Body shaming, money shaming, même haine de soi
Photographie Lili Barbery-Coulon

Body shaming, money shaming, même haine de soi

Body shaming, money shaming, même haine de soi

Les réseaux sociaux ne sont pas des robots dénués d’humanité. Ils sont au contraire nourris par les millions d’entre nous, bien vivants, qui les alimentent comme ceux qui regardent en silence. Même ceux qui les évitent y participent sans le savoir. Ce qui s’y déroule est à l’image de notre époque. Un miroir des zones de lumière et d’ombre du monde actuel. Et individuellement, une réflexion de notre monde intérieur. Instagram, Facebook, Snapchat ou Twitter ne sont pas séparés de nous. Ils sont nous. Et nous ne formons qu’un. Même si cela semble parfois insupportable. Explications.

REGAIN D’ACTIVITÉ

Pendant les dix premiers jours d’août, j’ai été très active sur Instagram. Cela fait plusieurs mois que mon rythme de publications a largement baissé. J’ai été occupée par l’écriture de mon livre ainsi que par l’organisation de mes cours de yoga. J’avais peu de temps à consacrer à Instagram et toute ma sève créative nourrissait d’autres projets. Mais une fois en vacances, au Portugal le 31 juillet, j’ai eu envie de partager mes découvertes locales avec celles et ceux qui me suivent. Mon dernier road-trip remonte au printemps 2017, dans le Péloponnèse, et cela me faisait plaisir de reprendre ma casquette de « guide » en montrant les splendeurs -encore méconnues pour beaucoup d’entre nous – du Portugal, mais aussi de refiler mes bons plans, les adresses incontournables ou bien les trésors qui m’ont fait rêver pendant ce périple. Certains ont du mal à s’exprimer sur Instagram, à faire des stories en s’adressant à leur caméra, à écrire des légendes sous leurs photos. Ils ou elles se demandent s’ils/elles sont légitimes, si c’est suffisamment intelligent, bien écrit, correctement orthographié et se découragent s’ils repèrent un contenu qui ressemble à celui qu’ils/elles souhaitaient publier : « A quoi bon ? tout est déjà dit ! » se disent-ils. J’évite à tout prix ce genre de questions envoyées par mon ego. Si je me questionnais uniquement sur la manière dont mes posts sont reçus, je n’en publierais aucun. Le consensus est un but non atteignable et il y aura toujours quelqu’un pour me juger indigne de ce que j’écris. Je ne me fie qu’à ma joie de faire et j’essaie d’être la plus authentique possible. Or c’est une récréation ! Non seulement je n’ai pas de difficulté à publier mais en plus cela me plait. J’adore faire des photos, écrire, partager : ce n’est pas du travail, c’est justement un hobby ! Bien sûr, cela demande de la rigueur. Repérer les bonnes adresses, sélectionner les meilleures, récolter les infos, identifier les comptes Instagram que je mentionne afin que ma communauté d’abonnés puisse retrouver facilement leurs sites internet, ne pas écorcher les noms que je cite, apporter des critiques constructives si un lieu n’est pas à la hauteur de sa réputation (et ce n’est jamais qu’un avis personnel, je ne détiens aucune vérité absolue). Je ne ressens pas l’aspect besogneux de la tâche. Je m’amuse ! Et j’y ai encore pris un plaisir fou pendant ces dix premiers jours de vacances. Ce n’est néanmoins pas sans effets secondaires. Plus on publie, plus on crée un rapport de proximité avec les abonné.e.s qui suivent nos aventures comme si nous étions devenu.e.s de véritables ami.e.s. Ils/elles ont l’impression de me connaître parfaitement bien et s’adressent à moi comme si je savais également tout d’eux/elles. L’aspect positif est que la plupart d’entre eux/elles me livrent à leur tour leurs bonnes adresses, leurs conseils et leurs messages fraternels. Ces conversations courtes donnent parfois lieu à des échanges très profonds et des confessions émouvantes. Il arrive même qu’on décide de se rencontrer dans la vraie vie et que des amitiés naissent de ces premiers messages digitaux. En voyage, c’est fantastique et c’est en partie grâce à ma communauté que ce road trip portugais a été aussi génial. MERCI à toutes celles et tous ceux qui m’ont fait cadeau de leurs astuces ! En revanche, cette proximité autorise aussi des remarques, des commentaires et des réactions parfois assez loufoques, voire carrément agressives. La vie est faite de polarités, les réseaux sociaux n’y échappent pas. Certaines jouent les mamans et me demandent de lâcher mon téléphone « parce que je suis en vacances » et que je devrais, selon elles, « faire une detox digitale ». D’autres trouvent mes orteils bizarres (j’ai beaucoup ri… que voulez-vous, on ne choisit pas sa famille ni ses doigts de pieds hein :-)). Certaines me reprochent de ne pas donner tous les détails des lieux où je vais, d’autres pensent au contraire que je donne trop d’infos et que le Portugal va se retrouver « envahi par de riches français expatriés qui détruisent l’authenticité de ce pays ». Si je montre un « granola », je récolte autant de « coeurs » que d’émoticônes la larme à l’œil déplorant la globalisation du petit-déjeuner branché dans les moindres recoins (si vous cherchez la coupable, tournez-vous vers l’auteure du livre Pimp My Breakfast… aïe, je crois bien que c’est moi !). Souvent, les questions qui me sont envoyées en message privé ne contiennent pas de ponctuation ni même de « s’il te plait » ou de « merci ». On se sent si proche de moi qu’on finit par me prendre pour Siri ou Google. Lorsque je renvoie vers un article de mon blog déjà publié qui répond à la question qu’on me pose en messagerie instantanée, il arrive qu’on me dise « ah non mais votre site, j’ai la flemme de le lire, vous me faites un résumé ? ». Un jour, on m’a même demandé d’aller acheter un pantalon dans une boutique de fast-fashion à Paris car l’abonnée en question ne le trouvait pas dans sa ville et souhaitait que je le lui envoie. Il ne s’agissait pas d’une blague et lorsque j’ai répondu non, je me suis faite engueuler : je n’étais finalement pas aussi sympa que j’en avais l’air :-). Cette anecdote continue à me faire marrer et en même temps à m’interroger sur les signaux que j’envoie à travers les ondes.

Tout ceci n’est pas bien grave. Chacun est libre de penser et de dire ce qu’il ou elle veut. De mon côté, j’ai la possibilité de ne pas répondre ou, lorsque je juge que c’est nécessaire, de bloquer l’internaute. La plupart du temps, je ne me sens pas concernée et c’est probablement la méditation et ma pratique quotidienne du yoga qui me permettent de garder de la distance avec tout ça. Ce n’est pas moi, Lili Barbery, qui suis visée, c’est ce qu’on projette sur moi. La nuance est de taille. Si des commentaires me font réagir alors il m’appartient de regarder à l’intérieur de moi pour observer la gâchette (« the trigger ») sur laquelle on est en train d’appuyer. L’autre n’est qu’un miroir de moi-même. Si je suis agacée, énervée, confrontée par une remarque, alors il me faut creuser en moi et je ne peux que remercier la personne qui a émis le commentaire en question car je l’ai attirée à moi afin qu’elle me fasse cheminer. « We create our own reality »…

Selfie de vacances

BODY SHAMING

En restant attentive à mes ressentis, j’ai repéré trois sujets sur lesquels j’essaie d’avancer en espérant que nous pourrons échanger et progresser ensemble. Le premier concerne le « body shaming ». Il y a peu de temps, Elsa Muse a publié une photo d’elle en maillot de bain. Lorsque j’ai vu cette photo, j’ai remarqué qu’elle avait maigri et j’ai lu la légende qui l’accompagnait. Je vous livre le texte juste ici : « Yesterday I posted and then deleted this pic because people started judging my body. It was stupid to delete it because I have no issue with my weight. Sometimes I lose weight because of work and stress and then I gain this weight back as fast as I lost it. But I don’t care, I prefer to have fun of my bonny body. Here I play with light and my position to create an Alien silhouette in this lunar beach, with my strange sunglasses and I even create antenna with my fingers 😂 👽 sorry for those who didn’t understand 😘But no body shaming please ». Peu de temps après, Charlotte Husson, la créatrice de la marque Mister K et auteure du livre Impossible est mon espoir qui sortira fin août 2019 chez Marabout publiait ce texte sous une photo d’elle en maillot de bain : « Depuis plusieurs semaines je vous vois réagir sur #lacabinedemisterk avec toujours autant de bienveillance et je lis souvent ce commentaire : « Enfin de vraies femmes représentées » en parlant de nos ambassadrices qui portent du 42, ça m’émeut autant que ça me fait réfléchir. Évidemment très heureuse que notre format cabine fasse écho à chacune de vous, mais le terme « vraies femmes » a titillé mon cerveau d’HSP. Qu’on soit maigre, mince, enrobée, cicatricée, grosse, avec des seins de la taille de mon petit doigt (je parle des miens ahah), ou au contraire une poitrine à faire sortir les yeux de tous les loups de Tex Avery 👀, être femme ce n’est pas seulement assumer ses complexes, être femme est un statut, être belle est une attitude, s’aimer est un long chemin . De fait, mon cerveau en roue libre et sans filtre peine à appréhender ce terme «vraie femme » porteur de toutes les ambivalences . Astrid ne serait pas une «vraie femme » puisque son corps est parfait ! Agathe et moi, idem, puisque nous revendiquons des singularités hors standards de «vraies femmes », respectivement, 1 m 55 1/2 taille 34, pour Agathe, et des jambes de sauterelle, des seins riquiquis et des grandes dents, en ce qui me concerne . Autant admettre que «vraie » s’opposerait à «fausse » , absurde ! Alors, je proposerais plutôt des AUTHENTIQUES et … les autres . Raphaëlle / Agathe / Astrid / vous / moi, sommes toutes uniques, avec chacune nos forces et nos complexes, mais toutes, femmes ! C’est tellement crucial le sens et le poids des mots, autant que notre obsession sur la balance 😉 Moralité : chacune doit trouver sa légitime et sa belle place. Le vrai combat n’est plus de se poser la question en termes de standard idéal ou d’injonction à être «vraie » ! Au delà du droit à la différence… le droit à l’indifférence. Gardons-nous des jugements hâtifs, des préjugés et stéréotypes… on ne sait jamais ce que cache un bourrelet, une ligne filiforme ou encore une cicatrice. Bienvenue, ici c’est moi, c’est vous, c’est nous, sans fard, ni artifice ! La vraie vie quoi ! Soyez vous même, tous [toutes] les autres sont déjà pris[es] ». J’ai aussi remarqué que Leandra Medine Cohen, la créatrice hilarante du site Man Repeller, récoltait des commentaires absolument ignobles sur sa silhouette, ses abonnés la jugeant trop maigre depuis la naissance de ses jumelles. Or ce sont souvent les mêmes femmes qui se battent activement contre la grossophobie et ne comprennent pas qu’on puisse humilier une personne sur son surpoids. Ces sujets ne me laissent pas indifférente. Si je suis parfaitement sincère, une partie de moi a longtemps regardé ces femmes naturellement maigres ou très minces avec envie. J’ai tellement lutté avec mon poids que je rêvais de pouvoir leur ressembler sans effort. Je leur en voulais sans même les connaître. Adolescentes, on disait même des horreurs en feuilletant des photos de mannequins : elles étaient forcément débiles, inintéressantes ou refaites de la tête aux pieds. Je ricanais avec mes copines lorsque les magazines « people » montraient des célébrités en zoomant sur leurs défauts. Je n’avais pas conscience qu’en me moquant de ces inconnues, c’est moi que je fragilisais. C’est en écrivant le post « comment je me suis disputée avec mon corps » que j’ai découvert il y a plus de trois ans que des centaines de femmes souffraient comme moi de la même haine de leur corps physique alors qu’elles étaient maigres, minces ou qu’elles ressemblaient trait pour trait à des mannequins des années 1990. Je pensais être un cas isolé et les centaines de messages privés reçus par la suite m’ont profondément secouée. Aujourd’hui, on commence enfin à respecter le surpoids sur les réseaux sociaux et les publications grossophobes sont immédiatement pointées du doigt. Les marques de mode et de beauté se mettent également à montrer plus de diversité dans leurs campagnes sur les réseaux sociaux (quitte à parfois utiliser l’obésité ou l’intersection des discriminations pour s’acheter un statut irréprochable…mais c’est un autre sujet…). Je me réjouis de voir de plus en plus d’abonnées se montrer telles qu’elles sont sans rougir et avec fierté. Mais observons nos réactions avec honnêteté : avons-nous autant de révérence pour une silhouette ronde que pour une silhouette plus musclée ou plus mince ? Sommes-nous capables de cesser de juger les corps des autres ? Et je ne parle pas de cesser de commenter, car la majorité d’entre nous reste silencieuse. Je parle de repérer ce qui se joue dans nos têtes à la vue de ces images et d’être honnêtes avec nous-même. Interrogeons-nous : est-ce qu’il m’arrive d’être grossophobe et de passer devant une photo d’un individu en surpoids en train de manger une glace sur Instagram et de penser furtivement « tu ne devrais pas manger cette sucrerie » ? Est-ce que lorsque je vois la photo d’une femme particulièrement mince, je la juge en m’imaginant qu’elle a forcément un problème, qu’elle ne mange pas assez et qu’elle met sa santé en danger ? Est-ce qu’il m’arrive de regarder un corps fuselé et musclé en me sentant complexé.e ? L’idée n’est pas de nous fouetter ni de culpabiliser d’avoir été dans le jugement de l’autre ou dans la comparaison mais juste de l’identifier. Car ce que l’on juge de l’autre est toujours un reflet d’une énergie non résolue en nous. On peut remarquer qu’une personne est grosse, mince, musclée ou maigre sans porter de jugement de valeur sur cet état de fait. En revanche, dès qu’on tombe dans la distribution silencieuse ou expressive de bons et de mauvais points, qu’on plonge dans des réflexes moralisateurs avec des « il faudrait que » ou « il n’y a qu’à », « elle devrait » ou « elle ne devrait pas », alors on peut être sûr qu’on est en train de parler de soi. Pas de son soi supérieur. Mais d’une peine, d’une insécurité ou d’une honte toujours actives en nous. Le désamour de notre propre corps se manifeste dans le désamour du corps des autres et à travers les mécanismes de comparaison. Les personnes maigres, les anorexiques, les minces, les grosses, les obèses, les boulimiques, les sportives, les molles, les gélatineuses, les fermes, les osseuses, les petites, les géantes, les handicapées, les adeptes de la chirurgie esthétique, les poilues et les intégralement épilées méritent toutes notre amour et notre respect. Elles sont autant de reflets de nous-mêmes. Si l’une de ces silhouettes nous fait réagir, alors il n’y a qu’une seule chose à faire : nous aimer encore plus fort. J’ai eu des échanges incroyablement beaux et touchants avec des femmes souffrant d’anorexie cet été. La dernière chose dont elles ont besoin est qu’on les vomisse quand on les voit arriver sur une plage. Je le répète comme je l’ai déjà dit sur Instagram : il est urgent de nous aimer pleinement. Et je sais bien que ce n’est pas aisé pour chacune. Personnellement, je trouve que cela demande autant travail que de courage. Mais existe-t-il une autre voie ? N’est-ce pas le chemin le plus court pour construire une société plus juste ? A une époque où l’on parle tant de féminisme, n’est-il pas temps pour nous les femmes de nous soutenir et de nous aimer quelle que soit notre corpulence ? Qui va le faire à notre place si nous ne nous y mettons pas dès à présent ?

Photographie Lili Barbery-Coulon. Le couloir du spa à l’hôtel Barrocal. Une traversée qui m’évoque une quête spirituelle

MONEY SHAMING

Un autre point que j’ai repéré concerne les revenus personnels des uns et des autres sur Instagram. Cet été par exemple, j’ai déçu ou surpris quelques-unes de mes abonnées en séjournant deux nuits dans un hôtel ruineux. J’étais la bonne copine tant que je dormais à la belle étoile dans les montagnes du Vercors. Je restais « accessible » en partageant un plan d’appartement à louer à Lisbonne. On me trouvait sympathique à trainer dans les restaurants abordables d’Evora. Mais deux nuits dans un hôtel 5 étoiles ont suffi à me propulser dans la case de « l’élite à abattre », celle qui est déconnectée de la réalité et ne connaît pas le seuil de pauvreté… Cela concernait un tout petit nombre d’internautes, mais il se trouve que je les ai entendues. Là encore, je vais tenter d’être vraiment honnête. Je me fous complètement de la manière dont les gens dépensent leur argent. Certaines personnes sur Instagram sont propriétaires de maisons de vacances hallucinantes de beauté. D’autres partent dans des pays dont le coût du billet d’avion dépasse largement notre budget ou séjournent dans des hôtels à 1500 euros la nuit. Je ne me sens pas menacée par ce qu’ils possèdent et je n’ai pas forcément envie d’être à leur place. Je ne me sens pas non plus supérieure à ceux qui ont moins que moi. Quand une pensée du type « j’adorerais avoir un jour un lieu comme celui-ci pour organiser des retraites de yoga ou recevoir mes amis » ou « oh j’aimerais aller découvrir un jour ce pays » me traverse, alors je me dis que si c’est un rêve authentique, il se manifestera sous sa forme idéale en temps voulu. Et cela ne se présentera pas forcément comme je l’avais imaginé ni au moment espéré… Pendant des années, je ne m’autorisais pas à faire ce genre de rêve. Il y a 15 ans, je disais même à mon mari : « On ne sera jamais propriétaire car c’est trop cher et on ne fait pas les métiers qui permettent de s’enrichir suffisamment pour y arriver ». A l’époque, il avait trouvé cette déclaration insensée car comment pouvais-je savoir ce qui allait nous arriver avec autant de certitude ? J’ai heureusement totalement changé d’état d’esprit depuis et je sais que ce genre de pensée limitante fonctionne comme un programme informatique qui nous empêche de percevoir les opportunités d’évolution qui s’offrent à nous. Sur Instagram, on a vite fait de compartimenter les gens selon ce qu’ils veulent bien montrer en photos. Certains semblent dépenser tout ce qu’ils gagnent dans des fringues, des bijoux ou des voitures. Cela ne m’intéresse pas, j’ai d’autres passions mais je ne les juge pas: ils font bien comme ils l’entendent. Il y a ceux qui vivent à découvert pour épater des gens qu’au fond ils détestent. Il y a celles qui montrent tout ce que les marques partenaires leur offrent et revendent l’intégralité sur Vinted à la fin du mois pour payer leur loyer (feriez-vous différemment si vous n’aviez pas d’autres sources de revenus ?). Il y a ceux qui n’ont pas de biens matériels mais ont l’impression d’être à la tête d’un royaume en récoltant leur potager foisonnant. Il y a ceux qui se plaignent tout le temps de ne pas avoir assez et se prennent en photo quotidiennement avec de nouveaux achats. Il y a les héritiers qui n’ont pas eu besoin de se battre pour connaître le confort matériel dès la naissance et qui pourtant s’acharnent au travail pour qu’on reconnaisse leur valeur. Il y a les rentiers qui dilapident leur fortune sans autre raison que celle d’emmerder leurs parents. Il y a ceux qui ont toujours manqué de tout et se réjouissent de leur première baignade à la mer cet été. Il y a ceux qui renoncent au confort matériel qu’ils ont connu pour s’inventer une nouvelle vie professionnelle et se sentent plus riches que jamais. Ceux qui ferment l’entreprise dans laquelle ils ont tout investi. D’autres qui cartonnent avec leur business et affichent leur nombre de miles sur leur carte Fréquence Plus parce qu’ils ont l’impression que cela leur offre un statut de VIP. Pour moi, chacun mérite d’être respecté sans être jugé, quel que soit son niveau de vie ou d’insécurité. Ce respect n’empêche absolument pas l’entraide et la compassion avec ceux qui ont moins. La richesse est une donnée tout à fait subjective et elle se définit selon des critères liés à notre histoire personnelle, familiale et culturelle. Je ne suis pas déconnectée de ce que signifie la pauvreté. J’ai été élevée par des parents issus de milieux socialement opposés. Alors que mon père venait d’une famille éduquée et bourgeoise, ma mère a grandi dans 40 mètres carré avec ses parents et ses cinq frères et sœur, dans une grande modestie financière et culturelle. Est-ce que cela me protège du jugement de ce que les autres possèdent ? Malheureusement non. Cet été, je me suis surprise, en suivant le voyage d’une connaissance, à me dire : « Mais comment financent-ils ce périple ? ça coûte une fortune cette aventure… ». En quoi est-ce que cela me regarde ? Et qu’est-ce que cette pensée dit de ma propre insécurité ? Que j’ai probablement encore la peur du manque et que je n’ai pas totalement confiance en l’Univers. Pourtant, dès que je me remets dans cet espace d’unité avec l’Univers, dès que je me reconnecte à ma conscience en observant les pensées formulées par mon ego, je ne me pose plus aucune question financière. Je sais que je suis constamment soutenue, je n’ai pas cessé d’en recevoir des preuves ces derniers mois. Comment pourrais-je envier ou me comparer alors que mes besoins sont comblés ? En kundalini yoga comme dans bien d’autres yogas, on ne considère pas l’abondance comme un signe des ténèbres. Elle n’est pas soumise à la morale judéo-chrétienne particulièrement active en France. On peut l’attirer comme la repousser, on se l’autorise ou on se l’interdit bien au-delà du contexte social dans lequel on évolue. La question que je me pose régulièrement est : de quoi ai-je besoin ? Et quand j’entre en méditation avec cette interrogation, je suis toujours étonnée par les réponses qui me viennent. Elles sont si différentes d’il y a trois ou cinq ans. Mes besoins ont complètement changé. Par exemple : la quasi totalité de mon budget mensuel passe désormais dans l’alimentation bio et les cours de yoga que je continue à prendre, en revanche je ne ressens plus le besoin de m’acheter des vêtements, des chaussures ou des cosmétiques. Pour en revenir aux remarques qui m’ont été faites après mon court passage à l’hôtel Barrocal, je me suis demandée pourquoi elles m’avaient interpellée. Quel est le miroir qui m’a été renvoyé ? Pourquoi me suis-je sentie concernée ? Parce que cette partie de moi qui se comporte encore comme une enfant blessée, la même qui croyais ne jamais pouvoir devenir propriétaire est visiblement encore active en moi. Elle ne dispose pas d’un grand espace d’expression mais elle est encore présente. Je la défie en la dépassant sans cesse mais je dois continuer à l’observer pleinement sans l’ignorer plutôt que d’essayer de la combattre. Accepter ce qui est, ce n’est pas essayer d’accepter, ce n’est pas se battre pour y arriver, c’est juste accepter l’état d’être sans effort. Bon ben je m’en rapproche mais j’oscille entre des moments d’union et de séparation avec mon état d’être. Or, lorsque je me connecte au soutien de l’univers tout entier, à travers la méditation ou ma pratique du yoga, cette peur se dissout complètement. Donc je remercie les personnes qui m’ont fait ces commentaires car elles m’ont permis d’identifier que je ressentais encore le besoin de me justifier sur les arbitrages et les choix que nous faisons avec mon mari et j’ai aussitôt refusé de me livrer à ce genre d’explications stériles. Ma valeur ne dépend pas des endroits que je fréquente, de mes revenus, de mes efforts ou de mon compte en banque. Ma valeur, comme la votre, est inconditionnelle. Que je sois considérée comme pauvre ou riche, que je fasse pitié ou envie, ces jugements concernent uniquement ceux qui les émettent et en disent plus sur eux que sur moi. Les tentatives de moralisation ou d’humiliation concernant les revenus des uns et des autres n’ont pas leur place au niveau de la conscience. Si je l’oublie, alors c’est à moi de retourner sur mon coussin de méditation, d’observer et de prendre soin de moi pour m’en souvenir. Parallèlement, je continue à me questionner constamment sur mes publications. Pas en me demandant ce qui va plaire ni ce que je dois censurer pour séduire mon audience, mais en me posant la question suivante : est-ce que ce post honore ma conscience supérieure, ma joie intrinsèque ou juste mon égo ? Je ne fais pas qu’honorer ma conscience supérieure sur les réseaux sociaux, il m’arrive de me laisser piéger par mon égo, cette partie insatiable de nous qui réclame l’attention et l’amour extérieur. Parfois je m’en aperçois immédiatement, parfois je m’en rends compte plusieurs jours ou plusieurs années après. Mais dans le cas précis du Barrocal, mes photos concentraient énormément de joie. Joie de découvrir un lieu magique, incarné, inspirant. Joie de me sentir vibrer au contact de ce décor et de cette nature exceptionnelle. Joie de savourer cette parenthèse fugace et inhabituelle avec ma famille. Joie d’être intensément présente à chaque seconde. Joie de ressentir l’envie d’ouvrir un jour un lieu dédié au bien-être. Joie de célébrer la sortie imminente de mon livre tout comme les dates importantes pour notre famille. Or, ma chance est que je sais que cette joie n’est pas dépendante de ce lieu coûteux. Elle n’a pas besoin que ce soit cher pour se manifester. Elle jaillit aussi lorsque je campe avec mes camarades yogis que je vais bientôt retrouver un rouleau de PQ à la main en faisant la queue devant les toilettes sèches. Elle est là lorsque je suis assise sur les pierres chaudes devant la rivière émeraude des Cévennes. Elle vibre à chaque fois que je suis pleinement présente et que je ressens de l’authenticité autour de moi. Certains hôtels tout aussi ruineux me laissent complètement indifférente et je ne peux pas expliquer pourquoi. Je ne ressens pas d’alignement, je perçois les petits arrangements, la triche ou la volonté de séduire. Donc merci encore à ceux qui m’ont recommandé d’aller voir le Barrocal dans ce coin isolé du Portugal, je vous promets d’en reparler sur le blog, d’autant que le tarif des repas au restaurant sont tout à fait raisonnables et ouverts aux non clients de l’hôtel.

Photographie Lili barbery-Coulon. Je ne sais pas si je retournerai un jour dans cet hotel mais la collection d’images harmonieuses que j’en ai rapportée va m’inspirer encore longtemps

PARTAGER OU GARDER POUR SOI

Dernier sujet récurrent évoqué sur les réseaux sociaux par une partie de ma communauté : faut-il partager les bonnes adresses que je découvre ou les cacher de peur qu’elles soient dénaturées par une invasion de touristes ou de « gens » soupçonnés d’irrespect. A quoi ressemble cette horde dont on a si peur ? A des étrangers qui n’ont rien à voir avec nous ? A des « beaufs » comme j’ai pu le lire ? A des « nouveaux riches » ou plutôt d’anciens pauvres qui ne « seraient pas suffisamment éduqués » ? A des « Américains qui vont nous imposer leurs burgers et leurs açaï bowls pour tous » ? A des « salauds qui jettent leurs mégots sur la plage » ? Ou, pire, à des « bobos adeptes du yoga à l’aube » ??? Lorsque je travaillais dans le milieu de la mode et de la beauté, on me disait toujours « Non non, n’en parle surtout pas, sinon on ne pourra plus y aller ». Je n’ai jamais écouté ce conseil et j’ai toujours fait l’inverse. Lorsque j’ai découvert le kundalini yoga, ça a été un tel choc qu’il me fallait absolument partager mon expérience avec le plus grand nombre : l’outil était si efficace que je souhaitais que tout le monde puisse y avoir accès. Plus les salles de yoga se remplissaient au fil de mes posts, plus j’étais heureuse. Pas parce que cela venait flatter mon égo mais parce que je savais qu’une majorité d’élèves parmi les nouveaux arrivants allaient ressentir les bénéfices de cette pratique sacrée. Je ne comprenais pas certaines internautes qui regrettaient l’engouement pour ce yoga thérapeutique et préféraient quand les studios étaient vides et qu’elles avaient toute la place nécessaire pour installer leur tapis sans être gênée par leurs voisines. On me dit que les tarifs de certains hôtels dont j’ai parlé au Péloponnèse ont augmenté depuis mes premiers posts en avril 2017. Tant mieux pour ces gens s’ils gagnent mieux leur vie et tant pis pour eux s’ils profitent de la situation. Ils créent leur propre réalité et leur karma. Libre à nous d’aller dénicher d’autres pépites s’ils ne méritent plus notre attention. Pendant mon séjour au Portugal, un grand nombre d’entre vous ont regretté qu’on parle trop des petits villages portugais « colonisés par les expatriés français qui cherchent à défiscaliser leur fortune sur le dos des populations locales ». Deux de mes élèves, d’origine portugaise, me disaient au contraire qu’elles se réjouissaient qu’on s’intéresse enfin à la beauté de leur pays qu’on a si longtemps réduit à des blagues pourries sur les concierges, les poils et la brandade de morue. Leurs familles ont dû quitter cette terre qu’elles aimaient parce qu’il n’y avait plus rien à manger et que leur seul espoir était d’aller travailler en France. Bien sûr, l’arrivée d’expatriés français (parfois d’origine portugaise) qui viennent refaire leur vie à Lisbonne ou à Comporta n’est pas sans conséquence pour les locaux. Oui, les prix de l’immobilier flambent comme dans tous ces quartiers pauvres parisiens qui se sont brusquement embourgeoisés. N’empêche qu’en discutant avec les commerçants portugais, tous m’ont répondu qu’ils étaient fiers et heureux qu’il y ait autant de touristes et qu’ils puissent à nouveau vendre leur artisanat et leur savoir-faire. Ils sortent à peine d’une crise dont ils ne se sont pas encore remis. Moi, je vais continuer à mettre en avant les lieux, les pays, les métiers, les pratiques et les gens qui me touchent. Lorsque je ne le fais pas, c’est parce que la personne dont j’aimerais parler ne m’autorise pas à le faire. Elle est parfois déjà débordée et n’arrive pas à répondre à la demande. Ou bien elle a peur de ne pas savoir gérer un nouveau flux. Parfois, elle ne veut pas que l’administration fiscale soit au courant de ce qu’elle propose à côté de son boulot officiel (si, si, ça arrive !). Je ne publie jamais sans l’autorisation de la personne qui m’a refilé le plan. Une autre raison qui explique parfois mon silence est liée à la contextualisation nécessaire pour parler de certaines pratiques ou de certains lieux. Parfois, je manque de temps pour mettre un contenu en perspective. Une photo accompagnée d’une légende ne suffit pas toujours. Cette année, je me suis par exemple formée en guérison énergétique or je n’en ai pas encore parlé car j’ai besoin de temps pour digérer ce que j’ai appris. Et c’est loin d’être terminé. Il me semble nécessaire de maitriser un peu le sujet avant de me précipiter. En tous cas, pas de panique : au Portugal comme ailleurs, la terre est grande ! Habituons-nous dès maintenant à la partager sans se l’approprier car dans peu de temps, nous serons obligés de faire de la place à tous les migrants climatiques condamnés à quitter leurs bords de mer inondés ou leurs déserts sans eau pour survivre. Nous ne faisons qu’un et il n’y a, à mes yeux, qu’un seul pays : la même planète pour tous.

Photographie Lili Barbery-Coulon. Une plage déserte entre Comporta et Melides. J’ai donné le nom en story et je ne l’ai même pas noté, il faudra que je le retrouve.

Sur cette longue réflexion, je pars à présent me reposer (c’est à dire faire du yoga, cuisiner, écrire, lire, faire la sieste et travailler à un autre tempo) dans mon endroit préféré au monde. Le réseau ne passant pas très bien dans les montagnes cévenoles, c’est l’occasion rêvée de me plonger dans un silence qui m’est aujourd’hui nécessaire. Merci à tous pour vos messages privés sur Instagram et sur Facebook, je ne pourrai pas répondre immédiatement à vos commentaires sous ce post si vous en laissez mais je les lirai avec bonheur dès que je le pourrai. Passez un été extraordinaire, aimez-vous, prenez soin de vous et repérez les moments où vous jugez un autre humain qui n’est qu’un reflet de vous-même : on peut faire autrement, c’est possible !