Maison Aribert
20/02/2019
Il en faut du courage pour créer un lieu respectueux de chaque cellule du vivant. Du courage et sans doute un peu de folie. La semaine dernière, j’ai passé trois jours dans la nouvelle Maison Aribert, un espace à peine ouvert par le chef étoilé originaire du Vercors, Christophe Aribert. Une adresse à Uriage, à vingt minutes de Grenoble, qui réunit à la fois un restaurant gastronomique, un café plus accessible, un espace bien-être, quelques chambres d’hôtes et une immense salle sous les toits pour réunir de grands groupes. Un lieu qui n’a qu’un seul désir : créer un impact positif sur le vivant. Sur tous les vivants.
Une visite en avant-première
C’est mon amie Laetitia Debeausse qui a été la première à me parler de cette Maison il y a quelques mois lorsque nous avons entamé ensemble notre formation à l’enseignement du kundalini yoga. Elle travaillait déjà avec Christophe sur ce projet vertigineux et elle me l’a présenté peu de temps après notre rencontre. Très gentiment et bien que je ne sois pas une journaliste experte en gastronomie, Laetitia et Christophe ont accepté que je découvre Maison Aribert en avant-première alors que les chambres n’étaient pas terminées et que les ouvriers du chantier s’affairaient comme des abeilles dans une ruche à bâtir. Cette escapade m’a tellement enthousiasmée que j’ai eu envie de tout vous raconter. Attention, post fleuve, accrochez vos ceintures !
Du Vercors à Uriage en passant par le Crillon
Christophe Aribert n’est pas né à Uriage. Il a grandi un peu plus loin, dans le Vercors, entouré d’arbres et de montagnes. Mais aussi de casseroles et de vapeurs de gratins. Avec un arrière-grand-père agriculteur-maraîcher, un grand-père boulanger et un père cuisinier et hôtelier, il a passé les mercredis de son enfance à faire et refaire des milliers de fois une recette de génoise au chocolat, dénichée au hasard, afin qu’elle devienne aussi légère que la poudreuse sur laquelle il aimait déjà skier l’hiver. Bien plus tard, un déjeuner chez Pierre Gagnaire lui fait l’effet d’une épiphanie : sa voie sera celle d’une cuisine construite comme un haïku. Simple, surprenante et émouvante. Il fait alors ses classes dans de nombreuses maisons étoilées. Il passe par la Tour d’Argent ou encore Le Crillon à Paris avant de prendre les commandes du restaurant Les Terrasses à Uriage au début des années 2000. C’est dans ce lieu qu’il remporte ses deux macarons. Et puis, il y a un peu plus de quatre ans, il décide de se lancer dans une aventure d’une toute autre envergure : ouvrir sa propre maison à quelques pas du restaurant dans lequel il a aimanté toute l’attention. Connue pour son eau thermale et rendue célèbre par la marque éponyme de cosmétiques vendus en pharmacie, la commune d’Uriage cherchait justement un porteur de projet pour réhabiliter l’ancien grand-chalet au centre du parc de la commune. Un bâtiment né au XIXe siècle que Christophe décide de transformer avec l’aide de Joëlle Personnaz, une architecte bio-géologue qui étudie les forces telluriques et les énergies en présence pour concevoir les lieux. Le dialogue entre l’ancien et le contemporain mais surtout entre la nature et les hommes a alors démarré.
Comment avoir un impact positif aujourd’hui ?
Aujourd’hui, tout le monde se dit sensible à l’avenir de la planète et à l’écologie. On colle des labels bio et des étiquettes eco-friendly ici et là mais dès qu’on se met à gratter le vernis émeraude, on est souvent bien déçu. En octobre 2017, alors que Christophe Aribert travaille déjà avec l’architecte Joëlle Personnaz, une discussion avec Laetitia Debeausse lui fait prendre conscience que le respect de la planète doit être décliné dans les moindres interstices de son projet. L’enjeu n’est pas de faire de Maison Aribert une adresse vertueuse aux yeux des autres mais de créer un impact positif sur le vivant. Passionnée par le projet de Christophe, Laetitia l’aide alors à conceptualiser une charte qu’il va pouvoir décliner de manière transversale. Ensemble, ils poussent le curseur du respect des humains et de la planète aussi loin que l’époque l’exige.
Artisanat, autonomie et permaculture
Alors évidemment, tout ce qui est servi en cuisine, qu’il s’agisse de la carte du Café A ou du restaurant gastronomique deux étoiles est bio, de saison, sourcé avec la plus grande éthique et de préférence localement. En plus d’entretenir une relation étroite avec les maraîchers et les producteurs qui fournissent la cuisine, Maison Aribert est en train de créer une ferme de quatre hectares à Uriage dans le respect des nouvelles techniques de permaculture et d’agroforesterie pour devenir parfaitement autonome et fournir les collectivités (école, maison de retraite) de la commune. Ils ont même un projet encore plus ambitieux : une ferme de plusieurs dizaines d’hectares dans le Vercors qui devrait se développer avec l’aide de Fermes d’Avenir dans le Trièves. L’eau servie dans les restaurants est filtrée à deux reprises par de nouveaux systèmes intelligents et coûteux afin d’éviter l’achat de bouteilles d’eau minérale. Les céramiques à table (Jars, Three Seven Paris, Patricia Vieljeux), les couteaux ou encore la lampe gigantesque du café (Boboboom) sont fabriqués par des artisans français dont chaque histoire mériterait d’être racontée. La brigade qui prépare les repas aux côtés de Christophe a aussi été sensibilisée à la naturopathie grâce à une formation sur mesure. Pourquoi ? Parce que respecter le vivant c’est avant tout respecter les cellules des clients. Pas seulement en leur servant des produits sans pesticides mais aussi en respectant leurs organes de digestion. On peut faire l’expérience d’apothéose gustative sans avoir le ventre en vrac à la fin du repas.
L’extrême poésie de Christophe Aribert
Dans l’assiette, on écoute la mousse des bouillons fouettés en nuage, on observe les métamorphoses des légumes devenus nobles, on redécouvre la saveur d’un champignon qu’on prend pour une truffe, on frissonne de plaisir comme des enfants qui marcheraient dans la neige pour la première fois. C’est d’un grand raffinement sans jamais tomber dans le piège de la démonstration. Christophe donne l’impression que tout est simple, à l’instar des danseurs étoiles qui font l’illusion de l’aisance sur la scène. Le ballet des assiettes minimalistes s’enchaine au rythme des mmmmmh et des aaaaaahhh autour de la table. J’ai eu la chance de déjeuner à « la table du chef », juste devant la cuisine où l’on voit Christophe et la brigade s’affairer dans un calme surprenant. Je vous recommande cet espace bien que tout le reste du restaurant gastronomique qui donne sur le parc et le jardin intérieur des mousses est magnifique également. Le café A qui est beaucoup plus accessible en terme de tarifs (33 euros le déjeuner entrée plat dessert sans les vins par personne) est moins formel. On s’installe autour de la grande table en bois sous le lustre de lampes en opaline ou en amoureux devant un cake maison à l’heure du thé. C’est aussi dans cet espace que les clients de l’hôtel prennent leur petit-déjeuner.
Éthique sur chaque millimètre carré
Quand on commence à dérouler le fil conducteur de la conscience, il devient impossible de restreindre son champ d’action. C’est ce que j’ai appris ces derniers mois en observant Laetitia Debeausse travailler. Je veux et je vais vous la présenter dans un article dédié car cette femme de l’ombre est l’une des personnes qui m’a le plus inspirée ces derniers mois. Chacune de nos conversations sur l’avenir de la planète, la réalité actuelle du changement climatique, l’économie de demain, la démocratie participative, l’école à inventer m’a nourrie et transformée en profondeur. Et le plus dingue avec cette visionnaire c’est qu’elle réussit toujours à vous donner l’impression qu’elle n’a rien fait et que tout vient de vous. Elle se dit « accoucheuse de projets » mais sa mission est bien plus vaste. Sa participation active à la création de Maison Aribert se sent dans les moindres recoins si on a la chance de bien la connaitre. C’est d’ailleurs elle qui signe le design intérieur des espaces de la maison. Elle a le don pour soigner les détails comme le diffuseur d’huiles essentielles qui accueille les clients dans les chambres aux teintes douces (mélanges sur mesure de peintures Ressource), la ligne de gels douches bio Ma Thérapie dans les douches, les éclairages subtils dans tous les espaces… Même la literie est vertueuse ; elle est suédoise, fabriquée à la main sans latex ni fibre synthétique, à base de crin de cheval reconnu pour ses vertus anti bactériennes et anti acariens. Personnellement, c’est le confort du matelas qui m’a donné envie de m’intéresser à cette marque (Hästens). Oubliez la télévision, il n’y a pas d’écran dans les chambres mais vous pourrez demander une tablette avec un abonnement Netflix si vous vous ennuyez.
Une saveur de Kyoto à Uriage
A chaque étage, la question posée est : « Est-on, oui ou non, en train de respecter la nature et les humains ? » Dans les escaliers qui mènent aux chambres, on découvre une partie de l’exposition Hatarakimono Project du duo de photographes franco-japonais K-Narf présentée à Kyoto lors du festival Kyotographie sur des formats gigantesques en pleine ville. Chez Maison Aribert, on peut voir les tirages de cette série pléthorique de portraits de travailleurs japonais dans leurs uniformes. L’idée est de nous sensibiliser au travail de ces femmes et ces hommes indispensables au quotidien des Japonais. Valoriser le savoir-faire de l’expert en légumes saumurés, du poissonnier, de la pâtissière, du charpentier ou encore du peintre en bâtiment. Imaginez leur émotion lorsqu’ils se sont découverts grandeur nature sur le marché de Kyoto ! Cette exposition a tellement touché Christophe Aribert et Laetitia Debeausse de passage au Japon au même moment qu’ils ont décidé de contacter les artistes pour collaborer avec eux. En plus des tirages, on peut également acheter le livre issu de ce projet (en vente à l’hôtel) qui est une pure merveille.
Valoriser chaque métier
Respecter le vivant, ça ne peut donc pas se faire sans valoriser les humains qui font de ce lieu ce qu’il est en train de devenir. Toutes les entreprises qui ont participé à la rénovation du bâtiment sont bien évidemment engagées dans une démarche écologique. Je ne vais pas les citer car la liste est longue mais je trouve incroyable que l’hôtel communique leurs noms pour faire connaitre leurs savoir-faire. Je ne suis pas une experte en tourisme, mais j’ai rarement vu une telle valorisation des métiers. Ils sont allés tellement loin qu’ils ont même fait un rituel énergétique solennel très sérieux pour demander au sol d’accueillir ce projet avant même de le démarrer. Certains trouveront peut-être cette démarche farfelue ou anecdotique. Je la trouve d’une modernité folle.
Et à part manger ?
Bon, mais qu’est-ce qu’on vient faire à Uriage si l’on n’est pas de la région ? Du ski (Chamrousse est à quelques minutes en voiture), de la marche, du vélo… L’hôtel sera d’ailleurs bientôt équipé en vélos électriques disponibles pour ses clients. Une chambre entièrement dédiée au bien-être accueillera d’ici peu un co-working de thérapeutes – naturopathe, kinésiologue, masseuse ayurvédique reiki, éthiopathe…- afin de proposer une série de soins en lien avec l’esprit de la maison. Enfin, au dernier étage, il y a une immense salle pour organiser des événements plus festifs, des séminaires ou encore des cours de… YOGA ! Euh, vous avez remarqué que je n’ai quasiment pas parlé de kundalini yoga dans cet article et que c’est une première 🙂 … Parenthèse refermée, ça me donne beaucoup d’idées pour l’avenir et pour mon projet de transformative journey. Je vous en reparle très bientôt !
De l’espoir pour l’avenir
Si vous passez chez Maison Aribert avant l’arrivée des premières pousses dans le jardin, soyez patients et faites preuve d’imagination. L’espace vient à peine d’ouvrir et le jardin ressemble encore à un terrain vague. Normal : il n’était pas question de forcer la terre ni les saisons. Dans quelques mois, le paysage aura beaucoup changé et j’y retournerai pour vous le montrer. Même dans la gadoue et les bruits de perceuse fixant les dernières appliques, j’ai adoré mon séjour. Il m’a donné de l’élan pour faire mieux à mon tour et relever le défi de notre époque : respecter chaque cellule du vivant. Celles de notre corps. Celles de la terre sur laquelle on vit. Celles de ceux qui nous entourent. Nous ne sommes qu’un. Et le challenge est vertigineux. Hauts les cœurs !
Maison Aribert, 280 Allée Jeune Bayard, 38410 Saint-Martin-d’Uriage, Tel : +33 4 58 17 48 30. 33€ le menu entrée/plat/dessert au Café A, 28€ la formule entrée/plat ou plat/dessert. De 120 à 189€ le menu par personne au restaurant gastronomique deux étoiles (ce qui est archi raisonnable et je peux vous dire que pour obtenir ce prix juste et accessible, Christophe Aribert fait des efforts de folie compte tenu de la qualité de son offre). Quant à l’hôtel, il est en « soft opening » : la maison étant encore en rénovation, le jardin en construction, les tarifs actuels sont plus avantageux qu’habituellement (195€ la nuit au lieu de 390€, petit-déjeuner inclus), malgré le fait qu’on soit en haute saison pour le ski