Rencontre avec Laetitia Debeausse
Photographie Lili Barbery-Coulon

Rencontre avec Laetitia Debeausse

Rencontre avec Laetitia Debeausse

Laetitia Debeausse fait partie des personnes qui ont eu le plus d’impact sur moi ces derniers mois. C’est une faiseuse de l’ombre qui éveille la conscience au sein des entreprises et change ainsi le monde à son échelle. Elle a complètement transformé ma vision de l’écologie mais aussi de l’économie de demain. Rencontre…

J’ai rencontré Laetitia Debeausse sur un quai de gare. C’est notre amie commune Odile Chabrillac qui me l’a présentée. Alors qu’elle n’avait pris qu’un seul cours de kundalini yoga, cette férue d’ashtanga curieuse de tout s’est décidée à se former à l’enseignement de cette pratique. Sans autre objectif que celui de s’enrichir à titre personnel. Lorsque je lui ai demandé ce qu’elle faisait, elle m’a expliqué qu’elle poussait les entreprises à mettre de l’éthique dans leurs activités tout en leur garantissant une économie viable à long terme. On a passé trois heures à échanger dans un train en partance pour les Alpes. Elle m’a raconté ce qu’elle préparait avec le chef Christophe Aribert (voir l’article sur Maison Aribert) ainsi qu’avec ses autres clients. Ces premières discussions en train allaient marquer les mois de formation que nous nous apprêtions à partager ensemble. Le processus de transformation était déjà enclenché…

Selfie après une semaine de formation: Odile Chabrillac à gauche, moi au milieu et Laetitia Debeausse à droite. On était bien crevé mais sur un petit nuage…

En m’expliquant comment elle conduit les entreprises à se mettre au diapason des mutations individuelles, collectives et climatiques de notre époque, Laetitia a complètement changé ma vision de l’écologie. Mais aussi de la politique. De l’économie. De l’avenir. Avec beaucoup d’aisance, cette trentenaire aussi charismatique qu’éloquente m’a poussé à m’interroger sur tous mes comportements. Et pourtant sans jamais me culpabiliser. C’est pourquoi j’ai eu envie de l’interviewer afin qu’elle nous raconte le métier qu’elle s’est taillée sur mesure.

Aujourd’hui, le mot “éthique” est décliné sur tous les tons. Cela fait pourtant déjà plusieurs années qu’il est entré dans ton quotidien de freelance. Comment t’es-tu formée à ces sujets qui occupent l’actualité?

Laetitia Debeausse: J’ai un parcours assez atypique car je viens de la communication. J’ai fait mes études à l’EFAP, une école qui exige de ses élèves qu’ils trouvent rapidement des stages. J’ai donc été plongée dans le monde du travail assez tôt et j’ai été embauchée par l’agence d’événements Auditoire avant même d’être diplômée. Nous étions trente à mon arrivée. Cinq ans plus tard, nous étions cent cinquante. J’ai ainsi assisté à une montée en puissance de cette agence qui organise des événements corporate ou marketing, des lancements pour de grandes marques ainsi que des événements grand public. Très jeune, j’ai travaillé sur des budgets colossaux (Orange, Michelin, Dassault Systems…) et j’ai évolué rapidement dans l’entreprise. Ma mission consistait alors à conceptualiser des événements à partir d’un brief donné par le client. Au début j’intervenais sur plein de sujets différents et puis Auditoire a tellement grandi qu’il a fallu segmenter les territoires. J’ai eu envie de travailler sur la communication corporate car je trouvais les problématiques passionnantes. Les entreprises se demandaient comment dynamiser leurs équipes issues de cultures différentes à travers un séminaire ou une conférence. Au fur et à mesure, on a vu apparaître les TED talks, des formats assez disruptifs qui permettent de vivre un discours de manière beaucoup plus authentique qu’avant. Et puis les outils de communication ont évolué et ont donc modernisé la nature de ces conférences.

C’était aussi l’époque où l’on a commencé à attacher beaucoup d’importance aux discours de Steve Jobs et à sa politique de communication à l’intérieur comme à l’extérieur d’Apple.

Laetitia Debeausse: Oui, il fait partie des figures qui ont marqué les publicitaires et qui ont révolutionné l’imaginaire d’une marque. Il ne s’agit plus de parler d’un simple ordinateur, mais de partager une manière de voir l’existence. J’ai évidemment été formée dans mon travail avec cette vision. Même si je n’ai passé que cinq ans chez Auditoire sur un parcours global de quinze ans dans l’événementiel (j’ai bossé pour GL Events, Havas et Publicis avant de devenir indépendante), cette période a été décisive. A la fin de mes années chez Auditoire, on m’a confié de gros projets avec des clients comme Michelin. Un jour, on m’a demandé d’organiser leur grand séminaire qui a lieu tous les trois ans et qui réunit leur trois mille managers les plus importants au monde. Ce projet a été un point de bascule pour moi. J’ai travaillé pendant deux ans sur sa conceptualisation et sa réalisation. On m’a offert l’opportunité de soigner les moindres détails comme le kit d’huiles essentielles placé dans les toilettes pour lutter contre le jet-lag des managers venus de l’étranger. J’ai travaillé sur le sourcing des aliments en évitant de proposer des viennoiseries qui risquaient de les endormir trente minutes après le petit-déjeuner. J’ai aussi organisé des ateliers conférences en format TED pour les salariés ou encore scénarisé la nouvelle gouvernance Michelin à l’instar d’un extrait d’Arthur Et Les Chevaliers de La Table Ronde pour faire passer le message que dorénavant, les membres du comité de direction étaient maîtres de leurs choix. Je suis allée très loin dans l’expérience.

C’est incroyable qu’on t’ait fait confiance sur des sujets aussi modernes alors que tu étais très jeune. Comment ce séminaire s’est-il passé?

Laetitia Debeausse: Ils étaient très contents et ils ont même financé une étude pour connaître l’avis de leurs salariés présents lors de l’événement. Pendant sa présentation, le bureau d’étude n’a pas arrêté de se tourner vers nous pour comprendre comment nous avions pu atteindre un tel niveau de satisfaction. On avait obtenu 98% de satisfaction dans à peu près tous les domaines. Aujourd’hui, cela peut paraitre peu probant pourtant à l’époque, c’était un tour de force. J’ai alors compris que la seule chose qui m’avait animée pendant toute la conception était l’impact positif sur l’humain. Je n’avais pas cessé de me demander comment il fallait s’adresser à un chinois, à un brésilien ou à un anglais tout en essayant d’établir également ce qui nous reliait tous de manière universelle.

Qu’est-ce qui t’avait sensibilisé à l’aromathérapie, à la nutrition et à toutes ces questions de bien-être?

Laetitia Debeausse: Mes parents. Mon père était broker et ma mère décoratrice d’intérieur jusqu’au jour où ils ont tout lâché pour devenir thérapeutes et créer un lieu dédié au bien-être en Bretagne. Ma mère est aujourd’hui maître reiki et s’intéresse à toutes les thérapies alternatives naturelles dont la lithothérapie. Mon père qui est énergéticien a mis au point une technique de coaching sur mesure pour aider à retrouver l’harmonie entre corps et esprit. Mais j’ai surtout fonctionné à l’intuition, en essayant juste de faire preuve d’empathie.

Photographie Lili Barbery-Coulon

C’est ton intuition qui t’a conduit à partir faire un long voyage à la recherche de marques vertueuses?

Laetitia Debeausse: Mon expérience chez Auditoire et chez d’autres grandes agences d’événements m’a permis de prendre conscience que l’impact humain me passionnait. J’étais cependant lassée par l’événementiel et je me suis dit qu’il était temps d’aller observer les entreprises engagées dans l’éthique. Je me demandais jusqu’où on pouvait pousser le curseur. J’avais compris comment remettre l’humain au centre d’un projet. Mais je voulais en savoir plus sur l’écologie et l’impact environnemental. En quelques semaines, j’ai élaboré un voyage qui allait me mener sur la route d’hôtels eco-friendly, de la marque Patagonia, de marques dédiées au service mais aussi d’entreprises comme Veja. Je suis partie pendant trois mois. C’était un véritable voyage initiatique. J’ai réalisé que l’époque ne nous laissait plus le choix. Je me suis mise à écrire quotidiennement pour conceptualiser tout ce que les gens me racontaient de leur propre entreprise. J’ai commencé à élaborer une pédagogie factuelle et théorique. Sans m’en rendre compte, une intention claire a émergé de ces échanges. Celle de la co-création, de la co-construction. Comment tricoter une solution qui puisse nourrir la vision d’une entreprise tout en déconstruisant un système qui ne fonctionne plus? J’ai fondé ma méthode sur trois piliers: l’humain, l’environnement et l’économie. Si on n’est pas viable économiquement, on ne fait rien. Créer une énième ONG ou une nouvelle fondation ne m’intéressait pas. Lorsqu’on est au coeur d’une entreprise, on touche à tous les maux de la société. Dès qu’on agit avec éthique, on a une action sur l’agriculture, l’immigration, le social… Tout en respectant les contraintes économiques d’une entreprise, on peut offrir une vision à ses employés et oeuvrer pour l’humain et l’environnement. Et sans s’en apercevoir, on mène une action politique majeure. Je venais de passer dix ans à écouter les patrons du CAC 40 me parler de leurs problématiques (comment responsabiliser les gens, comment innover, comment assurer le développement durable, comment défendre les valeurs fondatrices d’une entreprise lorsqu’elle devient un groupe gigantesque…) et je me suis aperçue que toutes les solutions étaient reliées par la simplicité.

Cela parait pourtant si compliqué…

Laetitia Debeausse: Il suffit d’un éveil de conscience, d’un coeur qui s’ouvre pour embarquer toute une équipe. Créer un environnement de travail le plus ouvert possible pour que chaque employé puisse se révéler à lui-même et avoir un impact positif sur les autres et sur l’environnement. Si l’on est convaincu que l’on est en train de servir une cause qui nous dépasse, alors on se sent indispensable et le travail devient un lieu d’épanouissement.

Tu envoies du rêve! Il y a tellement de gens qui se sentent inutiles au travail ou bien qui mènent des missions dans lesquelles ils ne croient plus…

Laetitia Debeausse: Dès qu’on arrive à convaincre les entreprises que c’est un projet économiquement viable et que l’aventure humaine à la clef est extraordinaire, alors tout peut basculer. Que ce soit à titre individuel ou collectif, l’époque ne nous donne pas le choix: soit nous réussissons à nous réinventer, soit nous nous auto-détruisons. En terme d’innovation, c’est passionnant car on a tout à imaginer et en se faisant, on répond à des problèmes sociaux et environnementaux monstrueux. Donner un sens à son travail c’est aller vers sa joie. L’entreprise Veja qui fabrique des baskets illustre bien ce changement de paradigme. Les deux fondateurs proposent des baskets attractives qu’ils ont envie de porter et que leur entourage a également envie d’adopter. Mais au lieu d’en faire un énième symbole du capitalisme dénué de conscience, le duo valorise le travail de fermiers brésiliens qui les fournit en caoutchouc naturel. Ainsi ils luttent contre la déforestation avec beaucoup d’efficacité. C’est quand même extraordinaire de se dire qu’on peut conceptualiser un produit qu’on adore, tout en ayant un impact aussi puissant qu’une ONG.

Qu’as-tu fait en rentrant de ce voyage initiatique?

Laetitia Debeausse: J’étais enthousiasmée par tout ce que je venais de découvrir. Cela me paraissait si simple que je me suis demandée si je n’étais pas en train de divaguer. Le retour a été compliqué car en France, en 2015, on n’était pas encore sur ces sujets. J’ai continué à me déplacer, à l’intérieur de mon pays, partout où il y avait des projets comme ceux que je venais d’observer à l’étranger. J’ai passé plusieurs mois à rencontrer des entrepreneurs afin d’imaginer un management juste qui permettrait à chacun de s’épanouir dans son rôle. J’avais envie de réaliser un documentaire sur tout ce que je venais d’apprendre mais ça ne s’est pas fait. Je suis repartie au Brésil avec la marque Veja et un groupe de journalistes. Et début 2016, j’ai mis de côté mon projet de film pour me lancer dans d’autres aventures comme celle d’intégrer le collectif Ma Voix.

De quoi s’agissait-il?

Laetitia Debeausse: Ma Voix est un collectif qui, à l’occasion des élections législatives de juin 2017, a proposé une expérience démocratique d’un genre nouveau. L’idée était de responsabiliser chaque citoyen pour l’amener à voter les lois de son pays avec les outils technologiques que notre époque lui offre. Donc de s’éduquer au travers d’une plateforme puis de voter en conscience. Ce collectif de citoyens n’est affilié à aucun parti politique. Nous avions juste envie d’expérimenter une autre voie démocratique et de permettre à chaque citoyen de devenir député par tirage au sort, comme c’est déjà le cas pour les jurés d’assises, avec le devoir de relayer proportionnellement à l’Assemblée les votes de sa circonscription collectés sur une plateforme numérique. (NDLR: si vous allez sur le site de Ma Voix, je tiens à préciser que les vidéos dans lesquelles on voit des membres du collectif avec des gilets jaunes ont été tournées plus de deux ans avant que le mouvement des “Gilets Jaunes” n’émerge sur les ronds points et ne manifeste dans les grandes villes de France. Cette remarque ne signifie pas que le collectif Ma Voix est en accord ni en désaccord avec les revendications des Gilets Jaunes, ni avec la manière dont ils défendent leurs convictions. Je tiens juste à souligner la chronologie pour que personne ne soit tenté de faire des amalgames)

Tu as décliné dans le domaine politique la même conscience que celle à laquelle tu as été éveillée au sein de l’entreprise?

Laetitia Debeausse: Oui, tout se rejoint. Il s’agit de respecter l’humain et le vivant à tous les niveaux. Et le fil conducteur reste notre conscience supérieure. On peut et il va falloir l’appliquer dans tous les domaines: l’entreprise, la santé, l’agriculture, la scolarité, la justice, la démocratie, la banque. Tout est lié. On peut choisir de baisser les bras et de se dire que la tâche est trop difficile. Mais lorsqu’on lit les travaux de Joël de Rosnay sur l’épigénétique et qu’on comprend que nos comportements peuvent complètement changer l’expression de notre ADN et moduler ce que nous allons transmettre aux générations futures, alors on réalise que tout est possible.

En 2016, tu as aussi travaillé sur un projet de réinsertion de réfugiés?

Laetitia Debeausse: Tout en réalisant mes premières missions en freelance pour des marques souhaitant changer la donne, j’ai participé, avec l’organisation Action Emploi Réfugiés, à la création de Welcome, une collection capsule de mode distribuée chez Centre Commercial, conçue par deux réfugiés afghans professionnels de la mode. Encore une expérience qui a renforcé ma conviction que le monde du travail doit servir de grandes convictions.

Peux-tu nous parler des projets éthiques que tu as aidés à accoucher?

Laetitia Debeausse: Souvent, mon action reste confidentielle. Mon rôle est justement de donner confiance à la personne qui me contacte, de lui donner les outils d’une transition possible afin qu’il se les approprie pleinement et qu’il devienne autonome. Tout commence par une rencontre et une discussion informelle qui va devenir le terreau d’une stratégie au long cours. Les projets varient d’une entreprise à l’autre et les demandes sont très différentes. Ça va de la marque de beauté qui cherche à respecter l’environnement, un hôtel qui veut développer un lieu de bien-être en passant par une marque de mode qui souhaite s’aligner avec les exigences de l’époque… Je travaille aussi avec de grands labels ou des groupes très installés sur des problématiques ponctuelles. Tout m’intéresse à partir du moment où on avance en conscience. Je définis et j’accompagne chaque étape. C’est une aventure passionnante.

Laetitia et moi sur une plage de l’Ile de Ré fin 2018

Tu peux quand même nous parler de ton rôle dans la création de Maison Aribert dont j’ai récemment parlé sur le blog?

Laetitia Debeausse: En effet, j’ai beaucoup travaillé sur la conceptualisation de ce lieu à la demande du chef étoilé Christophe Aribert. J’ai commencé par identifier les engagements qu’il avait envie de mener au travers de cette maison. Et j’ai déroulé tout ce qui me semblait servir ces engagements. Du choix des assiettes à celui de la peinture, des uniformes des employés en passant par la formation en naturopathie de sa brigade, des matelas écologiques à la question de la filtration de l’eau ou encore à la transition agricole avec la création d’une ferme en permaculture en partenariat avec Fermes d’Avenir. Dans un premier temps, cela va lui permettre d’être auto-suffisant avec une ferme sur la commune d’Uriage où Maison Aribert est située, mais aussi, parce qu’il y a toujours une logique collective, de fournir des paniers bio pour les habitants de la commune, la maison de retraite, les écoles ou la clinique. Christophe Aribert a fait preuve d’un tel enthousiasme qu’il oeuvre à lever des fonds supplémentaires pour lancer un projet agricole de 60 hectares dans le Vercors, toujours avec Fermes d’Avenir. Même si ce projet est encore en construction, ce qui est formidable dans cette aventure c’est de voir comment l’aura d’un chef et sa conviction personnelle ont permis de réunir des chefs d’entreprises et de grandes familles locales autour d’une seule et même table afin de mettre au monde un projet aussi fou.

Je comprends ton besoin d’aller au bout des choses. J’ai la chance de visiter beaucoup d’hôtels et de spas. Souvent, je me dis “ah quel dommage, c’était à deux doigts d’être génial mais le menu du restaurant ne propose rien pour les végétariens”! Ou bien, je vois des céréales et des yaourts industriels proposés au buffet du petit-déjeuner de cinq étoiles soit disants “éthiques”, de la climatisation à outrance qu’on ne peut pas régler, des massages nullissimes vendus plus de 150€ de l’heure… J’ai l’impression néanmoins que tout le monde commence à s’interroger, non?

On est entré dans une période jouissive qui permet à n’importe quel leader ou chef d’entreprise de prendre la parole sur ces sujets et d’obtenir des retours extraordinaires et immédiats. Humainement parlant, c’est fou. De plus en plus de femmes et d’hommes ont envie de partager leur vision et d’oeuvrer avec élan. On le sent et c’est encourageant.

Mais n’as-tu pas l’impression que parmi tous ces discours, il y a aussi beaucoup de green washing? Ou même des entreprises qui se servent du mot “conscience” pour faire cravacher leurs employés encore plus qu’avant sans les valoriser?

Si l’on déplace le problème et que le but n’est que de créer de la joie à court terme en proposant un cours de yoga à ses employés sans rien changer au fonctionnement de l’entreprise, ça ne peut pas fonctionner. Idem pour l’engagement environnemental. Si l’on se contente de reverser un pourcentage infime de ses bénéfices à une ONG tout en continuant à polluer, le succès à long terme ne sera pas au rendez-vous. Encore une fois, il suffit d’une projection économique pour parfois convaincre les entreprises qu’il est temps de changer de modèle sinon ils vont finir par se prendre un mur et désintéresser leurs salariés comme leurs clients.

Tu touches un point que nous abordons aussi en kundalini yoga, celui de l’abondance et donc du succès financier. Il est donc bien compatible avec l’engagement pour un impact positif sur le vivant?

J’en suis convaincue et c’est même une condition sine qua non si l’on veut s’inscrire dans le futur. Aujourd’hui, il y a ceux qui ont compris que le changement climatique était une réalité et qui, en enclenchant leur transition écologique, prennent de l’avance sur ceux qui n’ont pas encore saisi l’urgence. Les consommateurs se souviendront de ceux qui ont eu l’audace de servir la conscience collective.

Cela nécessite aussi de repenser complètement l’idée de réussite professionnelle. Pendant longtemps, on a valorisé – et moi la première – les entreprises selon leur chiffre d’affaire ou le nombre de leurs salariés. Plus les chiffres comptent de zéro, plus on est impressionné. J’ai récemment été très touchée par une conférence qu’a donnée Satish Kumar, auteur et activiste pour la paix et l’écologie dans le monde, également fondateur du Schumacher College en Angleterre. Ca se passait chez “My Little Paris” et il a commencé par nous dire que “little is good, small is beautiful”. Notre société valorise encore beaucoup trop ce qui est gigantesque. On croit que plus une entreprise grandit, plus elle réussit. Parallèlement, la marque Veja a partagé un post sur Facebook qui m’a également fait réfléchir. L’un des deux fondateurs expliquait pourquoi ils n’avaient pas souhaité faire entrer d’investisseurs, pourquoi ils se satisfaisaient d’une croissance lente et progressive. Tout l’inverse de ce qu’on nous vante du matin au soir… Je connais des chefs d’entreprise qui de l’extérieur donnent l’impression qu’ils sont “au top” parce qu’ils ouvrent des dizaines de boutiques en très peu de temps. Mais qui confient ne plus réussir à dormir la nuit, n’avoir plus aucune créativité car ils sont pris au piège d’une machine infernale de charges et de crédits à rembourser.

Laetitia Debeausse: Dès qu’on intègre cette vision de l’humain et de l’environnement, tout se régule. Ne pas avoir d’investisseurs permet de garder de l’agilité. C’est beaucoup plus difficile lorsqu’on doit rendre des comptes. Mais comme dans notre formation à l’enseignement du kundalini yoga, le chemin d’une entreprise n’est pas linéaire. Il y a des périodes de stagnation, des périodes où l’on ne fait pas de bénéfices, puis d’autres où l’on entre dans une expansion beaucoup plus rapide. L’argent est évidemment un sujet important mais ce n’est pas le seul. Les rencontres sont déterminantes. Il y a une telle union dans la co-création qu’on se sent nourri en profondeur. Ce qui est amusant c’est que je n’ai jamais vu autant de troc de toute ma vie. De l’échange de savoirs et de compétences. L’important est de rester dans une lignée de vision et dans une co-construction mutuelle…

Photographie Lili Barbery-Coulon

Vous pouvez suivre Laetitia Debeausse sur Instagram. Et n’hésitez pas à lui poser des questions en commentaires, elle y répondra avec générosité. Je suis curieuse de savoir ce que notre long échange vous inspire et si vous sentez ces changements de paradigme à titre individuel ou professionnel? La boîte dans laquelle vous travaillez tient-elle compte de cette nouvelle donne? Et si vous êtes créateur/créatrice d’entreprise, la transition écologique fait-elle déjà partie de votre stratégie?