Spoof Home and Emmaus
13/01/2017
« Oh tiens c’est drôle, vous les vendez les céramiques ? » s’exclame une dame devant des vases alignés dans la Galerie Joyce du jardin du Palais Royal. Un peu plus loin, devant le lit à baldaquin noir, ses deux autres copines s’esclaffent : « Regarde le petit chien en plâtre ! C’est bizarre cette galerie, il y a des trucs très beaux et des objets affreux ». En effet, comment expliquer la présence de ce drôle d’appartement installé dans une galerie plus habituée aux vêtements de créateurs qu’aux piles d’assiettes bon marché ? Quel sens donner à la juxtaposition d’objets insolites et de tapisseries ornées de plumes d’oiseaux ? Il suffisait d’observer le regard amusé de Nathalie Croquet face aux questions de ses premières clientes pour tout comprendre. Spoof est de retour pour notre plus grand plaisir !
Souvenez-vous, je vous ai déjà parlé de Spoof. Ce mot qui signifie parodie en anglais est le nom qu’a choisi la styliste Nathalie Croquet pour qualifier une série de photos de Daniel Schweizer parues en février 2015. A l’époque, elle s’était amusée à rejouer des campagnes publicitaires adoptant trait pour trait les postures des mannequins, leurs vêtements, leur maquillage et leur coiffure. Encouragés par le succès de cette première série, le duo a remis ça en mars 2016 avec Spoof 2, une série concoctée en association avec Emmaüs où Nathalie est allée chiner des dizaines et des dizaines de sapes pour copier, à l’identique, les looks des campagnes publicitaires. Cette fois, Nathalie Croquet change d’univers et s’intéresse à la décoration. Vaste sujet.
« En France, on me connaît pour mon travail de stylisme dans le domaine de la mode, mais en Angleterre, il m’est déjà arrivé de collaborer avec des décorateurs » m’a-t-elle raconté pour me parler de la genèse de ce nouvel opus givré. Aux côtés du décorateur Robin Brown, Nathalie a ainsi participé à la création de plusieurs projets étonnants. En 2014, à l’occasion de la foire Frieze Masters, ils ont, avec d’autres stylistes, composé une scénographie époustouflante en réalisant l’appartement fictif d’un collectionneur parisien en 1968 en guise de stand pour la galerie londonienne Helly Nahmad. En 2015, toujours pour la même foire de l’art, Nathalie a de nouveau collaboré avec le décorateur Robin Brown : ils ont alors conçu un asile, rempli d’objets, comme s’il s’agissait d’un des lieux où Dubuffet allait puiser son inspiration après guerre.
Réfléchissant à la manière dont elle pourrait renouveler son délire parodique en 2017, Nathalie Croquet s’est ainsi rapprochée d’Hervé Sauvage, expert en scénographie et mise en scène de la mode qui a déjà travaillé avec Louis Vuitton, Dior ou encore Christian Lacroix. Dans le jargon de la presse, on dit qu’il fait du « set design », c’est à dire qu’il crée des décors pour les campagnes publicitaires, les vitrines ou les séries de photos dans les magazines. Cette discipline est capitale lorsqu’on cherche à composer une image forte ou une vitrine qui aimante les passants. J’en connais qui travaillent à la fois pour le cinéma, la publicité et la presse écrite. Les plus doués, comme Hervé Sauvage, ont une connaissance aigüe de l’histoire du mobilier, mais aussi du design, de la mode et de l’artisanat car ils sont amenés à collaborer régulièrement avec des peintres, des ébénistes, des brodeurs ou des rempailleurs pour fabriquer leur scénographie.
Toujours avec le soutien d’Emmaüs, Nathalie Croquet est parti avec Hervé Sauvage à la recherche de pièces anciennes dans plusieurs entrepôts de l’association. Leur but : créer un appartement avec une salle à manger, un salon et une chambre. Ils avaient même l’intention de s’y installer et d’y vivre pendant la durée de l’exposition mais en raison des mesures de sécurité actuelles, cela n’a pas été possible. Vous les verrez cependant probablement roder dans l’appartement si cet article vous donne envie de faire un tour dans les jardins du Palais Royal.
« Je ne cherche pas à me moquer ni même à dénoncer, explique Nathalie Croquet. Je trouve simplement que bien souvent, le milieu de la décoration comme celui de la mode se prend un peu trop au sérieux ». Avec Hervé Sauvage, ils ne se sont pas contentés de dénicher des objets pour les mettre en scène. Ils les ont transformés. Avec des coupes de champions de judo ou d’escrime, ils ont fabriqué des totems – en ne gardant que les socles à l’aspect marbré – qui se fondent au milieu d’un cabinet de curiosités posées sur la table. Dans ce mélange de céramiques précieuses – quelques modèles Vallauris splendides – et d’assiettes à trois sous, vous découvrirez aussi une collection d’assiettes peintes à la main par le calligraphe Nicolas Ouchenir. Tout est à vendre, des livres de cuisine aux vases en verre, en passant par le couple de fauteuils revisités par Nathalie et Hervé ou le grand buffet peint en noir mat à l’extérieur et laqué de rouge à l’intérieur. Même la télévision recouverte de dentelle blanche peut être achetée. L’ensemble est hilarant, tendre et intelligent. On rit avec eux en se demandant si c’est moche moche, moche beau, ou carrément sublime. Ca me rappelle une scène d’un documentaire de Loic Prigent dans lequel on voyait Marc Jacobs en pleine réunion demander à ses collaborateurs en montrant une paire de chaussures affreuses « is it good, or is it horrible ? Or is it so horrible that it’s good ? Or maybe it’s just horrible… » Le fait est que j’avais envie de m’acheter plein de pièces. D’autant que les prix sont très accessibles.
Dans un monde idéal, je voudrais que Nathalie Croquet – que vous pouvez également suivre sur Instagram sur son compte Le Détail Qui Tue – puisse nous présenter un nouveau Spoof chaque mois. Elle a le don de nous ouvrir les yeux sans utiliser le moindre venin. J’ai hâte qu’elle s’attaque au monde de la beauté. Si tu t’y mets Nathalie, je te promets de t’aider. Il y a de quoi rigoler, j’en suis certaine…
Spoof Home & Emmaüs à la Galerie Joyce, du 10 au 22 janvier 2017, du lundi au vendredi de 13h30 à 18h30, le samedi de 14h30 à 18h30. 168-173 galerie de Valois, Paris 1er . Dédicace d’assiettes par Nicolas Ouchenir aujourd’hui, vendredi 13 janvier 2017, de 16h à 18h