Claus Porto
20/10/2016
J’ai le cerveau aspiré par l’enquête du spécial beauté de M le magazine du Monde (sortie le 4 novembre prochain) que je suis en train de finir. Voilà pourquoi j’ai bien du mal à émerger sur Ma Récréation depuis quelques jours. Encore un peu de patience et je reprendrai ici mon rythme habituel. D’autant que j’ai plein de sujets enthousiasmants à partager avec vous. J’ai beaucoup voyagé ces dernières semaines. J’ai la tête encore bien perchée par mes expériences frapadingues à l’Ile Maurice (je vous dis tout bientôt, c’est promis). Juste avant, j’étais au Portugal et je ne rêve que d’une chose : y retourner en famille. Je suis déjà allée à Lisbonne, à Cascais et à Sintra mais je ne connaissais pas Porto. Or, c’est là qu’est née la marque de savons Claus Porto qui m’a invitée à assister à son entrée dans une nouvelle ère. Collectionnant les savons depuis plus de seize ans, je connaissais évidemment cette maison portugaise qui fabrique depuis le XIXe siècle des pains emballés dans des papiers imprimés irrésistibles. A chaque fois que je tombe sur ces savons, en France ou à l’étranger, ils m’aimantent comme des pâtisseries. Je ne sais pas comment expliquer cette passion pour les savons enveloppés de motifs colorés, mais je ne peux pas m’empêcher d’en acheter. J’en offre lorsque je vais diner chez des amis ou juste pour dire merci. On ne peut pas ne pas faire plaisir avec un joli savon : au pire, il pourra toujours atterrir dans un tiroir de lingerie afin de parfumer des soutien-gorges un peu trop gris.
Je n’ai passé que quelques heures à Porto donc je n’ai malheureusement pas beaucoup d’adresses à partager avec vous. En revanche, je peux vous parler de ce qui m’a fascinée sur place : l’usine où l’on fabrique les savons Claus Porto. Je pensais que tout était robotisé. En fait, ce n’est pas du tout le cas. Les machines qui datent des années 1950 mélangent les huiles végétales et les parfums puis les moulent dans des formes rondes ou carrées. Cependant, toutes les finitions – retirer le surplus de pâte sur les bords du moule, emballer les savons dans du papier de soie puis du papier imprimé comme s’il s’agissait d’un trésor, mettre un sceau en cire pour fermer chaque paquet, placer les savons dans des coffrets – sont réalisées à la main par une petite équipe qui a fait beaucoup d’effort pour garder son sérieux pendant que je les prenais en photo. Dans les allées, des rayons gigantesques de savons de toutes sortes. Ca m’a fait le même effet que si j’avais été enfermée dans la chocolaterie de Willy Wonka.
Au cours de cette visite et de la découverte des archives fabuleuses de cette marque qui date de 1887, je me suis aperçue que je ne connaissais rien de son histoire. On s’est promené en compagnie d’Achilles de Brito, l’arrière petit-fils du fondateur, très ému par l’intérêt des journalistes présents, qui nous a raconté comment il avait sauvé cette marque de la banqueroute dans les années 1990. Claus Porto a été créé par deux allemands en 1887. C’était la première usine de savons au Portugal. L’arrière grand-père d’Achilles – qui porte le même nom, ça va pas me faciliter la tâche – travaillait pour la marque et a réussi à se hisser rapidement dans la hiérarchie. Après la nationalisation de la marque pendant la première guerre mondiale, il réussit à la racheter à l’état et baptise l’usine de son nom, créant au passage d’autres lignes de savons plus abordables que celles de Claus Porto. Dans les années 1950, le studio de création s’enflamme et imagine des centaines d’imprimés et de logos différents pour chaque nouveau savon. Quand on feuillette les archives, on a le tournis tellement tout est beau. Il y a de quoi charter au moins cinquante nouvelles marques de beauté. Mais les années 1990, plus intéressées par le minimalisme et les aplats de noir du sol au plafond, se révèlent cruelles pour la marque Claus Porto. D’autant qu’on est en plein dans l’ère « Tahiti douche » et la savonnette semble brusquement labellisée d’une carte vermeille tout comme le tube de Steradent.
A cette époque, Achilles de Brito qui porte le nom de son héritage, fait un pari fou : il rachète les parts de son oncle et se lance à corps perdu dans le sauvetage de Claus Porto qui ne fait plus rêver personne. « Je n’avais qu’une vingtaine d’années, j’étais inconscient mais c’était mon nom, l’histoire de ma famille, je n’avais pas le choix » m’a-t-il confié. Achilles développe l’export de ses savons – c’est d’ailleurs grâce à cette stratégie que j’ai fait la découverte de la marque dans les années 2000 – et en 2007, la présentatrice américaine Oprah Winfrey décide de les mettre en avant dans l’une de ses émissions. La puissance du talk show dépasse toutes les espérances d’Achilles. L’économie de Claus Porto redevient stable et cette belle endormie se met à attirer la curiosité de nombreux investisseurs. Achilles, qui est aussi producteur de vin, cherche un partenaire financier capable de respecter l’histoire de la maison et de lui offrir un nouvel élan. Il choisit de vendre une partie de ses parts à l’investisseur Menlo Capital tout en gardant un rôle essentiel pour la marque : celui de garant des valeurs de la maison.
Je vous vois venir : vous êtes en train de vous dire que le méchant investisseur va casser à coups de burin cette jolie marque comme le font souvent les grands groupes avec les jouets alternatifs qu’ils ont les moyens d’absorber. C’est tout le contraire qui est en train de se passer. D’abord, les experts en finance ont passé plusieurs mois à évaluer les trésors oubliés de cette maison. Et ils ont eu l’intelligence de faire appel à Anne-Margreet Honing, une directrice artistique absolument géniale. Née en Hollande et élevée à Paris, cette militante de la richesse européenne a fait les Beaux Arts de Paris avant de lancer plusieurs marques de bijoux et de linge de maison (Lust Project, c’était elle…). Lorsqu’elle s’est retrouvée devant les archives de Claus Porto, Anne-Margreet est immédiatement tombée amoureuse de la maison portugaise. Néanmoins, retrouver le fil conducteur entre les dizaines de logos existants ou remettre de l’ordre dans les différentes lignes pour le bain ou la l’après-rasage n’a pas été une mince affaire. Aidée par des graphistes au Portugal et en France, elle a opéré des micro changements, imposé une nouvelle signature sous le regard bienveillant d’Aquilles.
Claus Porto ne veut pas se contenter d’être l’une de ces marques « vintage » qu’on achète pour le packaging et qui se refuse à avancer avec son temps. C’est pourquoi, la marque a décidé de faire appel au parfumeur anglais Lyn Harris (fondatrice de la marque Miller Harris qu’elle a revendue depuis et créatrice de la marque Perfumer H que j’adore) pour développer de nouveaux produits. A Porto, ils ont lancé une collection de bougies inspirées par les parfums des savons cultes de la marque. Lyn y a mis sa patte délicate, amplifié les notes boisées, découpé les pétales comme de la dentelle, ajouté du vert tendre au cœur des corolles. Obsédée par l’artisanat portugais, Anne-Margreet a souhaité que les bougies soient fabriquées en céramique locale. Lorsque la cire disparaît, l’objet qui rappelle les façades carrelées de Porto peut être transformé en photophore puisque la lumière fuse subtilement à travers le biscuit.
Le lendemain, nous sommes partis pour Lisbonne où nous avons assisté à l’ouverture de la toute première boutique de Claus Porto (une autre est prévue à Porto d’ici la fin de l’année 2016). Elle est installée dans une ancienne pharmacie en plein cœur d’un quartier commerçant où l’on trouve de nombreuses marques de luxe. Les meubles en bois appartenaient à la pharmacie et ils ont été gardés intacts. Au sous sol, qui s’ouvre sur une autre ruelle un peu plus bas, il y a un espace barbier où l’on peut se faire raser à l’ancienne, sur rendez-vous, avec les produits légendaires Musgo Real (ou « véritable mousse », un accord fougère décliné en plusieurs variations). C’est aussi un espace pour se poser, écouter de la musique ou consulter les livres d’art à disposition. J’aime particulièrement le petit meuble d’archives, entre les deux espaces de vente, qui permet de découvrir un grand nombre de documents précieux sur la marque.
C’était très émouvant de voir les Portugais si fiers, le soir de l’inauguration. Je l’ai dit sur Snapchat mais je le redis ici : on a, nous les Français, beaucoup méprisé ce pays magnifique. J’ai grandi entouré d’élèves qui se faisaient constamment insulter parce que leurs parents avaient le malheur de venir du Portugal. Les « Portos » ou les « Tos » comme les enfants inconscients le répétaient dans les cours de récré. Je dis « les » enfants mais je devais sans doute en faire partie et j’en ai vraiment honte. Le Portugal n’évoquait à la plupart des ignorants que des jambes poilues, des ouvriers du bâtiment, des concierges et des femmes de ménage. Imaginez l’humiliation pour ces immigrés et leur descendance qui sont issus d’un pays à l’histoire flamboyante. D’une terre splendide où la culture du cuir, de la céramique et du vin attirent les marques de luxe du monde entier. D’une côte atlantique où l’humilité est une valeur transmise de génération en génération. Allez au Portugal. Partez à Lisbonne ou à Porto pour un weekend. Regardez le raffinement des façades des immeubles et observez le foisonnement d’idées et d’énergies. Vous allez beaucoup entendre parler de ce pays dans les mois qui viennent car des tonnes d’entrepreneurs branchés sont en train d’y investir des projets. Et je vous promets qu’en y allant, vous ne serez pas déçus.
La boutique Claus Porto est située Rua da Misericórdia, 135, 1200 – 272 Lisboa (Lisbonne), ouverte de 10h à 20h. Vous pouvez cependant commander tous les produits où que vous soyez sur le site internet de Claus Porto, en attendant d’autres ouvertures en Europe et ailleurs… (ps: comme on me l’a demandé sur Instagram, mes bougies préférées sont Chypre et Banho)
En bonus, ma story Snapchat de ma journée à Porto. Vous verrez, j’y parle même de culottes!