Le Couvent de Pozzo
photographie Lili Barbery-Coulon

Le Couvent de Pozzo

Le Couvent de Pozzo

A peine rentrée du Couvent de Pozzo en Haute Corse où je viens de passer une dizaine de jours en famille, j’ai eu envie d’immortaliser mon séjour avec ce texte. Je ne voulais pas risquer d’oublier mes sensations encore fraîches. Un lieu inspirant que je vous souhaite d’aller un jour visiter.

photographies Lili Barbery-Coulon

Si vous aimez les chambres climatisées en plein été, les plateaux servis au lit et les baignoires débordant de mousse, mieux vaut éviter le Couvent de Pozzo en Haute Corse. Cet ancien lieu de prière dont la pierre transpire encore le chant des moines capucins n’a rien d’un hôtel. Transmise par les moines à une famille pieuse au moment de la révolution française, cette maison gigantesque n’a jamais été divisée ni fracturée par les différentes successions. Elle est restée dans la famille d’Emmanuelle Picon qui y a passé tous ses étés et a décidé de quitter sa vie parisienne il y a moins de dix ans pour prendre soin de cette demeure. Un choix qui fait aujourd’hui rêver de nombreux urbains traumatisés par le confinement mais qui a exigé de nombreux sacrifices et beaucoup de courage.

photographie Lili Barbery-Coulon

une demeure surprenante

Installé dans le petit village de Pozzo entre Lavasina et Erbalunga, le Couvent surplombe l’Est du Cap corse. Au loin, de la grande terrasse en pierres de ruisseau où est nichée la piscine, on aperçoit l’archipel toscan derrière les pins maritimes. Certains jours, les îles d’Elbe et Pianosa restent dans la vapeur cotonneuse des nuages à l’horizon. Mais dès que le vent se remet à balayer la côte, on voit si bien leurs contours qu’on croirait pouvoir les rejoindre à la nage. Lorsqu’on arrive à Pozzo, on repère aisément le clocher de l’église adossée au Couvent. En revanche, même de la route la plus proche, il est impossible d’imaginer la splendeur de la bâtisse bordée de bougainvilliers fuchsia et de végétaux grimpants. Ne vous hasardez pas à visiter l’espace sans avoir préalablement pris rendez-vous avec Emmanuelle et son mari Loïc. Vous risqueriez d’être repoussés par Atlas, le chien aux yeux vairon et les trois chats qui ne sont aimables qu’avec les invités validés par les propriétaires.

photographies Lili Barbery-Coulon

l’Univers avait prévu mes vacances au Couvent

La première fois que j’ai entendu parler de ce lieu, c’était il y a six ou huit ans. Bertrand et Charlotte, les directeurs artistiques de l’agence Anamorphée (dont je vous ai déjà parlé sur ce blog si vous me suivez depuis loooooongtemps) venaient de signer la charte graphique et le site internet du Couvent pour Emmanuelle et me recommandaient vivement d’aller y séjourner. J’en avais très envie mais j’avais gardé une idée de la Corse en été héritée par quelques séjours dans le Sud : bondée de touristes et impraticable en voiture. Il y a trois ans cependant, un ami nous a permis de découvrir le Cap que je ne connaissais pas et j’en suis aussitôt tombée amoureuse. Je retrouve ici tout ce que j’aime dans les Cévennes : des routes sinueuses et étroites, des montagnes désertes, des châtaigniers et des murs de pierres sèches, des chèvres libres qui dévorent le maquis, des paysages sauvages et isolés. Avec en prime la Méditerranée qui oscille du turquoise au marine. Je me suis promis d’y retourner dès que j’en aurais l’occasion et j’en ai rêvé pendant le confinement. Malheureusement, la maison était privatisée pour l’été par un client américain. Impossible de trouver une autre location dans la région (il faut dire que le Cap n’est pas très fourni en habitations, c’est d’ailleurs ce qui fait sa beauté sauvage). Fin juin, alors que j’étais sur le point de réserver une autre destination de vacances, ma carte bleue a refusé trois fois d’affilée la validation du paiement en ligne. J’ai contacté ma banque qui ne comprenait pas quel était le problème. Tout semblait fonctionner. Au lieu de m’acharner, j’ai écouté la synchronicité des trois signaux envoyés simultanément (je précise que j’ai tenté l’achat sur trois sites différents en une heure et qu’un bug est apparu à chaque fois) et je me suis dit « Peut-être que je ne dois par partir là-bas. L’Univers a forcément dû prévoir autre chose pour moi ». Cinq minutes plus tard, Emmanuelle m’appelait pour m’annoncer que son client américain venait d’annuler son séjour à cause du Covid et qu’elle pouvait par conséquent nous recevoir en chambres d’hôtes pile aux dates qui m’intéressaient. Mon intention manifestée plusieurs semaines plus tôt avait tout simplement été entendue 🙂

photographies Lili Barbery-Coulon. Le petit-déjeuner au Couvent

un lieu incarné et chéri par tous ceux qui l’ont habité

Anne Bianchi qui a organisé une retraite de kundalini yoga ici en 2019 et qui revient pour l’équinoxe d’automne de 2020 avait publié de nombreuses photos alléchantes sur les réseaux sociaux. Cela ne m’a pas privé du choc esthétique en débarquant fin juillet. Le paysage suffit déjà à nous époustoufler par sa beauté. Mais la visite de la maison et de l’aile qu’Emmanuelle nous a réservée a fini de me subjuguer. Ce lieu me fait penser au Purgatoire à Naples, à la Trasierra en Espagne ou encore à la maison de Patrick Leigh Fermor dans le Péloponnèse. Des lieux incarnés par ceux qui les font vibrer aujourd’hui mais aussi par leur histoire. Or, ici, il y a du monde dans les murs. Une présence céleste et bienveillante. Bien sûr, il y a tous les objets pieux précieusement conservés qui décorent les espaces. Mais au-delà des prières et de la dévotion de ceux qui ont dédié leur existence au divin, on ressent l’amour infini des différentes générations qui ont fait suite aux moines après la révolution française. Comme elles l’ont aimée cette maison ! Et comme elle est aimée encore aujourd’hui ! Cet amour du lieu, je le comprends tellement. Il me touche. Je le ressens partout où je pose mes yeux. Sur le rebord de la salle de bains monacale où sont posés des flacons anciens. Dans le couloir ponctué par les prie-Dieu et les portraits des prêtres. Sur le buffet du grand salon, dans un bouquet d’immortelles séchées accrochées sous un chapeau de paille, dans les petits vases remplies de fleurs sauvages à l’entrée ou dans les grands livres reliés posés ici et là.

photographie Lili Barbery-Coulon

foisonnement de saveurs méditerranéennes

Le Couvent n’a pourtant pas l’allure d’un musée figé. Emmanuelle Picon qui y est installée avec son mari, ses deux enfants, son chien joueur et ses chats met tout son cœur à faire de cette maison un espace d’échange vivant. Depuis son arrivée, elle n’a cessé de le rénover avec révérence tout en y apportant son raffinement. Le mobilier d’époque et les objets centenaires flirtent à présent avec des tables recyclées, des photophores solaires et d’élégantes nappes en lin. Deux torchons repassés sur la table du jardin, quelques plats colorés et voilà que le couvent prend des airs de fête à l’heure du déjeuner. Dans les salles de bain où elle a supprimé les sacs plastiques dans les poubelles pour les remplacer par du papier kraft, on trouve des cotons tige en bois et les savons liquides aux huiles essentielles corses de Casanera, une marque locale. Adepte de kundalini yoga depuis bien plus longtemps que moi et concernée par toutes les questions environnementales, Emmanuelle a déjà mille idées pour réduire ses déchets. Elle avance d’ailleurs à petits pas bien décidés. Cette année, par exemple, elle propose au petit déjeuner des yaourts maison, composte tout ce qui peut l’être, privilégie les producteurs locaux au bio importé de l’étranger et compte bien installer un système élaboré de filtrage de l’eau afin de ne plus voir une bouteille en plastique trainer au Couvent. Elle a conscience de tout ce qu’elle pourrait encore améliorer pour avoir un impact plus positif et pétille d’ambition environnementale. Mais c’est dans sa cuisine qu’elle déploie le plus de créativité. Impossible de quitter le Couvent sans avoir réservé un dîner à la table d’hôtes d’Emmanuelle. Inspirée par Yotam Ottolenghi, par les ingrédients du terroir et par toutes les saveurs méditerranéennes, Emmanuelle a de l’or dans les mains. Elle est aussi généreuse que sa maison, initie des apéros à rallonge dans le jardin en proposant à ses clients de bons vins du Cap Corse et des tartes salées maison dont elle a le secret. Puis vient l’heure du dîner dans la cour intérieure. Un festival de salades aux légumes grillées, de pissaladières, de houmous, de pâtes à l’ail, de caviars d’aubergine et de flans aux légumes relevés. Il y en a aussi pour les amateurs de viande et de charcuterie (je n’en mange pas), sans parler de la sélection irréprochable de fromages corses au lait cru. Autant vous prévenir : ce n’est pas au Couvent que vous perdrez le moindre gramme. On a tous mangé beaucoup plus qu’à satiété tant les tentations étaient nombreuses et c’est sans aucun regret en ce qui me concerne ; j’arrive au stade où mon corps réclame à présent plus de légèreté et saura se réguler dans les jours qui viennent.

photographies Lili Barbery-Coulon et bastien coulon

des rencontres inspirantes

Quant aux clients qui partagent la piscine, le jardin et la table à l’heure du petit déjeuner ou le soir, ils ajoutent encore à l’expérience inoubliable d’un séjour ici. Sans doute parce qu’ils n’ont pas été aimantés par hasard jusqu’au Couvent. En quelques jours, nous avons croisé et partagé la table de personnes tellement inspirantes, toutes reliées par leur fascination pour la beauté du lieu. Certaines espéraient depuis plusieurs années séjourner dans cette demeure souvent réservée tout l’été. On a béni ce client américain qui a annulé son voyage à la dernière minute. J’écris à l’ombre du grand platane dans le jardin et je regarde l’immensité de la mer face à moi. J’ai pratiqué chaque matin en regardant le soleil se lever à l’Est de la piscine. Je laisse toutes mes cellules s’imprégner encore de l’énergie merveilleuse de ce lieu et je fais le vœu de revenir à nouveau dans cette maison qui fait bien plus que d’offrir de fabuleuses vacances.

photographies lili barbery-coulon et Jeanne Coulon

Détails pratiques et tarifs 2020

Pour vous rendre au Couvent, vous pouvez prendre le bateau ou l’avion jusqu’à Bastia puis louer une voiture. Il doit y avoir des taxis pour faire le trajet Bastia-Couvent de Pozzo mais vous seriez alors privés de nombreuses escapades incontournables une fois sur place. La maison peut être privatisée à la semaine mais Emmanuelle limite drastiquement le nombre de personnes (enfants compris) : dix, pas plus. C’est la condition sine qua none pour conserver ce lieu en l’état et éviter d’abîmer les nombreux objets d’époque. 7000 à 9500€ (tarifs 2020 susceptibles d’augmenter en 2021) la semaine selon la période de l’année auxquels il faudra ajouter les repas d’Emmanuelle si vous souhaitez faire appel à ses talents. Lorsque la maison n’est pas privatisée, Emmanuelle ouvre les chambres d’hôtes à la réservation et c’est l’option à laquelle nous avons eu accès. Il faut compter 140 à 160 euros (tarifs 2020) la nuit pour une chambre double selon la saison (dans des lits de 140 pour amoureux transis) avec petit-déjeuner délicieux compris + le ménage quotidien dans les chambres. Il existe de nombreuses options pour les familles (à discuter en amont avec Emmanuelle). Avis aux propriétaires d’animaux domestiques : les chiens sont acceptés au Couvent ! Chaque matin, Emmanuelle demande à ses visiteurs de passage s’ils souhaitent dîner à la table d’hôtes. Il faut compter 28 à 32€ le menu par personne (tarif 2020) pour l’expérience à table (apéro, entrée, plats, fromage et dessert). Elle ouvre une bouteille par famille qui lui est réservée jusqu’à la fin de son séjour (35€ la bouteille), libre à chacun d’en commander à nouveau si besoin.

photographie Lili Barbery-Coulon

Que faire dans la région ?

Les premiers jours, nous étions si enthousiasmés par la maison que nous avons passé un long moment à buller dans nos chambres et au bord de la piscine. Niveau restau, Emmanuelle a de nombreuses recommandations dans le coin mais vous verrez qu’on revient vite à sa table tellement elle met la barre haut avec sa cuisine. Parmi les escapades que nous avons préférées cette semaine, je vous conseille d’aller à Nonza prendre un verre à La Sassa au moment du coucher du soleil (on y a déjeuné, c’était très bon dans un genre fusion asiatique/corse) puis Emmanuelle recommande un restaurant délicieux en bas du village dont j’ai oublié le nom. Vous n’aurez pas de vue aussi spectaculaire qu’à la Sassa mais une cuisine préparée avec des ingrédients bio et locaux. Le village de Nonza est une splendeur et la balade sur la plage de galets noirs vaut le détour tout comme les glaces artisanales de Milk Caffé sur la petite place face à l’église. Traversez le Cap jusqu’à l’Ouest pour déjeuner dans le port de Centuri connu pour ses pâtes à la langouste. Il y a de nombreux sentiers côtiers pour se promener au bord de la mer déchainée par le vent. A Saint Florent, la foule et les parkings surchargés nous ont fait renoncer à prendre le bateau vers les jolies plages du Lodu et de Saleccia. Nous avons opté pour une autre paillotte baptisée Bo’s Plage à dix minutes de route de Saint Florent que notre amie Juliet Lancelot nous a recommandé. Personnel adorable et cuisine savoureuse (il faut réserver avant d’y aller comme partout en Corse l’été). Impossible de repartir sans aller sur la célèbre plage des vaches à Barchaggio. Vous y trouverez une autre paillotte (A Cala) pour manger une salade de calamars ou une tomate buratta en regardant les vaches bronzer. Si vous avez envie d’eau douce, une heure de route escarpée vous permettra de rejoindre l’Arso ou bien Corte. Deux options magnifiques pour piqueniquer à l’ombre des pinèdes au bord des rivières. A Erbalunga, on a testé à peu près tous les restaurants et on a beaucoup aimé l’Esquinade, le petit In d’é Noi aux allures de brocante à l’entrée du village (le patron tellement gentil et amoureux de ses tomates). Si vous avez envie de pizzas ou de pâtes aux fruits de mer, réservez à La Terrasse en insistant pour avoir une table avec vue sur la mer. On a été très déçu par U Fragnu (pas frais, pas fin, pas bon), et les invités résidant au Couvent n’ont pas adoré non plus le restaurant Le Pirate qui semblait pourtant être l’option la plus raffinée d’Erbalunga. Encore une fois, dès qu’on compare avec la cuisine d’Emmanuelle, on prend le risque d’une déception. Enfin, à Patrimonio je vous recommande le restaurant Libertalia qui a une très bonne revue sur le site du Fooding. On n’a pas eu le courage de faire une heure et demi de route en pleine nuit pour aller le tester (ils ne servent que le soir) mais deux visiteurs du Couvent l’ont fait et ils ont adoré le cadre comme la cuisine. Cette liste d’options n’inclue pas les randonnées nombreuses auxquelles nous avons renoncées (il faisait beaucoup trop chaud pour marcher et si vous mettez une ado dans l’équation en plus, vous risquez l’accident nucléaire), la plage de Tamarone, les locations de paddle ou les baptêmes de plongée sous marine (l’un des highlights de nos vacances en Corse, même si carrément l’arnaque niveau tarifs, je ne préfère pas les citer) la rivière de Canari et tant d’autres pépites à découvrir sur le Cap Corse. Le paradis je vous dis ! Dernières infos: n’oubliez pas de prendre des espèces avec vous, la carte bleue n’est acceptée quasiment nulle part + réservez votre voiture de location à l’avance, cet été, il n’y en a pas pour tout le monde à cause de la crise du Covid.

photographies Lili Barbery-Coulon. La cuisine d’Emmanuelle au Couvent