Couche après couche
Photographie Lili Barbery-Coulon

Couche après couche

Couche après couche

Retirer les filtres les uns après les autres. Les voiles qui aveuglent le regard. Les couches qui cuirassent l’épiderme comme de la cotte de maille. Voilà donc ce qui s’opère en moi depuis mon tout premier éveil de conscience en 2016. Il y en avait sans doute eu bien d’autres avant. Mais c’est cette alerte-là qui a secoué mes cellules dans les moindres recoins de mon corps. Il aura suffi d’un aveu public de faiblesse après les attentats de 2015 pour que ma vie prenne un autre tournant. Comme j’étais malheureuse alors… Je me sentais si vide et si seule malgré un mari aimant, une fille incroyable, de nombreux amis et un job qui faisait rêver mon entourage comme ma communauté. Alors que j’avais toujours cherché l’amour, la reconnaissance, la sécurité et l’estime de moi à l’extérieur, je m’apercevais que rien ni personne ne saurait calfeutrer le creux, la caverne abyssale logée à l’intérieur. Un puits sans fond qui me conduisait à être d’une générosité démesurée avec les autres dans l’espoir de recevoir bien plus en retour. Je n’avais pas l’air d’aller si mal à l’époque. L’humour était ma bouée de sauvetage. La colère ma sève. Le combat mon quotidien. Le chant lexical de la lutte était le seul que je croyais bon pour défendre ce qui me semblait juste. Aujourd’hui, je repense à celle que j’étais en 2016. J’ai envie de la prendre dans mes bras, de lui dire que je l’aime et qu’elle suffit.

Le premier changement que j’ai donné à voir aux autres a été corporel. Le fait de pratiquer intensément le kundalini yoga et d’entamer simultanément un régime weight watchers en 2016 m’ont métamorphosé physiquement. C’est probablement ce qui a le plus impressionné mon entourage. Pourtant, ce n’est pas ce qui m’a demandé le plus de courage. Maigrir, je l’avais déjà fait des dizaines de fois. J’y avais déjà mis toute mon énergie masculine, ma volonté, ma détermination, mon besoin de contrôle et mon perfectionnisme. Une rage qui s’était toujours retournée contre moi à long terme avec des retours de boomerang qui viennent frapper la nuque par derrière, au moment où l’on s’y attend le moins et qui m’ont conduit à reprendre tous les kilos perdus, plus deux ou trois au passage. Ce qui m’a permis de stabiliser mon poids ces deux dernières années n’a rien à voir avec la force mentale. C’est tout le travail de reconnexion avec ma conscience supérieure qui m’a aidée et qui continue à me guider quotidiennement.

La pratique du kundalini yoga à haute fréquence m’a tout de suite apporté des bénéfices. Une joie pure, enfantine et contagieuse. Une énergie illimitée dans mes projets. Une intuition aiguisée pour moi-même et pour mon entourage. En 2017, après avoir changé de corps, j’ai entamé une autre mue : en me laissant uniquement guidée par mon instinct, j’ai fait un voyage ahurissant au Canada où mon père est mort il y a près de trente ans. Un été qui m’a permis d’accueillir l’homme qu’il était sans jugement ni amertume. Une traversée initiatique qui m’a conduit à pardonner pleinement ma mère au point d’accepter de la revoir après vingt ans de silence de ma part. J’ai alors eu l’illusion que j’étais arrivée au bout de mon chemin. J’avais la sensation d’avoir franchi une ligne de marathon avec un ruban. Tout l’amour que je ressentais brusquement pour mes parents me paraissait tellement improbable, en comparaison des années de haine crue, que j’ai pensé, un instant, que le boulot était terminé. J’étais comme un soldat qui rentre victorieux d’un champ de bataille. Le vocabulaire de la guerre ne m’avait pas quitté. Le chemin ne venait que de commencer.

A l’automne 2017, il y a seulement un an, je me suis remise à travailler comme une acharnée. Je me suis lancée mille défis en même temps. L’écriture et la réalisation de mon livre, la naissance de mon nouveau site internet, une collaboration avec My Little Box, des dizaines de dossier de presse rédigés pour des marques de beauté. Sans compter le fait de nourrir constamment le blog de nouveaux articles. Certes, je prenais le temps d’aller au yoga trois fois par semaine. Mais je ne faisais que courir entre mes séances. J’étais encore dans la conquête de l’amour et de la reconnaissance extérieure. Je ne m’en rendais pas compte. Et puis, je suis partie en retraite avec Caroline Benezet au Maroc. A Sidi Kaouki, dans ce bout du monde qui vibre au rythme des vagues de l’Atlantique, j’ai connecté une zone que je n’avais encore jamais frôlée. Une source d’amour inépuisable, infini, illimité. Un trésor bien plus étincelant que n’importe quelle couronne de monarque. Il n’y avait rien à chercher ailleurs. C’était là, à l’intérieur de moi et je l’ignorais. Cette découverte a complètement changé mon état d’esprit. Comme si on avait appuyé sur un nouvel interrupteur. Une fois rentrée à Paris, j’ai repris le rythme que j’avais laissé juste avant la retraite, persuadée que je ne pouvais pas faire autrement. J’ai voulu plonger à nouveau dans cette source en méditant mais elle n’est pas réapparue. Je ne comprenais pas pourquoi. J’y mettais pourtant toute ma volonté. Je n’avais pas encore saisi que l’acharnement n’était pas le meilleur allié pour toucher mon lieu sûr.

La décision que j’ai prise de me former à l’enseignement du kundalini yoga n’a pas été murement réfléchie. J’ai senti un appel. J’étais aimantée. Je ne pouvais pas faire autrement. La semaine précédant mon départ en avril 2018 a été plus que chargée. Elle m’a propulsée au-delà de mes propres limites. Pas une seconde n’est restée inoccupée. J’ai enchainé la signature de mon livre pour les journalistes aux Editions Marabout avec l’organisation du lancement presse à La Villa Rose, la signature de la promesse d’achat de mon futur bureau avec une signature publique chez Sezane, sans parler des articles écrits et des rendez-vous honorés en cinq jours. J’étais épuisée. Heureuse d’avoir enfin mon livre entre les mains mais vidée. En arrivant dans les Alpes, dans l’école où j’ai été formée, j’ai compris que de grands changements allaient être nécessaires pour faire l’expérience concrète du ralentissement auquel j’aspirais. L’univers s’est chargé de me mettre à l’épreuve après avoir entendu mon intention « je veux ralentir » : mon ordinateur s’est brutalement arrêté de fonctionner pendant trois semaines à mon retour et mon téléphone a commencé à se suicider à petit feu. De gré ou de force, j’étais contrainte de matérialiser mon envie de slow life.

Je n’avais cependant pas soupçonné ce que la pratique intensive et quotidienne du kundalini yoga et de la méditation allait générer en moi. Avant de m’y mettre (dans le cadre de ma formation), je voyais la pratique quotidienne comme une gestion horaire. Un truc à caser dans mon emploi du temps ministériel. J’imaginais les bénéfices sur mon corps, sur mon énergie générale mais je ne pensais pas que ça allait avoir d’autres impacts. La pratique quotidienne n’est pas un rendez-vous qui se termine au moment où l’on se relève du tapis. C’est une vibration qui continue à résonner en soi tout au long de la journée. Le processus d’intégration est beaucoup plus lent que ce que j’imaginais. Un peu comme un caillou qu’on jette au milieu d’un lac : l’eau frémit et bouge encore, longtemps après l’impact de la pierre. Chaque jour, je fais l’expérience d’enseignements inattendus. Au moment le plus surprenant. Une conversation avec une amie. Un événement banal de la vie quotidienne et BOUM, les connexions affluent : le travail sur le corps physique et la méditation m’offrent une lecture nouvelle de tout ce qui m’arrive.

Mais au-delà de la compréhension de mes schémas, de la distance gigantesque que j’ai gagnée par rapport au « réel », de la manière avec laquelle j’aborde les situations qui émergent, un autre phénomène est en train de se produire : j’ai le cœur qui s’ouvre. Physiquement d’abord, j’ai gagné énormément d’espace au niveau de l’ouverture de ma cage thoracique. Je le sens quand mes omoplates se rapprochent. Je le vois à la façon dont je me tiens. Et puis, il y a ce qui se déroule à l’intérieur. La joie qui me guide même les jours difficiles. L’impression que je peux aimer encore plus et encore plus fort. C’est très troublant. J’entends le froncement de sourcils des sceptiques qui doivent penser : « Bon ben là on l’a perdue ». Non, non, je ne me suis pas perdue. C’est tout le contraire !

Chaque jour, je repère un nouveau changement. Les éveils de conscience sont de plus en plus nombreux, du coup, j’abandonne de nouvelles choses qui ne font plus sens pour moi. Sur le plan écologique, comme je partais plus ou moins du niveau zéro, forcément, j’ai une marge de progression impressionnante. Tout ce que je consomme passe au crible de ce qui sonne juste pour moi. Forcément je fais de sacrés économies 🙂 Lorsque je suis contrainte d’acheter quelque chose qui ne correspond pas à mes valeurs, je ne ressens ni honte ni culpabilité mais de la tristesse. Les vitrines des magasins qui débordent avant Noël ne me font plus envie. A la place, j’ai soif de rencontres, d’expériences, de joies simples, de partages. Chaque jour, mon diapason évolue. Ce qui me paraissait évident il y a encore six semaines ne l’est plus. J’enlève des couches. J’épluche comme on retire la peau d’un oignon. Ca pique un peu les yeux mais je me remets vite. Et dès qu’un nouveau réflexe est acquis, je retire une nouvelle couche. Ah oui, parce qu’évidemment cet épluchage est infini. Il n’y a pas de ligne d’arrivée, juste un chemin sur lequel j’avance.

Sur le plan professionnel aussi, ça remue drôlement. Il y a des missions que je ne peux plus mener pour des raisons que je ne peux pas toujours m’expliquer. Je me fie à mon intuition et je sens qu’il ne faut pas y aller, du coup je dis non. Rien à voir avec ce que je vous montre sur le blog ou sur Instagram. J’ai toujours été très exigeante concernant les partenaires qui m’accompagnent sur des projets. Je parle ici de tout ce que vous ne voyez pas, des marques que je conseille ou pour qui j’écris des textes. Je dis beaucoup non depuis quelques semaines. Mais alors vraiment énormément non 🙂 Parfois parce que la mission ne résonne pas à l’intérieur. D’autres, parce que je ne peux pas me plaindre de manquer de temps pour écrire si je dis toujours oui à tout. J’ai pris la décision de faire le pari de ma conscience supérieure et je l’écoute. Je renonce à beaucoup d’argent et je vous mentirais si je disais que ça ne me fait rien. Ca remue comme si j’étais en pleine mer un soir de tempête sans phare à l’horizon. Par moments, je panique. La peur du manque remonte à la surface et elle se met à me donner des ordres. L’estime de soi s’écroule comme un château de sable sous l’écume. Mais la pratique quotidienne agit et me ressort de la noyade. Elle me reconnecte à ma zone sûre. Parallèlement à tous les projets que je refuse, d’autres arrivent. Des solutions apparaissent comme par magie. Il faut faire du vide pour accueillir le renouveau. J’expérimente l’inattendu, je prends mes rendez-vous à la dernière minute et j’annule quand je me sens prise au piège du temps. Pour une fille qui a toujours aimé planifié, contrôlé et remplir chaque nano seconde, c’est la révolution.

Je me trompe, je m’embrouille, je m’interroge, je trébuche, j’essaie et je nettoie. Je n’ai plus mes repères d’avant. Les changements sont si rapides qu’ils n’arrêtent pas de me surprendre. Je ne sais absolument pas comment je réagirai dans un mois. Comme je tiens un journal et que je note précisément mes émotions, je peux mesurer le rythme des transformations d’état d’esprit et d’humeur… Que ce soit en terme de jugement de moi-même et des autres, de quête de reconnaissance extérieure, de relations avec les autres, de niveau d’irritation au quotidien, d’optimisme, de recul : je m’allège. Mais surtout, je ne vise plus de résultat, je n’attends plus rien, je sais que je suis dans le processus, qu’il prend toute la vie et qu’il n’y a pas de trophée ni de ruban à découper sur la ligne d’arrivée. Du coup, je n’ai aucune idée de ce que je ferai dans trois mois. On verra bien… Pour l’instant, j’écris, je donne mes deux cours de yoga par semaine (un le jeudi à 18h à Sat Nam Montmartre chez Anne Bianchi – sur inscriptions uniquement, l’autre le vendredi à 12h30 à l’Espace Sayya – sur inscription également : merci de me contacter à [email protected] mais jusqu’à fin décembre je dois avouer que c’est assez blindé), je vais aux rendez-vous qui me semblent justes (mais il m’arrive de me planter), je pratique beaucoup, je prépare des événements à partager avec vous avec des partenaires conscients qui me font vibrer et qui partagent les mêmes valeurs que moi, je prends le temps de rencontrer ceux que le « hasard » met sur mon chemin… ça fait déjà beaucoup. Et je reste concentrée sur les effets de ma formation que je vais continuer l’an prochain en entamant un nouveau cycle, plus avancé que le premier.

Couche après couche, je nettoie. Je récure. Je polis. Je fais de la place. Les peurs sont encore là mais il y a aussi et surtout beaucoup, beaucoup, beaucoup de joie.