Ralentissement programmé
Il y a des lieux comme cette vue à Rome où l'on est cordialement invité à arrêter le temps pour s'installer dans l'intensité de l'instant présent. Photographie Lili Barbery-Coulon

Ralentissement programmé

Ralentissement programmé

Slow life, slow food, slow cosmétique… l’adjectif « slow » – qui signifie lent – est décliné sur tous les tons depuis quelques années. Mais que signifie concrètement le fait de ralentir le rythme de son existence et comment assumer les conséquences d’une décélération assumée?

Après quoi court-on tous comme des hamsters dans des roues?

Il y a près de trois mois, j’ai fait un vœu : ralentir. Je l’ai déclaré officiellement en avril devant un groupe d’élèves qui comme moi ont entamé une formation pour enseigner le kundalini yoga. L’un des premiers exercices était de poser une intention individuelle pour cette formation. J’ai répondu d’emblée que je souhaitais ralentir. C’était le 15 avril 2018, un dimanche qui mettait fin à une semaine en apnée comme j’en ai souvent connu : le 11, je passais la matinée chez Hachette dans le département des Éditions Marabout pour signer les premiers exemplaires de mon livre qui seraient envoyés aux journalistes et aux influenceurs. A 12h, je déjeunais avec la maquilleuse Violette pour le lancement de sa première collection de maquillage avec Estée Lauder. L’après-midi, je mettais en place tout le mobilier et la vaisselle pour le lancement presse de mon livre qui a eu lieu le 12 avril au matin à la Villa Rose. Le 13, après avoir passé la veille à ranger la Villa Rose et trier une bonne tonne de photos prises par mon mari pendant l’événement, je suis allée signer une promesse de vente pour le bureau qui me fait rêver depuis plus d’un an. Le soir de la même journée, je me rendais chez Sézane pour la première signature publique de mon livre. Je ne me suis arrêtée cette semaine-là que pour aller au yoga (en courant), manger et me doucher. Je mentirais si je disais que je ne me sentais pas ultra valorisée par l’accumulation de toutes ces taches. Après tout, je vivais à fond tout ce que j’avais toujours rêvé de faire. Il n’y avait rien à redire, juste à profiter. Et puis, j’avais le yoga, j’y allais alors trois fois par semaine, ce qui me semblait déjà héroïque. Pourtant, en accélérant le rythme de mes foulées, du marché bio des Batignolles jusqu’au Studio Keller dans le 11e à Paris, tout en prenant soin de répondre à toutes les questions reçues en MP sur Instagram et en enregistrant simultanément un message vocal à mon amie Caroline installée en Californie, j’ai senti qu’il y avait un truc qui ne tournait pas rond. C’était ça la vie que je voulais ? Courir tout le temps ? Après quoi exactement ? Pourquoi est-ce que je m’étais inscrite à cette formation ? J’étais pourtant heureuse de mon travail tel qu’il est. Je me suis construit une famille que j’adore et je suis entourée d’amis qui me donnent tellement de joie. Je bosse de chez moi dans un cadre choisi, aux côtés de l’homme que j’aime, sans hiérarchie gonflante ni transports en commun asphyxiés par la sueur à prendre chaque matin. Je gagne ma vie correctement, je voyage, j’arrive à partir en vacances, je peux m’offrir ce dont j’ai besoin pour me sentir bien (mon budget étant essentiellement dédié à l’alimentation bio, les cours de yoga et les escapades en train). Alors, après quoi je courais encore en avril 2018 ?

Nouveaux codes, nouvelles valeurs, nouveau monde

J’ai toujours vu mon père travailler avec acharnement. Il n’aimait pas les vacances et même lorsque nous étions en congés chez lui au Canada, il continuait inlassablement ses recherches scientifiques. Il courait, lui aussi. Après quoi, je ne le saurai jamais. Le savait-il lui-même ? Parfois, il louait un chalet au bord d’un lac pour l’été. J’ai un vague souvenir de lui sur une plage, grillé comme un homard sous la plante des pieds. Sa peau ne supportait pas le soleil à l’instar de tout son être qui ne tolérait pas l’inaction. Il m’impressionnait beaucoup lorsque je le voyais entouré de ses élèves à l’Université Laval. Je me disais que plus tard, moi aussi, je mettrais autant d’énergie dans le travail puisque c’était la valeur absolue de la réussite, selon lui. Et puis, il est mort d’un cancer du cerveau en l’espace de deux mois. Il avait 46 ans. J’en avais 13. On n’a jamais su ce qui avait provoqué ce cancer. Une cascade d’hypothèses a été élaboré. Des plus scientifiques aux plus fantaisistes. Chacun donnait son avis, qu’il l’ait connu ou non. Parmi elles, une a retenu mon attention de collégienne : il avait trop travaillé. Il avait « usé » son cerveau. J’ai mis cette pensée dans un coin de ma tête et je l’ai oubliée au fil des années. Lorsque je me suis mise à travailler, même dans mes premiers petits boulots alimentaires, on disait systématiquement de moi que j’étais une « bosseuse ». Cela me remplissait de fierté. J’ai passé des années à me plaindre que j’étais débordée tout en étant ravie ce cette situation. J’atteignais le mois d’août comme ces coureurs qui s’écroulent face contre terre après avoir passé la ligne d’arrivée. Comme je n’étais entourée que de gens comme moi dans mon milieu professionnel, je ne questionnais pas cet état d’épuisement avancé. « Ben quoi, on pourra pas dire qu’on a volé nos vacances ? » me disais-je avec l’impression d’avoir gagné une nouvelle médaille invisible. Tout donner. Ne garder aucune réserve puis dormir. Et repartir pour un tour. Jusqu’à ce que je n’en puisse plus. Il y a deux ans, tout a changé dans ma vie. Je ne voulais plus de cette course folle. J’ai changé de travail, j’ai quitté mon emploi salarié au journal Le Monde, monté ma société, mais surtout je me suis remise en tête de mes priorités. Il fallait prendre le temps de la réconciliation. Avec mon corps. Avec moi tout court. Je l’ai beaucoup raconté, je vous invite à lire cet article si vous découvrez mon blog. La découverte du yoga kundalini m’a évidemment beaucoup aidée. Mais c’est un long chemin et il est loin d’être terminé. J’enlève, couche après couche, tout ce qui m’empêche d’être au plus proche de ce que je suis authentiquement. Mon amie et professeur de kundalini yoga Anne Bianchi me parle souvent de voiles qu’on décolle au fil de la pratique. En ce moment, j’ai des images différentes qui me viennent. Il ne s’agit plus de rideaux en velours ou de voilage en coton. J’ai l’impression de décoller une peau fine, comme lorsqu’on s’amuse à tirer sur une peau qui pèle après un coup de soleil. Parfois, toute la peau vient. Parfois, il reste plein de petits morceaux enroulés et il faut plusieurs jours pour découvrir l’épiderme frais et intact en dessous. Ces voiles, ce sont des filtres familiaux, des filtres sociétaux, des héritages collectifs et moralisateurs. On en intègre tellement au cours de la vie qu’il faut bien plusieurs existences pour les nommer. Ca tombe bien, parce qu’en yoga comme dans de nombreuses philosophies asiatiques, on croit en la réincarnation. Alors si ça se trouve, ça fait déjà des milliers de vie que j’essaie de décoller les derniers voiles sans y parvenir 🙂 et que je reviens à chaque fois sur terre pour me retaper les mêmes souffrances, les mêmes scènes, jouées différemment avec des personnages de substitution mais toujours dans l’optique de comprendre enfin ce que je suis sans tous ces filtres… Lorsqu’on commence à s’interroger sur les héritages collectifs, on s’aperçoit qu’on se trimballe un paquet de valeurs qu’on n’a pas du tout choisies. Au sujet du rythme et du travail, par exemple, regardez combien la société valorise ceux qui bossent de façon effrénée. Le discours politique « travailler plus pour gagner plus » n’est qu’un prolongement d’une pensée collective que nous avons digérée, acceptée, métabolisée. Et s’il y avait une autre voie ? Et si notre valeur véritable n’était pas dépendante de la quantité de travail que nous fournissons ? Et si ces idées appartenaient à un monde ancien qui n’est plus le reflet de nos aspirations profondes et actuelles ? Le problème est que tant qu’on n’a pas identifié cette course folle comme un besoin de reconnaissance et d’amour à l’extérieur de nous-même (et donc comme un manque évident de confiance et d’estime de soi), on jouit dans l’illusion de ce rythme marathonien.

RALENTIR CONCRÈTEMENT

Je voulais ralentir ? L’univers a bien tendu ses oreilles. D’abord mon ordinateur s’est arrêté brusquement sans raison dès mon retour de formation le 21 avril. J’ai attendu trois semaines pour qu’il soit réparé. J’ai même pensé à un stade qu’on ne pourrait jamais le réanimer. J’y étais prête, ça n’avait plus aucune importance. C’est d’ailleurs le jour où je n’ai plus du tout eu peur de perdre mes photos et mes textes qu’on a réussi à me le réparer. J’ai désormais des problèmes avec mon téléphone qui arrive en fin de vie puisqu’il a été programmé pour mourir au bout de deux ans de loyaux services (merci Apple). Je le fais tenir un peu plus depuis quelques mois parce que ça m’agace de dépenser autant dans un nouvel appareil. Parfois, il s’éteint brusquement ou bien il chauffe comme pour me dire : « Toi aussi, tu chauffes, lâche-moi un peu et va lire un bouquin ». Je voulais ralentir ? J’ai deux heures de pratique obligatoire chaque matin (qui me prennent en fait deux heures trente avec la douche froide, l’échauffement, le pranyama et la méditation). Pendant deux heures trente, je ne suis plus occupée à écrire des textes pour gagner ma vie ni à construire des stratégies de communication pour des marques (ce que je faisais beaucoup avant, en plus de tout ce que vous voyez en surface sur le blog et les réseaux sociaux). Je travaille moins pour les autres et beaucoup plus sur moi. Je lis beaucoup plus et je tiens un journal émotionnel. En prime, comme je l’ai déjà dit dans l’article sur mes challenges de 40 jours de kundalini yoga, mon mentor a décidé de me faire passer une autre étape dans ce ralentissement programmé en me demandant de faire l’expérience d’une cure de riz complet. Je dédierai un article complet sur ce sujet en temps voulu, quand je serai prête. Mais je peux déjà vous dire que le bénéfice majeur de cette mono-diète se mesure en terme de tempo. Encore une fois, j’ai été contrainte et forcée de ralentir pour pouvoir tenir. Pas question de conserver un programme chargé, d’enchainer les présentations presse et les rendez-vous aux quatre coins de Paris dans la même journée. J’ai eu besoin de beaucoup de calme pour rester sereine pendant ces 9 jours à ne manger que du riz complet matin, midi et soir (sans matière grasse ni sauce ni sel). Mon niveau d’excitation habituelle a dégringolé. Tout glissait sur ma peau. Je ne me sentais plus du tout concernée par les petits tracas du quotidien. Cette sensation de decrescendo a été jouissive. Et je compte bien m’en inspirer pour la suite.

travailler moins et gagner plus

Je voudrais pouvoir vous dire que j’ai trouvé une méthode miraculeuse qui me permet d’en faire autant qu’avant dans une temporalité contractée. Aïe. Nein. Nichts. Non. Pas du tout. La seule solution est que j’ai accepté de moins travailler. Ce qui signifie que j’ai aussi accepté de repenser mon économie. Depuis deux ans, j’essaie de protéger le blog de tout ce qui n’est pas en cohérence avec ma ligne de pensée. J’y arrive très bien je crois et j’en suis fière car cela exige de moi de refuser de nombreux projets que je ne trouve pas dignes de moi ni de vous. Vous ne trouverez pas sur mon blog, ni sur Instagram, des mentions de produits qui n’ont rien à voir avec ce que je suis ni avec ce que j’écris habituellement. Demain, je vais partager avec vous une sélection de parfums que j’ai adorée. Je les ai choisis librement et aucune des marques citées ne m’a payée pour mentionner son flacon. En dehors des concours (et encore, pas tous ! et aucun organisé à l’occasion du calendrier de l’avent pour info) et de quelques événements organisés avec le soutien financier de marques partenaires, je ne suis pas rémunérée pour tenir ce blog ni mes comptes sur les réseaux sociaux. En France, on a beaucoup de mal à parler de ces sujets (encore un héritage culturel) et on montre toujours du doigt ceux qui s’enrichissent comme s’ils étaient forcément indignes de leur prospérité. Dans le yoga que je pratique, l’abondance n’est pas un sujet tabou. Au contraire, on peut même l’appeler dans sa vie à travers des méditations. L’idée n’est pas de demander de gagner au loto (enfin chacun fait bien comme il veut) mais d’avoir assez pour donner vie aux désirs qui nous font le plus vibrer. Or, depuis que j’ai commencé à ralentir, je suis à nouveau animée par des rêves un peu fous dont je ne peux rien vous dire pour le moment car ce serait prématuré. Pour les réaliser, je vais avoir besoin de temps. D’abord pour intégrer tout ce que je suis en train de transformer. Mais aussi pour me former plus encore et pas seulement en kundalini yoga. J’ai une soif démesurée d’apprendre dans tous les domaines qui me passionnent aujourd’hui. J’ai aussi besoin de temps pour écrire car j’ai entamé beaucoup de projets très personnels dont j’aimerais accoucher. Je sens que je suis comme un vin qui doit être décanté avant d’être servi. Ce temps de gestation, d’intégration et de réflexion m’est indispensable. Mais comment le faire coïncider avec mon remboursement de crédit immobilier, la location de la voiture pour cet été et mes besoins habituels pour faire tourner ma boite ? Faire confiance. Oui, oui, ça va vous paraître un peu fou mais la seule décision que je suis capable de prendre aujourd’hui est de rester dans la confiance. Universe has my back, right ? Je vais continuer à me rapprocher de ma joie pure, celle qui me fait vraiment décoller car je sais qu’immergée dans ce bain lumineux, je finis toujours par trouver toutes les solutions et les idées miraculeuses que j’attendais. L’an passé, je ne savais pas que j’allais écrire un livre de cuisine. J’y ai pensé furtivement pendant une méditation et la maison d’éditions est venue à moi aussi sec sans que je fasse la moindre démarche. Il m’est arrivé tellement de miracles de cet ordre que j’envoie ma nouvelle intention distinctement : je veux désormais travailler moins et gagner plus ! Bim ! DEMANDE ENVOYÉE.

Et vous, quel est votre rapport au temps alors que je viens de vous faire perdre une demi heure de votre journée à lire ce post ? Quel rapport avez-vous au travail ? Pensez-vous qu’il faut forcément bosser comme un damné pour se réaliser ? Savez-vous dire non lorsqu’on vous en demande toujours plus ? Si oui, comment faites-vous pour établir les limites ? Sinon, de quoi avez-vous peur ? Hâte de lire vos réponses !