant convaincue que tout était effectivement lié à mon enfance dysfonctionnelle ?  J’avais déjà bousillé cette gamine si petite, que j’aimais plus que tout. On m’a aussi reproché d’avoir trop de succès dans ma vie professionnelle : « Vous savez, c’est très difficile pour votre enfant d’avoir une mère qui réussit, montrez-lui plutôt comment vous échouez, ce sera plus facile à vivre pour elle ». On nous a aussi dit que notre fille avait une intolérance à l’échec et que c’était de l’ordre pathologique. Elle devait, entre chaque séance, remettre des « dessins ratés », ce qui la chagrinait terriblement. Une autre psychologue a exigé de voir notre fille seule pendant quelques séances. Au bout d’un mois, elle nous a annoncé que notre enfant faisait partie de ceux qu’on appelle « HPI » (Haut Potentiel Intellectuel) souffrant également d’un léger « TDA » (Trouble de l’attention) qui allait « se résoudre seul », en grandissant : « Elle a une Ferrari à la place du cerveau mais n’a pas encore mis les clefs dans le contact. Ça va venir avec la maturité, ne vous inquiétez pas… quant aux notes, ne les regardez plus, ce n’est pas important ». Elle nous a aussi recommandé de changer notre fille d’école le plus rapidement possible car la quasi-totalité de sa patientèle était issue de l’établissement privé et pressurisant où nous avions scolarisé notre fille par flemme de marcher 10 minutes de plus chaque matin. On a déménagé. On l’a inscrite dans le public et on a retrouvé un peu plus de normalité dans les attentes et les devoirs. Moins de stress et de compétition. Plus de souplesse autour des devoirs. Des enseignantes choquées par la pression à laquelle nous avions accepté de nous soumettre jusqu’alors. On s’est dit que tout allait enfin s’arranger. Malheureusement, la haine de notre enfant pour l’école et ses apprentissages s’est encore amplifiée. Privée de ses anciennes copines qui constituaient le socle de ses journées d’école, elle s’est refermée sur elle-même. Elle s’est mise à développer des tonnes de stratégies d’évitement pour ne pas faire ses devoirs (oubli des manuels, du cahier de texte…). Et puis sont arrivées des terreurs nocturnes qui ne se manifestaient que pendant les périodes scolaires, jamais pendant les vacances. J’en ai consulté des thérapeutes à ce sujet… Ma fille a bu des litres de fleurs de Bach (zéro résultat), a pris de la mélatonine (aucun effet). J’ai même fait intervenir un géobiologue pour « nettoyer » sa chambre des « énergies stagnantes » (80 euros, le type a agi par la puissance de sa pensée, sans même recevoir un plan de l’appartement, c’est dire combien j’étais désespérée et prête à tout essayer pour soulager nos nuits). Une « guérisseuse énergétique » m’a également soutenue que « ma fille était fermée à recevoir la guérison »… Bien sûr, je ne croyais pas tout ce qu’on me disait. N’empêche que je me souviens de ces phrases qui sont longtemps restées en moi, à feu doux. Une psychomotricienne nous a confirmé le diagnostic HPI et nous a également parlé d’une empathie émotionnelle démesurée (ça viendrait dans le package de l’enfant inadapté à la scolarité). Pourtant, malgré tout ce que je raconte ici, elle réussissait à obtenir des notes tout à fait honorables. Elle n’a jamais été menacée de redoubler, a toujours fait partie de la moyenne de la classe… Peut-être qu’on sur-réagissait tous pour rien ?

Tout essayer

Nous avons continué à consulter pour l’aider à s’épanouir, pas pour améliorer ses résultats. On nous a reproché de ne pas passer suffisamment de temps « de qualité » avec elle. On nous a demandé de mettre en place un système de points : « Si tu notes bien tes devoirs dans ton cahier, tu gagnes une étoile, au bout de cinq étoiles, on choisit une activité à faire en famille ». En travaillant de la maison, on était pourtant très présents tous les deux, mon mari allait la chercher tous les jours, je n’arrêtais pas de prévoir des activités avec elle. Je déjeunais aussi tous les mercredis avec elle. « Alors, c’est que vous en faites trop ! Vous la stimulez trop, vous lui collez à nouveau la pression ». Lorsqu’un enfant connait une difficulté, quelle que soit l’option choisie par les parents, elle est toujours jugée mauvaise. Pendant un temps, on nous a demandé d’installer un matelas pour elle dans notre chambre. La plaie. Elle dormait paisiblement mais nous, les parents, nous sentions envahis. On lui a laissé abandonner un grand nombre d’activités périscolaires en cours de route pour ne pas générer plus d’anxiété. C’était super difficile pour moi car j’ai été élevée dans l’idée qu’on ne doit pas laisser tomber quelque chose qu’on a commencé avant d’avoir terminé l’année. Je craignais qu’elle nous en veuille un jour de ne pas l’avoir plus poussée. J’étais perdue. « Elle est naturellement douée mais ne travaille pas suffisamment » était la phrase qu’on entendait le plus souvent. J’ai fini par accepter cette narration : notre enfant était paresseuse. Ce n’était pas un poil, c’était une forêt de baobabs qui s’enracinaient dans le creux de sa main. Avant l’entrée au CM2, je suis allée voir la directrice de son établissement pour lui demander qu’elle fasse sa rentrée avec une institutrice qui intégrait des cours de théâtre (la passion de ma fille) dans son enseignement. Les parents comme les élèves l’adoraient. Il me fallait une oasis dans ce désert de tristesse. Notre fille venait de passer son CM1 avec une maitresse en dépression qui n’avait pas obtenu son affectation en Normandie alors qu’elle s’y était installée. Elle était âgée, souffrait du dos et ne supportait plus tous ces trajets quotidiens. Cette situation difficile la rendait irritable. Nos gosses n’arrêtaient pas de l’entendre hurler et ma fille en avait conclu que les enseignants étaient des créatures masochistes qui se condamnaient eux-mêmes à rester en prison à perpétuité en faisant le choix de rester à l’école. J’ai expliqué à la directrice les difficultés de notre enfant, je lui ai confié les diagnostiques HPI de psy qu’on recommande habituellement de garder confidentiels. Le jour de la rentrée, elle a pourtant choisi de mettre notre fille dans une autre classe, la privant simultanément de l’institutrice tant espérée et de l’intégralité de ses camarades des années passées. J’ai cru à une erreur, j’ai couru voir la directrice pour l’interroger. Elle n’a pas voulu répondre à mes questions. Ma fille était en larmes. On n’a rien pu faire. Elle avait été punie parce que la directrice avait trouvé ma demande cavalière et inappropriée. La fin de l’école primaire s’est ainsi achevée dans un grand gâchis émotionnel.

Les années collège, les années covid

L’entrée en 6e nous a offert quelques semaines d’espoir. Au début, notre jeune collégienne était amusée par le changement de classe et la variété des professeurs. Certaines matières lui plaisaient plus que d’autres et lui offraient quelques respirations appréciées. L’environnement semblait mieux lui convenir. On était tous soulagé. Dès que les premières notes ont commencé à tomber et que la somme des devoirs a augmenté, ses angoisses sont revenues en force. On a continué à déployer tout ce qui semblait la soulager : une étudiante pour l’aider le soir, une psy quand elle en ressentait le besoin, pas trop d’activités mais des cours de théâtre qu’elle affectionnait. La pression au collège public à Paris (je ne sais pas si c’est pareil en province) est différente mais pas moins forte que dans la petite école privée que nous avions connue. Je me souviens du tout premier discours du principal du collège à l’attention des parents des élèves en sixième : « Surtout ne collez pas de pression à vos enfants dès la sixième au sujet de leur entrée au lycée ! Ils auront tout le temps d’y penser en début de 4ème lorsque leurs notes compteront pour leur dossier d’admission. De toutes façons, ne vous faites pas d’illusion, il y a très peu de chances pour que vos enfants intègrent l’un des grands lycées parisiens, même s’il y en a un dans votre quartier. Il faudra pour cela que votre enfant obtienne au moins 16 de moyenne afin que son dossier soit pris au sérieux. Et encore, 17 ou 18 c’est mieux. Donc, surtout ne leur collez pas de pression dès maintenant ». Mais qu’espérait-il en diffusant cette injonction contradictoire ? Évidemment, elle a eu l’effet inverse : les parents sont rentrés chez eux en se disant qu’il fallait absolument que leur enfant se prépare à être le meilleur pour ne pas atterrir dans un lycée trop pourri quatre ans plus tard. Et même lorsque certaines familles réussissent à ne pas se soumettre à ce diktat, il y a toujours un professeur pour rappeler aux collégiens que « ce n’est pas comme ça qu’ils vont obtenir une place dans un bon lycée ». Quelques éléments sont boostés par cette compétition (mais est-ce vraiment un moteur de création de société juste ?). D’autres, et ils sont nombreux, perdent tous leurs moyens. Est-ce ce que nous souhaitons pour nos enfants ? En 5e, l’année scolaire de notre fille a été interrompue assez rapidement par plusieurs mouvements sociaux. Elle était ravie de ne pas avoir cours, soit parce que les transports étaient indisponibles soit parce que ses profs faisaient grève. (NB : je ne suis pas en train de critiquer le droit de grève !). Tout ce qui pouvait l’éloigner de l’école était toujours un cadeau à ses yeux. Elle avait une ribambelle de copines et l’intérêt du collège se trouvait dans la cour de récré, ce qui était normal et rassurant pour son âge. Elle galérait pas mal avec l’orthographe et les mathématiques mais elle adorait l’anglais et son professeur d’histoire géographie, qui racontait les événements comme une série Netflix, la captivait. J’ai déniché un prof à domicile sensé l’aider pour les devoirs. Il m’avait été recommandé par une directrice d’école alternative dont j’admire le travail. Ses tarifs étaient vertigineux mais il était vraiment drôle donc nous avons fait l’essai. Au fil des semaines, je me suis aperçue que les séances de devoirs se transformaient en conversations thérapeutiques qui se concluaient toujours par : « Aujourd’hui, nous n’avons pas réussi à travailler car elle n’en avait pas envie ». Les notes chutaient, les devoirs n’étaient pas faits et la panique de notre fille décapsulait chaque veille de retour en classe. Je commençais à émettre quelques doutes sur la méthode lorsque cet homme, qui n’était ni psy ni diplômé en une quelconque technique thérapeutique a déclaré devant mon enfant : « Je pense que ce serait bien que votre famille entame un vrai travail pour comprendre ce qui, dans la structure, est défaillant. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, c’est évident. Vous voyez cette table (pointant celle de notre cuisine) elle semble être droite. Imaginez qu’elle tienne en équilibre sur trois pieds. Je pense qu’il s’est passé quelque chose dans l’histoire de votre enfant et il va falloir trouver ce que c’est. Quel est ce pilier qui lui fait défaut ? Cela pourrait expliquer ce qui la handicape dans la relation à l’autre. Parce qu’il me semble que ce que vous avez mis en place jusqu’ici est trop léger, c’est de la PNL bon marché. » J’en avais entendu des hypothèses de la part des professionnels de l’enfance. Mais me faire sermonner devant mon enfant, sans consentement, avec un diagnostic « structurel » sorti de nulle part, ça, c’était inédit. On ne l’a plus jamais revu. Quelques semaines plus tard, une épreuve universelle nous attendait : la crise sanitaire. Au début, notre fille était ravie à l’idée d’être en vacances avec son chat et ses parents à la maison pendant quinze jours. Très vite, la solitude, la privation de sorties et d’espaces verts ont profondément affecté notre enfant. Évidemment, on a fait comme tout le monde : des apéros visio en famille, des appels vidéo avec les copines, de la pâtisserie, des jeux, du sport dans la cour intérieure de notre immeuble… Mais chaque annonce de rallonge du confinement l’affectait un peu plus. La quasi-totalité de ses professeurs n’était pas joignable et ne donnait pas de nouvelles aux enfants ni de devoirs à suivre à la maison. Au fil des jours, la joie de vivre de notre fille de douze ans s’est évanouie. C’est alors qu’elle a commencé à parler de son désir de mourir. Les méditations que j’encadrais chaque jour sur Instagram pendant toute cette période nous ont maintenus debout. Souvent on me dit dans la rue « vous avez sauvé mon confinement ». En vérité, la première sauvée par ce cadre quotidien, c’était moi. Pendant cette heure de partage, j’allais puiser la force de soutenir ma jeune adolescente dans ce moment si difficile. À la fin, la situation est devenue si douloureuse que notre médecin de famille nous a ordonnés de fuir Paris pour rejoindre la campagne. Mais où aller alors qu’il nous était encore interdit de nous voir ? Et qui allait accepter de me louer une maison dans le climat de dénonciation qui régnait en avril 2020 ? Le propriétaire du mas cévenol où nous passions nos étés s’est rétracté plusieurs fois et a fini par accepter en lisant la prescription de notre médecin très inquiet et en m’écoutant le supplier en larmes. Nous avons traversé la France sans croiser un seul véhicule pendant huit heures de trajet. Lorsque nous sommes arrivés, ma fille s’est jetée au sol pour embrasser la terre, les bras en croix. Je découvrais son attachement à l’espace et à la nature. Les derniers jours de ce premier confinement se sont déroulés au bord de notre rivière adorée. J’ai contacté le collège pour leur faire part de l’épisode dépressif de notre enfant. Je n’ai jamais reçu de réponse. J’ai relancé pour vérifier la bonne réception du message. Il avait été lu. L’établissement était complètement dépassé par la mise en place des nouvelles normes sanitaires… Cette horrible période nous a permis de prendre conscience que ce lieu qui jouissait d’une réputation prestigieuse n’était absolument pas adapté aux besoins de notre fille. Sa psy lui a recommandé de prouver sa motivation en s’engageant avec nous dans la recherche d’une école. Notre ado s’est investie pleinement dans cette quête. Cette perspective lui a permis de supporter les insultes de son prof de maths de 4e qui l’a baptisée « la quiche » toute l’année et m’a dit en tête-à-tête : « Vous me dites qu’elle est intelligente… encore faudrait-il le prouver ! ». Notre fille s’en foutait. Elle savait qu’elle irait dans un collège lui permettant de faire du théâtre quotidiennement. Ça nous a pris quelques mois pour le trouver et elle a pu l’intégrer en 3ème. Comme elle y est encore scolarisée, je ne révélerai pas le nom de ce lycée privé. J’en parlerai lorsqu’elle en sera sortie.

Le bliss, la dépression puis le diagnostic

Tout ce que nous avons tenté pour lui permettre de se sentir mieux dans sa scolarité a toujours été entrepris avec ferveur et conviction. L’entrée dans son nouvel établissement en 3ème a donc bénéficié du même enthousiasme. Nous avions enfin trouvé un projet pédagogique dont nous partagions les valeurs. Notre fille était métamorphosée. Pour la première fois depuis la maternelle, elle nous racontait ce qui s’était déroulé pendant les cours, nous parlait de ses devoirs avec joie. Quant aux cours de théâtre où elle se rendait l’après-midi, c’était l’extase. Enfin, elle était heureuse d’apprendre et aucun prof ne me convoquait pour me dire que ça n’allait pas. Je le répétais à toutes mes copines au téléphone à la maison. On était si content ! Cette scolarité nous coûtait une blinde et nous obligeait à faire des économies sur de nombreux projets mais ça en valait la peine. Lorsque notre ado s’est remise à éprouver une grande tristesse, elle n’a pas voulu nous en parler. Elle ne voulait pas gâcher la fête. Elle a pris sur elle comme elle a toujours appris à le faire auparavant. D’où venait cette mélancolie qui l’accablait dès qu’elle partait à l’école et dont elle ne montrait aucun signe à la maison ? En juin 2022, alors que je venais de passer six mois très douloureux et que je me sentais un peu mieux, elle s’est enfin confiée à moi. J’ai senti le sol s’ouvrir sous mes pieds lorsqu’elle m’a dit calmement : « Je ne veux pas que tu te fâches ni que tu me demandes si on m’a fait du mal car personne ne m’a rien fait mais je crois qu’il est temps que je te dise que j’ai souvent envie de mourir. Le matin, lorsque je pars au collège, je sens cette vague de tristesse qui monte et je ne sais pas d’où elle vient. Ça n’a d’ailleurs rien à voir avec mon école que j’aime beaucoup. Je voudrais avoir la force de sauter sous les rames mais je ne veux pas vous faire de la peine et je ne crois pas que j’en serais capable. Emmène-moi voir un psychiatre, je voudrais savoir ce qui ne tourne pas rond en moi. Je voudrais comprendre. J’ai peut-être une pathologie, quelque chose qui pourrait expliquer ? Je me sens toujours à côté de la plaque, j’ai du mal à trouver ma place, je ne comprends rien en cours, on me dit que je suis intelligente mais pourquoi est-ce que je me sens toujours en échec ? Peut-être que je suis dyslexique ou quelque chose dans ce genre-là ? ». Voilà comment à 14 ans et demi cette jeune fille verbalisait avec précision son ressenti. J’étais en larmes. Terrorisée par son désir de mourir et sidérée par sa capacité à formuler des hypothèses sur son propre cas. Trouver un psychiatre disponible pour une adolescente avant l’été 2022 n’était pas si simple. J’ai dû me faire pistonner alors que j’habite à Paris, une ville plutôt bien fournie en experts médicaux. Je n’ose imaginer la situation de parents installés dans des zones isolées ou ne bénéficiant d’aucun réseau pour les aider. Sans parler du surcoût non pris en charge par la sécurité sociale ou la mutuelle. Notre fille a immédiatement été rassurée sur sa santé mentale : toutes les pathologies psychotiques ont été écartées. L’épisode dépressif a été confirmé. Il fallait désormais en connaitre l’origine. La psychiatre a exigé un bilan sanguin et gynécologique (l’avantage de voir un médecin permet de balayer toute les hypothèses) et a aussi prescrit un bilan orthophonique. Je ne voyais pas bien le rapport. Notre fille avait déjà vu des orthophonistes pour une déglutition primaire, personne n’avait rien relevé de particulier. Et puis, en dix ans de souffrance scolaire, jamais personne n’avait parlé d’orthophonie ! « Je voudrais m’assurer qu’elle ne souffre pas de dyslexie » a-t-elle répondu. Impossible ! Elle savait lire et ne confondait pas les syllabes (ce qui était, comme je le croyais alors, les deux critères identifiant la dyslexie). Si la prise de rendez-vous avec un psychiatre pour ado relève du miracle, dénicher un.e orthophoniste disponible exige le niveau olympique de la patience. J’ai appelé une trentaine de praticiens dans mon arrondissement et les arrondissements voisins au cours du mois de juillet 2022. Pas de premiers rendez-vous avant le mois de décembre. On a couru partout. Dans les laboratoires d’analyse de sang. Chez les gynécos. Chez le radiologue. On a même pris rendez-vous avec une psychologue experte en bilan neuropsy afin de voir si on ne passait pas à côté d’un autre problème. Il a fallu attendre le mois de septembre pour obtenir les premiers résultats de tous ces bilans. Tous confirmaient que notre fille était dyslexique, dyscalculique, dysorthographique. C’était comme le nez au milieu de la figure et personne ne l’avait pourtant décelé jusqu’ici. Les nombreuses pages du bilan neuropsy nous ont été envoyés par email sans accompagnement (je n’ose écrire ici le prix que ce bilan non remboursé par la sécurité sociale nous a coûté, c’est indécent). En le lisant, je me suis écroulée en sanglots. Des mots s’imprimaient dans mon cerveau comme « en déficit » ou « tout juste la moyenne »… Mon mari également était très affecté. À présent que nous apprenions à nous familiariser avec un nouveau jargon, que devions-nous faire pour l’aider ? On nous a tout de suite proposé des médicaments. Un traitement chimique pour la dépression (qui s’était évaporée pendant l’été puisque les symptômes ne se manifestaient qu’en période scolaire), un autre pour mobiliser son attention en classe (la fameuse ritaline), des séances deux fois par semaine chez l’orthophoniste et un traitement thérapeutique avec EMDR… On s’est posé. On a beaucoup parlé avec les profs. Et on a écouté attentivement notre fille qui ne voulait pas de médicaments contre les troubles de l’attention. Je sais que beaucoup de familles ont vu leurs enfants se métamorphoser positivement avec ces traitements (je ne veux pas lancer d’avis sur le sujet, je ne suis pas médecin ni habilitée à donner des conseils). Désirant respecter le choix de notre ado, il nous fallait trouver une autre voie.

82% des filles dyslexiques ne sont pas diagnostiquées

Un soir, sans bien comprendre pourquoi, j’ai pensé à une copine qui vient parfois à mes cours de yoga et qui est passionnée de psychologie. Elle n’a pas d’enfant, on n’a jamais parlé de dyslexie ensemble, on n’est pas particulièrement proche mais j’ai ressenti le besoin de tout lui raconter. Elle m’a recommandé d’écouter un épisode du podcast Métamorphose avec l’orthophoniste et neuropsychologue Béatrice Sauvageot, fondatrice de l’association Puissance Dys. Notre fille avait commencé un travail avec une psy experte en EMDR qui ne l’avait pas franchement convaincue ; je galérais pour trouver une orthophoniste disponible proche de son lycée ou de notre domicile ; on ne savait pas quoi faire des recommandations contradictoires. Même si le diagnostic avait soulagé toute la famille, nous ne savions pas dans quelle direction avancer. J’ai écouté le podcast dans un train. Et j’ai tellement pleuré. Béatrice Sauvageot y était interviewée par Anne Ghesquière et lui expliquait la spécificité des dyslexiques qu’elle surnomme les « dys ». Pour la première fois en quinze ans, je reconnaissais mon enfant. Pour la première fois, j’entendais une professionnelle de la santé parler positivement des particularités de ma fille. J’ai ainsi appris que 82% des filles dyslexiques ne sont pas diagnostiquées (ou le découvrent à l’adolescence, voire même à l’âge adulte à la faveur d’une dépression) car elles sont habituées dès l’enfance à « rester sage ». Spoiler : le cerveau des filles n’est pas doté à la naissance d’une fonction « je suis sage et reste mignonne en toutes circonstances ». C’est juste un conditionnement. On trouve acceptable qu’un garçon soit dissipé, qu’il chahute ou qu’il cabriole dans la cour de récré. Ces comportements sont désignés comme des signes de virilité qui viennent valider l’appartenance au genre masculin. Lorsque les petits garçons deviennent trop pénibles en classe, on se met rapidement en quête d’une explication. Et les diagnostics sont posés. Les filles, elles, répriment leurs difficultés, font semblant que tout va bien, compensent de mille manières leurs émotions « dites négatives » et peuvent passer des années à l’école sans que personne ne s’aperçoive qu’elles souffrent d’un handicap. Ce n’est pas seulement le cas pour la dyslexie : on constate la même défaillance de diagnostic chez les filles atteintes de troubles autistiques ainsi que tout autre type de troubles de l’apprentissage. Cette information m’a bouleversée. En en parlant autour de moi, des femmes adultes ont commencé à me confier leur long calvaire à l’école et le soulagement ressenti lorsqu’elles ont appris au lycée, à l’université ou parfois bien plus tard qu’elles étaient dyslexiques. Pire : il y a toutes celles qui, en m’écoutant décrire les difficultés de ma fille, se sont reconnues, ont fait un test et ont enfin compris pourquoi elles ont eu tant de peine à trouver leur place dans la vie. Les femmes dyslexiques ne sont pas les seules à ne pas être diagnostiquées. Il y a également beaucoup de garçons, d’ados et d’hommes adultes qui ne savent pas qu’ils sont dyslexiques et croient toujours qu’ils sont « nuls », « paresseux », « débiles », « incapables » car c’est ce qu’on leur a répété pendant des années en classe. C’est pourquoi Béatrice Sauvageot a mis au point un test gratuit pour les enfants, les ados et les adultes qui prend une dizaine de minutes sur le site de l’association Puissance Dys. Je précise que l’élaboration de ce dépistage a été soutenu par une mutuelle de santé qui en a évalué l’efficacité. On a tous répondu au questionnaire à la maison. C’est ainsi que nous avons découvert que mon mari souffrait également d’une dyslexie non diagnostiquée. Cette information l’a beaucoup ému et a jeté un nouvel éclairage sur le récit de son parcours scolaire. Une réparation profonde était en train de s’orchestrer pour deux générations de la même famille.

La dyslexie : qu’est-ce que c’est ?

« Selon l’Insee, il existe 24% de personnes souffrant de troubles de l’apprentissage en France. Selon l’OMS, 8 à 12% de Dys dans le monde » rappelle l’association Puissance Dys sur son site. Imaginez ce que cela représente dans une salle de classe et dans la société en général. Or, la dyslexie comme la plupart des troubles de l’apprentissage restent méconnus à la fois des parents et du corps enseignant. Avant de m’informer, je croyais que les dyslexiques étaient des personnes mélangeant les lettres de l’alphabet à l’écrit comme à l’oral. Pour être tout à fait honnête, je pensais aussi que la dyslexie était synonyme d’une forme de déficience intellectuelle (un jugement qui résulte d’une éducation qui mesure l’intelligence selon les notes à l’école et la capacité à écrire sans faire de fautes). En préparant ce post, j’ai lu un grand nombre d’articles publiés ces dernières années sur la dyslexie et je m’aperçois que même en cherchant à être informatifs, la plupart d’entre eux créent des raccourcis au sujet des « dys ». Par exemple, il est écrit – dans des journaux très sérieux – que les dyslexiques sont identifiables dès lors qu’ils confondent les « p », les « b » et les « t » à l’entrée au CP. Si c’était aussi simple, il n’y aurait pas autant de « dys » qui s’ignorent. En fait, ce trouble, héréditaire dans la plupart des cas, qu’on peut mesurer avec une imagerie cérébrale se manifeste de manière assez variable d’un individu à l’autre : dysorthographie, dyscalculie, dyspraxie, dysphasie, multi dys… Il s’accompagne parfois d’autres spécificités : on peut être Dys et HPI, Dys et avoir un TDA avec ou sans hyperactivité, Dys et Asperger… Depuis quelques années, plusieurs chercheurs ont réussi à identifier la dyslexie avec l’aide d’IRM. Évidemment, ce n’est pas un examen proposé pour déceler la dyslexie puisqu’un bilan mené par un.e orthophoniste suffit. « Dans une activité de langage et par rapport à la norme, les dyslexiques ont de façon quasi systématique une activité réduite du lobe pariétal gauche et une activité plus importante du lobe droit » publie le site Ordyslexie. Si l’on schématise grossièrement, il est dit que la partie gauche du cerveau serait un siège analytique et séquentiel. C’est cette zone qui est stimulée quand on fait des mathématiques, lorsqu’on se concentre sur les détails, qu’on élabore le langage et qu’on fait preuve de logique. Le côté droit est empirique et intuitif. Le traitement de l’image et de la communication non verbale se déroule dans cette partie. Ici c’est la globalité qui compte plutôt que le détail. C’est avec ce lobe qu’on réussit à voir l’ensemble. Or c’est ce côté du cerveau qui est plus actif chez les Dys alors que l’apprentissage scolaire – tel qu’il est proposé actuellement et depuis des décennies dans la majorité des établissements – repose sur l’activité de la partie gauche. L’orthophoniste et neuropsychologue Béatrice Sauvageot répète souvent que l’activité cérébrale est trois fois plus importante chez un dys que chez un non-dys. Lorsqu’un enfant dys regarde un film, il perçoit plus d’images à la seconde qu’un enfant non-dys. Idem pour les sons. Pas étonnant qu’ils aient du mal à rester concentrés. Pendant qu’on leur demande de focaliser sur des détails, les enfants cherchent la globalité de l’information. Un exemple frappant : ma fille a appris à parler anglais en regardant la série Friends en version originale. C’est sa matière préférée, elle s’exprime parfaitement bien à l’oral. La langue a été absorbée d’un coup, sans passer par différents paliers d’apprentissage. Si elle avait dû apprendre l’anglais uniquement avec l’enseignement au collège, elle serait encore en train de galérer sur l’usage des verbes irréguliers. À l’école, on commence par le détail pour aller vers la globalité. Les dys ont besoin de l’opposé.

Des mutants aux qualités innombrables si elles sont stimulées

La dyslexie est un handicap non visible. Extrêmement difficile à vivre à l’école où les dys sont toujours renvoyés à leur « nullité ». Cette anomalie cérébrale donne pourtant accès à une intelligence rare. Les dys perçoivent plus d’informations sensorielles que la moyenne. C’est d’ailleurs ce qui leur fait perdre le fil d’une concentration « mono centrée ». Au lieu d’aller d’un point A à un point B sans détour, leur cerveau fonctionne en arborescence. Ils sont doués d’une empathie incroyable, ce qui leur permet de « sentir » les êtres qui les entourent à l’instar d’un scanner à émotions. Il suffit de s’intéresser au fonctionnement de la partie droite du cerveau (plus active chez eux que chez les non dys) pour avoir une idée du potentiel qu’ils sont capables de déployer : l’hémisphère droit dirige la créativité et l’imagination. Il n’est pas seulement intuitif, il sait mener plusieurs actions simultanées (ce qui parait fou quand on sait à quel point les dys ont du mal à organiser leur pensée). Il déduit à travers l’expérience et l’erreur. Saviez-vous qu’Albert Einstein, Mozart, Beethoven, Pasteur, Leonard de Vinci, Picasso, Steven Spielberg, Jack Nicholson, Dustin Hoffman, Thomas Edison ou encore Steve Jobs ont tous la dyslexie pour point commun ? Lorsqu’ils parviennent à transmuter leur handicap, les dys deviennent des inventeurs incroyables, des pionniers, des visionnaires, des artistes capables de pressentir le futur et leur époque. Inadaptés au monde qui les entoure, ils sont condamnés à en inventer un nouveau pour s’en sortir. Le coach professionnel Louis de Nassau qui participe à l’animation des stages Puissance Dys pour les enfants et leurs parents m’a expliqué qu’il y avait deux franges de la population où l’on retrouve des « dys » en grande proportion : chez les entrepreneurs et les artistes (ce qui leur permet d’inventer leur propre système après s’être sentis longtemps inadaptés). En revanche, lorsqu’ils ne parviennent pas à trouver une passion qui les anime et qu’ils ont absorbé la narration de « débiles lents et paresseux » dans laquelle ils ont baigné, un grand nombre dérive et finit parfois… en prison. En effet, un fort pourcentage de « dys » serait concentré dans les centres d’incarcération. D’où l’importance de changer notre regard sur la dyslexie et de trouver des accompagnements adaptés.

Reprendre confiance

Lorsque j’ai fait la découverte du podcast avec Béatrice Sauvageot à l’automne 2022, nous étions complètement paumés. J’ai bataillé pour la rencontrer mais c’était impossible. Elle ne reçoit plus individuellement et se concentre sur le développement d’outils grand public afin de les démocratiser. J’ai réussi, in extremis, à m’inscrire avec mon adolescente pour un stage à Antibes avec son association Puissance Dys. Je précise que ces stages thérapeutiques très demandés sont prévus pour un petit nombre d’enfants et que Béatrice Sauvageot privilégie le suivi à long terme des familles au cours de ces formations, d’où la difficulté d’y trouver une place disponible. Elle ne croit pas dans l’accompagnement individuel – les avis sont partagés sur ce point et n’étant pas soignante, je me garderai de donner mon opinion sur la question – et préfère les thérapies de groupe. J’étais bien embêtée car je ne voyais pas comment j’allais réussir à « vendre » à mon ado qui a toujours détesté les colos, la perspective d’un stage spécial dyslexie avec présence des parents en cadeau Bonux. En même temps, je n’avais rien d’autre à lui proposer : aucune orthophoniste n’était disponible pour du suivi hebdomadaire en dehors d’une praticienne avec laquelle nous n’avions vraiment pas accroché. En prime, plusieurs amies dont les enfants dyslexiques étaient suivis depuis plusieurs années en orthophonie me confiaient ne pas avoir perçu de résultats miraculeux. Ma fille a accepté de s’entretenir avec Béatrice en vue d’un stage. J’ai assisté au rendez-vous en visio-conférence. Je ne me souviens plus des mots qu’elle a employés ni de quelle façon elle a capté son attention, mais en 15 ans, je n’ai jamais vu ma fille aussi attentive face à une professionnelle de santé. Béatrice a contracté la poliomyélite lorsqu’elle était bébé ce qui a occasionné de nombreuses séquelles : son handicap à elle est visible. Sa marche n’est pas toujours aisée et elle a besoin de ses béquilles pour se déplacer. Son parcours scolaire dans des établissement totalement inadaptés aux personnes invalides lui a permis de développer un vocabulaire qui touche instantanément les dys. Elle comprend leur souffrance et sait se servir de son humour pour s’adresser à eux. Au bout de quelques minutes, ma fille n’avait plus qu’une envie : faire ses valises et suivre la formation ! La perspective du stage et le discours moderne de Béatrice ont eu des effets positifs dès les jours qui ont suivi. Nous avions enfin une perspective. Quelques mois plus tard, en février 2023, ma fille et moi nous sommes rendues à Antibes pour une formation d’une semaine. Les enfants y sont réunis par tranche d’âge et les parents suivent également des cours toute la journée. Le programme pédagogique et thérapeutique diffère d’un stage à l’autre, selon l’équipe présente et les besoins des groupes. Les adultes apprennent intensément sur les particularités dyslexiques mais aussi sur la gestion de leurs émotions (les leurs et celles de leurs enfants). Les enfants, quant à eux, apprennent à utiliser le mouvement corporel dans l’apprentissage, se familiarisent avec leurs spécificités mais surtout, ils changent enfin de disque : au lieu de leur dire qu’ils ne sont pas assez, on leur fait prendre conscience de ce qu’ils savent faire mieux que les non dys. Stimulés par le groupe, rassurés de ne plus être « à part » mais comme les autres, ils ouvrent enfin leurs ailes. Et c’est sublime à voir.

Changer son regard sur la dyslexie

J’ai passé les deux premiers jours du stage à pleurer pendant les cours destinés aux parents. Nous avions les mêmes histoires horribles à partager. La même errance scolaire, la même souffrance des enfants autour des devoirs, la même stigmatisation des mères, le même sentiment d’impuissance, les mêmes mauvaises recommandations qui ont conduit nos enfants à échouer encore plus… Les partages entre adultes au moment des repas à la cantine m’ont profondément bouleversée. L’après-midi, nous étions souvent mélangés avec les enfants pour des exercices mixant orthophonie, motricité, coaching et neurosciences. Ce n’est pas si simple de se mettre dans le cerveau d’un dyslexique quand on ne l’est pas. Les enfants étaient ravis (et soulagés) de voir les parents s’emmêler les pinceaux et échouer alors qu’eux pigeaient rapidement les consignes données. J’étais impressionnée par la capacité de nos enfants à se connecter entre eux. Alors qu’ils se sentent habituellement toujours en marge de leurs camarades de classe, ils étaient cette fois en terrain sûr et conquis. Renforcés dans leurs qualités. Valorisés par des sachants. Quant à nous, les parents, nous avons pu laisser partir notre culpabilité d’avoir abimé nos enfants en leur reprochant de ne pas aller assez vite, avons repris confiance en eux (et en nous) et avons enfin appris comment accompagner leur scolarité. Tout ce que j’avais cru bon jusqu’alors était pile ce qu’il fallait éviter de faire. Du CP jusqu’au stage, je ne supportais pas de voir ma fille faire ses devoirs en musique, en dansant, allongée en plein milieu de sa chambre ou affalée sur son lit. Comme j’ai besoin de silence pour me concentrer, j’étais convaincue qu’elle avait besoin de la même chose que moi. Combien de fois j’ai stoppé son genou en train de gigoter sous son bureau en lui demandant de se concentrer ? Or, c’est exactement l’inverse dont un enfant dys a besoin (et peut-être aussi certains non-dys ?). Le mouvement corporel accompagne l’apprentissage dès la plus tendre enfance. On s’extasie devant les bébés lorsqu’ils réussissent à attraper pour la première fois ou à se retourner sur eux-mêmes puisque c’est le signe d’une évolution cérébrale. Mais dès l’âge de 3 ans, avec l’entrée à l’école maternelle, on associe la station assise à la concentration. Or, de plus en plus d’études et de chercheurs se relaient pour défendre les vertus du mouvement dans l’apprentissage. Les dys ont besoin d’expérimenter avec leur corps. Les priver de mouvement constitue une véritable torture pour eux. Ils veulent écrire leur rédaction la tête en bas et les jambes en l’air ? Pourquoi pas ! Béatrice Sauvageot a partagé les résultats d’une étude hilarante (dont je ne retrouve pas la source) au sujet des meilleures pièces de la maison pour faire les devoirs. Il y aurait des espaces géographiques qui correspondraient plus aisément à des matières. Par exemple, l’histoire serait plus facile à apprendre dans un couloir en marchant (on visualise ainsi le couloir du temps), le français dans la cuisine pendant que les parents préparent le repas (car le langage est une tambouille d’un autre genre), les leçons de maths collées sur les parois de la douche sous des feuilles en plastique ou dans les toilettes (se laver aurait une affinité avec le raisonnement logique), les devoirs de géographie se feraient avec plus d’aisance sous une table ou un meuble (histoire de bien délimiter l’espace autour de soi)… Même les non-dys auraient augmenté leurs résultats en suivant cette méthode que nous n’avons pas encore testée à la maison (en dehors des tables de multiplication collées dans les toilettes pendant des années, comme chez beaucoup, sans résultat probant). Notre fille a cependant retenu plein d’exercices pour se détendre et se concentrer. De manière générale, le stage a changé le regard qu’elle portait sur ses troubles d’apprentissage. Il lui a redonné confiance en elle. Il m’a métamorphosée. J’ai cessé d’avoir peur. Même si j’ai été alertée au cours de la semaine sur la propension des dys à céder aux addictions (écrans, drogues, alcool, etc…), à être submergés par des états dépressifs (liés à leur difficulté à trouver leur place quand leur handicap n’est ni identifié ni traité) ou encore à avoir des troubles du sommeil (terreurs nocturnes, insomnies…), j’ai été rassurée. Je suis ressortie de cette semaine en me disant que ma fille était incroyablement intelligente. Je me suis promise de ne plus jamais élaborer de jugement hâtif en fonction de l’orthographe d’un individu. J’ai retrouvé la sensation apaisée que j’avais lorsque ma fille était encore à la crèche. Tout irait bien. Elle irait bien. Le lycée n’était sans doute pas l’endroit où elle allait s’épanouir le plus mais je ne me faisais plus de souci pour son avenir. Elle s’en sortirait. Elle connaissait à présent ses ressources intuitives et était convaincue de ses propres trésors. Depuis, je ne l’ai plus entendue une seule fois dire qu’elle se sentait stupide. En rentrant, j’ai aussi partagé ce que j’avais appris avec sa prof de français qui m’a écoutée attentivement. Bien sûr, son école est au courant et fait preuve d’une compréhension que nous n’avons pas connue précédemment. L’émotivité s’est régulée, les épisodes dépressifs ont disparu, la confiance comme la maturité se sont déployées. Toute notre structure familiale s’est encore solidifiée.

Un stage et c’est tout ?

Bien sûr, il faudra bien plus qu’une semaine de formation pour réparer des années de souffrance scolaire. La dyslexie ne s’évapore pas dans la nature et nous restons attentifs aux besoins spécifiques de notre fille qui comme beaucoup de lycéens dans son cas disposera d’un aménagement pour ses futurs examens. On peut en effet faire la demande de plus de temps pour les épreuves ou d’autres types de soutien selon les recommandations du bilan orthophonique. Il est également possible d’établir un plan d’accompagnement personnalisé (PAP) grâce à une grille d’évaluation (à faire remplir par un.e orthophoniste). Je reste ouverte aux autres outils développés pour les ados dys pour les soulager (si vous êtes expert dans ce domaine, n’hésitez pas à m’écrire à ce sujet). Je souligne au passage que l’association Puissance Dys a développé une application de rééducation pour les dys (Dysplay) qui je crois plait beaucoup aux plus jeunes, un jeu vidéo Mindcraft (une nouvelle carte pour les dys dans Minecraft), une application de méditation baptisée Résonances formulée avec des compositions de l’un de mes musiciens préférés – Alexandre Desplat – (lui-même parrain de l’association Puissance Dys). Et ce n’est pas tout ! Puissance Dys a créé une police pour les dys qui leur permet de lire plus facilement. Cette typographie particulière vient d’être intégrée aux sous-titres proposés par la chaine CANAL+. Vous avez peut-être, si vous êtes abonnés à cette chaine, remarqué un léger changement dans les sous-titres qui accompagnent vos séries étrangères préférées ? Ces drôles de signes (qui restent assez discrets) facilitent grandement la lecture pour les dyslexiques. Ça a l’air anecdotique mais c’est révolutionnaire. Car pour Béatrice Sauvageot, qui a bien d’autres projets de démocratisation, les dys continueront à être maltraités tant que la société dans sa globalité n’aura pas pris conscience de leur calvaire. Il y a encore peu, on forçait les gauchers à devenir droitiers. Jusqu’au jour où on a pris conscience de la torture qu’on leur infligeait. Alors, on a fabriqué des ciseaux pour gauchers, on les a laissés s’assoir à gauche d’un pupitre pour deux, on a créé des stylos et des outils pour eux. On a cessé de vouloir les faire entrer de force dans un moule de droitier proclamé supérieur aux autres. À quand un monde adapté aux difficultés d’apprentissage ?

Il est temps.

Des sites pour s’informer

  • Puissance Dys
  • Dys positif
  • Ordyslexie
  • Neurodys
  • Il existe de nombreux livres sur la dyslexie, je n’en ai lu aucun donc pas de reco particulière
  • Deux conseils : attention aux bilans ultra onéreux qui ne sont parfois ni nécessaires ni forcément de qualité. Ne confiez pas les bilans de vos enfants à l’établissement scolaire. Ce sont des documents confidentiels qui pourraient jouer en leur défaveur s’ils tombent entre de mauvaises mains. Réservez-les uniquement aux demandes de PAP auprès de l’académie si on vous les réclame. Tous les professionnels de santé m’ont alertée sur ce point.
  • Message d’amour à l’attention des orthophonistes: je ne voudrais pas qu’on tire de mauvaises conclusions de ce partage d’expérience. J’ai écrit ce texte en tant que mère, et non en tant qu’experte du sujet ou journaliste. J’aurais beaucoup aimé trouver un accompagnement orthophonique individuel pour mon adolescente afin de pouvoir comparer les différentes méthodes (qui doivent, j’imagine, varier d’un.e thérapeute à un.e autre) mais elles (il semble y avoir plus de femmes que d’hommes à pratiquer ce métier) étaient toutes indisponibles. J’ai rencontré des orthophonistes fantastiques au cours du stage Puissance Dys. À l’approche des 16 ans et pour l’entrée en première, je suis curieuse de recevoir vos recommandations en terme d’accompagnement car on ne peut pas proposer le même suivi à des écoliers en primaire et aux ados ? Je reste curieuse et ouverte!