Chez Julie Safirstein à Paris
Photographie Lili Barbery-Coulon

Chez Julie Safirstein à Paris

Chez Julie Safirstein à Paris

Voici un nouvel épisode de la rubrique AT WORK dans laquelle je m’introduis dans l’espace de travail de personnalités qui m’inspirent. L’occasion de dénicher des idées pour décorer son bureau, organiser sa vie professionnelle ou trouver l’impulsion de la réorienter. Cela me permet également de vous présenter des gens et des métiers qui me touchent. Aujourd’hui, je vous emmène dans l’atelier de l’artiste Julie Safirstein. J’ai rencontré Julie lorsque j’étais à la fac. Sa meilleure amie qui était dans ma classe à La Sorbonne Nouvelle me l’a présentée et nous avons formé pendant quelques années un trio inséparable. Elle vivait dans le 9e à Paris, dans un petit appartement où elle peignait du matin au soir. J’habitais tout près de chez elle. J’allais parfois nourrir son chat quand elle partait en vacances en Grèce, sa deuxième patrie. L’animal adopté et rapporté d’une petite île hellénique attendait toujours que je mette une jupe et des collants en nylon pour m’attaquer les jambes avec férocité. Malgré cette agressivité singulière, j’adorais aller chez Julie. Les murs étaient couverts de collages et de toiles en devenir. Aux odeurs culinaires de son voisin du dessous se mêlaient des parfums de peinture acrylique, de colle, de pigments crayeux et de solvants. A l’époque, elle était déjà diplômée de l’école d’arts appliqués LISAA et s’apprêtait à quitter Paris pour faire les Beaux Arts de Marseille. Pour ses anniversaires ou pour noël, c’était facile de lui faire plaisir : il suffisait de lui offrir des carnets vierges avec du beau papier. Ceux qu’elle préférait étaient dépliants. Elle les métamorphosait en histoires colorées. J’étais fascinée par l’obstination de Julie. Elle cherchait une matière. Elle cherchait une couleur. Elle cherchait une émotion. Elle n’était jamais satisfaite alors elle recommençait et répétait encore ses explorations.

Photographies Lili Barbery-Coulon

Après son installation à Marseille, on s’est perdu de vue. Et puis, on s’est retrouvé avec bonheur, au hasard d’un restaurant parisien. Aujourd’hui, Julie travaille chaque jour dans son atelier du 13e arrondissement. C’est entre ces murs dépouillés qu’elle imagine les livres pour enfants – dépliants – qui sont édités par les Editions Maeght et vendus à la Galerie éponyme rue du Bac. Des objets d’une rare beauté qui illustrent des poésies de Nerval ou de Prévert, sur lesquels les enfants sont autorisés à dessiner. Elle a aussi créé des formats plus grands entièrement peints à la main à partir d’un quatrain de Djalâl-od-Dîn Rûmî (Rubâi’Yât) ou de William Blake (Ah ! Sunflower). Ces œuvres uniques sont disponibles à la Fondation Maeght à Saint Paul de Vence et à la Galerie Maeght à Paris. Julie fait également quelques illustrations pour la presse (les dernières ont été publiées dans Air France Magazine). Mais dans le secret de son espace de travail, elle continue à chercher d’autres formes d’expression. Il est toujours question de trouver la couleur juste et de laisser une trace sur le papier. Une déchirure. Une cicatrice. Un signe du temps comme une écorce ou un tronc d’arbre. Parfois il s’agit d’une coupure nette. Une frange apparait. Et puis il y a ce dialogue constant entre la lumière qui se reflète sur le blanc épuré et les aplats de couleurs… Je suis dingue de ses œuvres. D’ailleurs, je suis repartie de son atelier avec l’une d’entre elles, le cœur battant.

Photographies Lili Barbery-Coulon

C’est très en ordre dis moi. Tu as rangé avant que j’arrive ?
Julie Safirstein : C’est pourtant encore le bordel, je trouve. J’ai un peu rangé, c’est vrai. J’allais d’ailleurs ramasser les morceaux de papier au sol.

Non, surtout pas, ce sera plus vivant pour les photos.
Julie Safirstein : D’accord (sourire). J’ai besoin de cet ordre pour travailler. L’atelier n’est pas immense et puis comme je suis très concentrée sur la couleur, j’ai besoin d’une certaine clarté, sur les tables comme sur les étagères.

Tu as toujours été obsédée par la couleur, je me souviens que tu peignais la tranche de tes toiles il y a plus de vingt ans, tu ne comprenais pas que les artistes puissent laisser la tranche nue, même si on ne la voit pas.
Julie Safirstein : (Rires) Ah tu te souviens de ça ? C’est possible, je ne sais plus. Oui, la couleur me passionne. Trouver la teinte juste n’est jamais un hasard. Lorsque j’ai travaillé avec la lithographe de l’imprimerie Arte pour l’édition de mes livres, on a passé des heures ensemble à sélectionner les teintes. On se questionnait sur deux bleus différents qui auraient paru semblables à n’importe quel néophyte mais qui se distinguaient nettement à nos yeux.

Photographies Lili Barbery-Coulon. En haut le livre Ah! Sunflower entièrement peint à la main

La couleur dessine une identité forte dans ton œuvre, comment s’est-elle imposée à toi ?
Julie Safirstein : J’ai l’impression d’avoir trouvé une identité graphique très tardivement. J’ai longtemps cherché. Quand j’étais jeune, je voulais être comédienne. Puis, j’ai eu envie de faire des affiches de théâtre. C’est ça qui m’a conduit vers une école d’arts appliqués en section graphisme. Il y a quelques années, j’ai commencé à approcher des maisons d’édition jeunesse. Et puis j’ai rencontré Jules Maeght qui m’a permis de réaliser dans les meilleures conditions possibles les livres dont je rêvais.

Aujourd’hui, je découvre plein de nouvelles formes d’expression dans ton atelier. Tu peux m’en parler ?
Julie Safirstein : J’ai toujours travaillé avec le papier mais je commence seulement à montrer ces créations que tu vois accrochées derrière moi. J’aime l’idée que ces œuvres soient vivantes. Selon l’endroit où l’on se place dans la pièce, elles réfléchissent la couleur différemment.

Photographies Lili Barbery-Coulon. En haut l’une des oeuvres de la série Lux. En bas, une partie de la série Heartwood

Quand on est pile en face, on pourrait croire qu’il s’agit d’une ossature en métal…
Julie Safirstein : Ce sont des bandes de papier que je peins, que je plie et colle ensemble. Elles sont conçues pour être suspendues sur un mur blanc car la réflexion de la lumière sur le mur va avoir une action sur la couleur. Selon l’heure de la journée, les couleurs vont prendre un aspect aquarellé, elles vont devenir vibrantes ou au contraire beaucoup plus crues.

Tu te souviens comment elles sont apparues ?
Julie Safirstein : J’ai beaucoup cherché pour cette série qui s’appelle Lux. J’ai essayé plusieurs profondeurs dans l’installation, des bandes de papier plus épaisses ou plus fines. Le papier n’est pas peint intégralement. Chaque zone blanche est pensée pour avoir un effet.

Il y a des correspondances entre cette série Lux et d’autres travaux que je vois comme Heartwood ou Calice, je me trompe ?
Julie Safirstein : Non, c’est vrai. En fait, tout a commencé avec des petits formats de cercles concentriques colorés. Puis j’ai apprivoisé la réverbération subtile de la couleur à travers la série Heartwood. Je suis incapable de te dire comment ça m’est venu. Mais en déchirant ce papier dont les bords sont légèrement colorés, une vibration est née. J’aime beaucoup passer d’un projet à l’autre donc toutes ces explorations ont avancé à des rythmes différents dans la même période. L’une nourrissant l’autre malgré moi.

Photographies Lili Barbery-Coulon

Tu travailles seule dans cet atelier, ce n’est pas trop difficile ?
Julie Safirstein : Non, j’aime beaucoup cette solitude. Et puis, je ne suis pas tous les jours à mon atelier. Lorsque j’avance sur un projet d’édition, je pars à la rencontre d’artisans, d’imprimeurs ou de sérigraphes. J’aime beaucoup ces échanges.

Et quand tu n’as rien à « rendre » à personne, comment trouves-tu la motivation d’aller travailler dans ton atelier ?
Julie Safirstein : Je n’ai pas besoin de motivation, c’est un besoin. Où que j’aille, j’emporte toujours de quoi travailler. Ca énerve parfois un peu mon entourage car je ne coupe jamais, même en vacances. Bien sûr, il m’arrive de traverser des phases de glande. Mais dès que je me lève, j’ai besoin de me mettre au travail.

Photographies Lili Barbery-Coulon

Si vous voulez découvrir d’autres œuvres de Julie, en connaître le prix ou la contacter, je vous invite à lui envoyer un email via son site internet. Vous pouvez aussi la suivre sur Instagram. Et l’album pour enfants Le Jour, La Nuit, Tout Autour (éditions Helium) est disponible sur Amazon

Photographie Lili Barbery-Coulon. Julie au travail