Les Maisons de Bricourt #1
29/07/2016
Avant de partir me reposer en août, je ne voulais pas vous quitter sans vous parler de l’une des rencontres qui m’a le plus émue en juillet. Au tout début du mois, je suis enfin allée rendre visite à Olivier Roellinger, virtuose des épices et créateur des Maisons de Bricourt à Cancale. Je l’avais déjà aperçu il y a deux ans, lors d’un événement incroyable organisé par la Maison Hermès sur le Mont Saint Michel. Une nuit suspendue au dessus de la baie où le soleil avait brillé sans relâche malgré les prévisions bretonnes peu clémentes et où l’on avait dégusté toutes les spécialités de ce grand chef au rythme des cornemuses. Le lendemain, il s’était également occupé d’un déjeuner inoubliable lors duquel nous avons mangé de l’agneau présalé et des petits pois frais qui restent ancrés dans ma mémoire comme l’un des meilleurs repas de ma vie. Je préfère vous prévenir d’emblée : je ne vais pas y aller avec le dos de la cuillère niveau enthousiasme. Olivier Roellinger n’a pas seulement du génie pour la cuisine. C’est une leçon de vie et de résilience. Il donne envie de croire et d’espérer un monde meilleur.
Un jour, j’arriverai peut-être sur ce blog ou dans un livre à raconter mon histoire familiale et mon enfance. Sans vous la dévoiler, je peux vous dire qu’elle est suffisamment fissurée pour que je sois systématiquement fascinée par ceux qui arrivent à se reconstruire coûte que coûte. Et vous allez vite comprendre pour quelle raison le chemin d’Olivier m’a passionnée. Lorsque Jean-Claude Ellena, alors parfumeur maison d’Hermès, a lancé son Hermessence Epice Marine, on m’a invitée à Cancale pour rencontrer Olivier Roellinger qui a inspiré ce parfum. Je n’ai pas pu venir et la marque m’a envoyé la biographie d’Olivier que je n’ai pas pris le temps de lire à l’époque. En dehors de son goût pour les épices (que j’achète déjà dans sa boutique parisienne, 51 bis rue Saint Anne, Paris 2e) j’avoue que je ne connaissais rien de son histoire. Je savais juste que Jean-Claude était tombé fou d’amitié pour le chef et vice versa. Un argument suffisant pour me mettre en confiance.
Début juillet, alors que mon mari était débordé de travail et que notre fille venait tout juste d’entamer ses grandes vacances, j’ai décidé de partir avec elle à la rencontre de ce personnage solaire. A la gare de Saint Malo, je m’attendais à voir un chauffeur de taxi avec une pancarte à mon nom. C’est Olivier Roellinger qui nous attendait sur le quai, armé d’un grand sourire. J’étais sciée. Ce genre d’attention, même quand on est journaliste ou blogueuse, n’arrive jamais. Il nous a conduit jusqu’à La Ferme du Vent, le nouvel espace qu’il vient d’inaugurer avec sa femme Jane et leur fils Hugo. Un espace dont je vous parlerai demain dans un second volet.
A midi, nous nous sommes retrouvés avec Olivier au Château Richeux, une maison spectaculaire où Léon Blum aimait passer ses vacances, transformée en hôtel et en restaurant par la famille Roellinger. Je connais mal cette partie de la Bretagne. Elle mérite pourtant qu’on s’y attarde tant ses paysages sont bienfaisants. On déjeune au rythme lent de la marée en regardant le Mont Saint Michel caché dans les nuages ou dressé avec fierté dans le bleu du ciel. Avant même de saliver devant une huitre parfumée aux algues et aux épices, on se nourrit des camaïeux turquoise et des gris métalliques qui irisent l’horizon. Les clients dans la salle du restaurant Le Coquillage sont souvent des habitués qui se retrouvent pour fêter un diplôme, des fiançailles, le début des vacances ou les retrouvailles avec des parents éloignés. On ne mange pas. On savoure. On vit chaque bouchée comme s’il s’agissait d’un nouveau voyage. Les « hum » et les « ah » de jouissance feutrent les murmures d’une grande sensualité.
Les plats colorés préparés par le fils d’Olivier et Jane, Hugo Roellinger, font honneur aux recettes cultes inventées pour le tout premier restaurant d’Olivier à Cancale. Un établissement qui fut la maison d’enfance d’Olivier. Une table couronnée de trois étoiles qu’Olivier décide de fermer en 2008 pour se battre contre une maladie, séquelle d’une tentative d’homicide qui a changé le cours de sa vie. Une maison du bonheur en plein centre de Cancale où il compose à l’instar d’un parfumeur ses mélanges d’épices vendues dans une boutique de l’autre côté de la rue. C’est dans cette maison qu’il a grandi. C’est dans cette maison qu’il a intensément souffert. C’est elle aussi qui l’a sauvé.
A l’âge de 13 ans, son père, médecin, l’abandonne, lui et sa mère. Un départ d’une grande violence qui le plonge dans une infinie tristesse sur laquelle il va bâtir une rage de vivre. Quelques années plus tard, en 1976, alors que le jeune homme de 21 ans rêve d’aventures en moto et de traversées en bateau, cinq mineurs l’attaquent au coin d’une rue sombre de Cancale. Ce soir-là, ces cinq jeunes vont se livrer sur lui à un remake d’Orange Mécanique le rouant de coups et le laissant pour mort sur le bitume. Je vous recommande vivement la lecture de sa biographie où il raconte avec précision les heures qui vont suivre cette attaque terrifiante que sa mémoire refuse d’archiver dans son cerveau. Suivront des mois d’hospitalisation, de fauteuil roulant, d’opérations de survie à coups de vis dans les jambes et de greffes osseuses à répétition. L’horreur brute inscrite dans la chair.
Que peut-on faire d’un drame pareil ? Comment se réconcilier avec la vie lorsqu’elle atomise nos rêves et que les médecins annoncent qu’il faut renoncer au bateau, à la moto, à la course et même à la marche ? « Je me suis fait une promesse : ne jamais desserrer la main de l’enfant que j’ai été » répond-il. Cette phrase me met les larmes aux yeux. Elle est si pleine, dans cette époque si vide. Elle me remplit d’espoir. Dans la maison d’enfance, les copains se pressent pour lui tenir compagnie. Chacun apporte les légumes, les viandes et les poissons dont il dispose en guise de mains bienveillantes sur son épaule. C’est ainsi qu’Olivier se met à cuisiner et à célébrer le bonheur de vivre. Avec ce que Cancale lui offre. Son terroir et aussi sa réserve d’épices rapportées par les plus grands explorateurs au fil de leurs découvertes en mer. Mais Olivier n’a pas de formation en cuisine ni de réseau qui lui permette d’entrer en contact avec de grands chefs. Il passe un CAP à Rennes et enchaine les stages. Sa femme, Jane, qui vient de finir ses études en pharmacie, va tout quitter pour le soutenir dans cette nouvelle aventure. C’est avec elle qu’il va bâtir chaque pierre de sa reconstruction. Un couple rayonnant.
Dans sa maison transformée en table d’hôtes, il se fie à son instinct pour composer ses plats. Avec le Saint Pierre, le chou et les pommes de terre nouvelles, il raconte l’histoire de son pays. Et puis, il y a ces poudres qui métamorphosent la chair du poisson, le croquant des légumes et dont les clients raffolent. Poudre des fées, poudre des alizés, poudre de neptune, poudre des bulgares… Autant de compositions épicées qu’il offre souvent en petits sachets à la fin du repas. Au fil des demandes de ses clients, il comprend qu’il est temps de commercialiser ces créations qui sont aujourd’hui mondialement reconnues pour leur qualité (vendues en ligne juste ici).
Au restaurant Le Coquillage, c’est désormais Hugo qui cuisine. Un jeune homme de 28 ans, habité par le même besoin de transmettre du bon dans ses assiettes. Chaque aliment est sourcé minutieusement chez les meilleurs producteurs locaux. Les serveurs ont une histoire à raconter sur la moindre tomate, les légumes issus du potager celtique dans le jardin du Château, le beurre salé au poivre et au piment. Sans parler du pain maison dont la croûte craquante fait le même son que les petits coquillages qu’on foule sur la plage, lorsque la mer s’est retirée. Puis vient le chariot à desserts, une folie de gourmandises qui mérite qu’on garde de l’appétit jusqu’à la fin du repas. Ma fille est devenue zinzin devant les profiteroles. Moi j’ai dégusté le mille-feuille à la vanille… Un festin d’une grande générosité.
Les beaux jours, on peut aussi déjeuner à La Pinède, un restaurant en extérieur installé sous les pins, face à la mer. La carte y est légèrement réduite et le chariot à desserts ne peut malheureusement pas s’y déplacer mais La Pinède reste un lieu extraordinaire pour profiter de cette baie du Mont Saint Michel. Si vous passez près de Saint Malo ou de Cancale cet été, faites moi confiance : venez voir la famille Roellinger ! Si le restaurant est complet, allez au moins dans son magasin d’épices et repartez avec quelques mélanges qui vont changer votre manière de cuisiner. A Cancale, les Roellinger tiennent aussi un salon de thé – Grain de Vanille – où vous trouverez des sorbets turbinés et le fameux millefeuille dont je viens de vous parler.
Demain, je vous emmène à la découverte de La Ferme du Vent qui a ouvert au début du mois. J’y ai déjà envoyé pas mal d’amis. C’est bien simple : je rêve d’y retourner…
Les Maisons de Bricourt, le Château Richeux (un établissement labellisé Relais et Châteaux), Saint Méloir des Ondes, menu marin 35€, menu Le Grand Choix de La Baie 68€… chambre d’hôtel de 195 à 355€ la nuit, Réservations par téléphone au + 33 02 99 89 64 76. Toutes les adresses des lieux cités dans cet article sont disponibles en ligne sur ce site.