C’EST QUOI LA SANTÉ INTÉGRATIVE ?

C’EST QUOI LA SANTÉ INTÉGRATIVE ?

C’EST QUOI LA SANTÉ INTÉGRATIVE ?

Jeudi 28 septembre 2023, Cloé Brami, médecin cancérologue et docteure en psychologie et science de la « pensée méditante », a célébré le lancement de Mû, son école de médecine et santé intégrative à destination des professionnels de la santé. Mais c’est quoi la santé intégrative? 

Où commence la santé ? Dans l’assiette ? Dans un champ ? Chez son médecin ? Lorsque le sommeil est tendre et que le mental est léger ? Quand j’étais petite et que je souffrais constamment d’asthme et de bien d’autres infections chroniques, la santé signifiait « ne pas être malade ». Dans mon esprit, c’était également un système de soutien fiable et quasiment gratuit constitué d’une toile d’experts en blouse blanche – généralistes, gynécologues, dentistes, orthophonistes, radiologues, kinésithérapeutes… La fierté de mon pays. L’exception culturelle que le reste du monde nous enviait.

La souffrance de ceux qui soignent ne peut plus être ignorée

Les différents documentaires récemment sortis sur le quotidien des soignants ainsi que la libération de leur parole sur les réseaux sociaux, m’ont fait prendre conscience d’une souffrance que j’avais commencé à entrevoir en lisant « La maladie de Sachs » de Martin Winckler à la fin des années 1990. Broyés par un système défaillant qui se comporte comme une moissonneuse aux dents rouillées, avec eux comme avec nous, un grand nombre parmi ceux qui suivent mes cours, me racontent leur épuisement, leur chagrin, leur désespoir même, de ne plus pouvoir honorer leur vocation. Pas assez de temps pour leurs patients. Pas assez d’argent pour vivre ni soigner dignement. Je ne compte plus les généralistes, psychiatres, sage-femmes ou infirmières qui font le même récit par email : cette profession qu’ils ont choisie et pour laquelle ils ont senti un appel viscéral les rend désormais malades. Au point qu’ils envisagent de la quitter.

Illustration Carla Talopp pour Mû médecine

Vers qui se tourner ?

Chaque mois, je reçois un rappel de la Sécurité sociale me demandant de trouver un médecin traitant pour être mieux remboursée. Depuis que ma généraliste extraordinaire a pris sa retraite, je n’ai trouvé personne pour la remplacer. Elle était pourtant une boussole précieuse et mesurée lorsque je lui parlais des derniers compléments alimentaires ou d’une cure nutritionnelle en vogue. C’est elle qui m’a déconseillée de me faire opérer du dos il y a douze ans. C’est elle aussi qui m’a rassurée au sujet du stérilet et de la contraception hormonale lorsque je me faisais laver le cerveau par certains profs de yoga. Quant à mon gynécologue qui continue à travailler deux jours par semaine alors qu’il est à la retraite, je sais bien que je vais avoir un mal de chien à trouver un.e remplaçant.e lorsqu’il décidera de s’arrêter. Les errances médicales des patients et les difficultés légitimes rencontrées par le corps soignant conduisent de plus en plus d’individus à s’intéresser aux médecines alternatives. C’est en cherchant à éviter une opération chirurgicale des vertèbres lombaires que j’ai découvert l’acuponcture, l’ostéopathie, la réflexologie et le yoga. C’est avec l’arrivée d’un cancer que la plupart de mes amies touchées par cette maladie se sont intéressées à la nutrition, la naturopathie, la méditation ou la médecine chinoise traditionnelle, en complément de leurs soins médicaux. Cette intégration de nouvelles pratiques peut se révéler salutaire. Mais lorsqu’elle se substitue totalement à la médecine, elle devient dangereuse. À un niveau moins grave que le cancer, je vois de plus en plus de femmes confier leurs problèmes de santé – problèmes digestifs, acné, troubles de la ménopause, endométriose… – à des naturopathes. Soit parce qu’elles n’ont pas trouvé de solutions dans le secteur de la médecine dite « classique » qui bien souvent les a méprisées. Soit parce qu’elles n’ont pas réussi à obtenir un rendez-vous chez un dermatologue ou un gastro sur le site de Doctolib. Du coup (et c’est trop fréquent pour que je manque de le signaler), elles s’en remettent totalement à des naturopathes qui leur diagnostiquent candidose, intolérance au gluten, au lactose ou au sucre (parfois aux trois réunis), dérèglement hormonal sans la moindre analyse sanguine avec en prime des prescriptions de compléments alimentaires ruineux et des régimes très difficiles à suivre socialement, conduisant à l’apparition de troubles du comportement. Évidemment, il existe des naturopathes formidables et sérieux. Mais ces dérives existent et elles se sont malheureusement banalisées. Je pourrais écrire un bouquin réunissant les propos douteux entendus chez des énergéticiens, masseurs et autres « guérisseurs » autoproclamés… Difficile de garder son discernement lorsqu’on a besoin d’aide et que l’on cherche des réponses pour se sentir mieux.

Réconcilier les différents acteurs du soin

Lorsque mes glandes surrénales ont brûlé en 2022 et que je me suis retrouvée alitée, auréolée d’un diagnostic de burn-out, totalement dépossédée de mon énergie vitale, j’ai consulté à la fois un généraliste, un endocrinologue et une naturopathe. J’ai enchainé les bilans sanguins et hormonaux, réintroduit les protéines animales dans mon assiette, bu des litres de plantes infusées, frotté mes pieds et mes reins d’huiles essentielles et avalé une cargaison de compléments alimentaires adaptés à chaque résultat d’analyse. J’ai aussi repris un travail thérapeutique avec ma psychologue, j’ai arrêté le sport (cela m’a été interdit pendant un temps), je me suis fait masser et j’ai accepté de ne pas travailler pendant plus de quatre mois. Prendre soin de ma santé est alors devenu un travail à plein temps. Je suis consciente que ce temps et l’argent investis dans ma « réparation » sont des privilèges auxquels trop peu de gens ont accès. Après m’en être sortie, j’ai reçu beaucoup de mails de personnes souffrant de burn-out. 95% d’entre elles ont été diagnostiquées par leur généraliste sans prescription d’analyse de sang, sans suivi nutritionnel ou psychologique, sans autre recommandation médicale qu’une prescription d’antidépresseurs et un arrêt de travail. Or, si l’épuisement peut engendrer un état dépressif, c’est tout l’organisme qui doit passer au tamis de nos besoins. Sans oublier d’investiguer les causes afin d’en tirer les enseignements. Contrairement à ce que l’on imagine quand on ne l’a pas vécu, le burn-out n’est pas un « gros coup de fatigue passager » lié à un excès de travail ou une activité trop intense (même si l’hyperactivité n’arrange rien au problème). C’est un état d’urgence qui exige de réconcilier toutes les disciplines du soin.

La santé, un parcours ininterrompu

En observant les femmes de mon entourage qui ont eu des cancers, je me suis aperçue que la fin du protocole de soins n’est pas synonyme de résolution. C’est au moment où « la lutte » cesse, où tout le monde célèbre le soulagement tant attendu, qu’un autre travail commence pour les soignés. Plus rien n’est comme avant après une épreuve pareille. Celles qui l’ont traversée me disent combien cette période de l’après est difficile sur le plan émotionnel et psychologique. Surtout lorsque l’on reprend le travail. La santé n’est donc pas l’absence de la maladie dans le corps physique. Elle est complexe et nécessite une attention ininterrompue à des niveaux subtils.

Cloé Brami

Intégrer plutôt que de confronter

Cancérologue, docteure en psychologie et science de la pensée méditante, Cloé Brami est la première à m’avoir initiée au concept de médecine intégrative. Je l’ai découverte sur Instagram. Elle parlait de méditation pleine conscience et d’oncologie. J’étais bluffée par le parcours de cette femme, qui, très jeune, a réussi à s’imposer à la faculté de médecine de Paris pour enseigner la méditation aux futurs soignants. À force d’échanger sur les réseaux, nous nous sommes rencontrées. Cloé a suivi pas mal de cours avec moi avant la crise sanitaire, ainsi qu’une retraite que j’ai organisée dans les Cévennes en 2020. Je l’ai interviewée pour mon podcast Pleine Présence et je l’ai également invitée aux journées que j’ai organisées l’an dernier à l’hôtel de Crillon afin qu’elle nous raconte sa trajectoire. Très vite, elle a compris l’intérêt de réunir les disciplines plutôt que de les opposer. D’abord pour le soignant qui apprend ainsi à connaitre des outils qu’on ne lui a pas transmis lors de ses études à la faculté de médecine. Cet enrichissement de connaissances est multiple car il est à la fois au service du patient et du soignant qui pourra utiliser ces outils pour son propre mieux-être. Quant aux médecines parallèles, elles ont aussi tout intérêt à s’intéresser et à collaborer avec la médecine d’urgence et la recherche scientifique. Sur un plan humain, cela permet de remettre de l’horizontalité dans la relation entre celui qui soigne et celui qui reçoit le soin. Plutôt qu’une toute puissance versus une pseudo-ignorance du patient, chacun est renvoyé à sa place d’être faillible et vulnérable. La santé s’envisage alors comme une construction collective.

Photographie Géraldine Couvreur. Cloé Brami et moi, le jour de la conférence sur la médecine intégrative À l’hôtel de crillon en novembre 2022

Réparer les soignants autant que les soignés

Ainsi Cloé Brami a décidé de fonder la première école de médecine intégrative à l’attention des soignants : . Avec l’équipe qu’elle a constituée, Cloé va proposer trois types de formations – longue, immersive ou courte – dans des formats digitaux et présentiels. Le projet : ouvrir un espace de recherche pour les soignants afin qu’ils.elles puissent entamer la mue que notre époque exige. Jeudi dernier, le 28 septembre 2023, elle célébrait le lancement de son école entourée des 25 femmes qui ont participé, à leur manière, à la création de Mû. Elle nous a dit humblement et en souriant : « Je ne veux pas vous décevoir mais je le dis d’emblée : je n’ai aucun plan ». Traduction : je ne serai pas une femme providentielle. C’est ensemble, soignants et soignés, que nous allons devoir initier cette transformation de notre rapport à la santé, à la mort et à la fragilité de l’être. En espérant que nos prises de conscience individuelles nous amènent à placer la santé au cœur de nos priorités politiques afin que nous puissions ensemble réenchanter notre système de soin.

Plus une tune pour se soigner

Au-delà de la transformation nécessaire de notre approche de la santé, la question du financement est capitale. Sinon, la santé intégrative sera un énième truc réservé aux ultra riches.  Depuis le 1er octobre 2023, par exemple, les soins dentaires sont moins remboursés par la sécurité sociale qu’avant. De 70%, ils vont passer à 65 voire 55% d’un tarif conventionné qui ne correspond pas à la réalité des prix pratiqués en cabinet. Cela pourrait sembler anecdotique mais je suis certaine qu’il y a des personnes parmi vous qui, comme moi, ne vont pas soigner leurs dents pour des raisons financières. Les projets d’implants, les caries vieillissantes, le tartre recouvrant l’émail, les racines dévitalisées en manque de couronne attendent… que la douleur jaillisse, en espérant que ce soit le plus tard possible. Et cela ne concerne pas que les plus fragiles. Même dans les milieux privilégiés, beaucoup se privent de soins élémentaires pour des raisons financières. Il n’est pas rare, par exemple, que j’entende des élèves dire qu’ils.elles n’ont pas les moyens d’entamer une thérapie régulière avec un.e psychologue alors que le désir d’un travail sur soi comme le besoin sont manifestes. Il y a quelques années, j’avais écrit un texte qui disait que prendre soin de sa santé était un acte militant. Je n’étais pas mal intentionnée en le publiant : je voulais démontrer que la santé, l’écologie, l’humanité et l’intérêt général sont interreliés. Je m’aperçois cependant aujourd’hui de l’arrogance de mon propos. Prendre soin de sa santé, qui plus est de manière intégrative, est devenu un luxe. Pour réformer nos systèmes défaillants en profondeur, il va nous falloir du pognon et une sacrée volonté politique. Je cherche à m’éduquer sur ces sujets et si vous avez des rapports ou des études à me recommander, je serais heureuse de les lire. Par exemple, j’aimerais bien savoir combien cette médecine intégrative (et préventive) coûterait si elle était ouverte au plus grand nombre? Est-ce qu’on a déjà réfléchi à son financement? Peut-on envisager qu’elle soit rentable sur le long terme (dans l’éventualité où elle permettrait de réduire le nombre de rechutes ou de maladies graves)? La comédienne Hélène Medigue m’avait par exemple un jour expliqué que les maisons de soin intégratif pour adultes atteints de troubles autistiques telles que les Maisons de Vincent qu’elle a créées sont plus intéressantes sur le plan financier que les sommes actuellement dépensées pour « accompagner » ces mêmes adultes en hôpital psychiatrique dans des conditions qu’elle juge indignes (NB: « 700€ le prix d’une journée en hôpital psychiatrique financé par l’État, moins de 200€ aux Maisons de Vincent » précise Hélène). Avis aux experts en économie, je suis toute ouïe!

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