Armelle Kergall au Japon #2
6/12/2017
En janvier 2017, mon amie Armelle Kergall, qui a réalisé beaucoup de photographies pour ce blog dans la rubrique In the kitchen with, est partie s’installer à Tokyo avec son mari et leurs deux enfants. Elle me manque beaucoup. Elle est devenue au fil de nos années d’amitié une sœur de substitution. Mais nous échangeons chaque semaine et je n’ai finalement pas l’impression de vivre si loin d’elle. En avril, émerveillée par les photographies qu’elle nous faisait parvenir de sa nouvelle vie tokyoïte, je lui ai demandé de nous raconter son installation et son quotidien au Japon. On s’était promis, Armelle et moi, de faire de ce post un rendez-vous régulier. Nos rythmes effrénés en ont voulu autrement. Voici enfin le second épisode de ce feuilleton. Je suis dingue des photos d’Armelle. Ces petits, effondrés de fatigue sur le canapé, le rapport des couleurs vives avec le carrelage de la terrasse, le regard tendre d’Armelle sur les Japonais… Observez la scène du pique-nique de Sakura (la floraison des cerisiers) : les souliers parfaitement alignés autour des couvertures, la pelouse comme une moquette Saint Maclou, l’inclinaison des visages, la composition chromatique. Armelle a un talent fou. Si vous voulez voir plus d’images de sa vie au Japon, allez donc faire un tour sur son site et suivez la rubrique Japan Diary.
Ca va bientôt faire un an que tu es installée à Tokyo. Au printemps 2017, j’ai présenté ton installation. Que s’est il passé depuis ?
Plein de choses ! D’abord nous avons reçu nos meubles et nos caisses de vin qui n’avaient pas voyagé avec nous lorsque nous sommes arrivés en avion. Retrouver mes affaires avant l’été m’a donné beaucoup d’énergie. Je me suis remise à travailler sur des projets personnels comme Anatomie d’une Famille Française, j’ai refait mon site Internet, trié des photos et des vieux dossiers qui trainaient. L’arrivée de nos effets personnels et de notre mobilier m’a permis de m’installer dans le quotidien de ma nouvelle vie. Et puis, j’ai ressorti mon appareil photo Hasselblad de ma valise et je me suis mise à me balader à bord de mon vélo électrique à la recherche d’images. Nos caisses de vin ont aussi contribué à améliorer nos soirées : on a reçu beaucoup d’amis ☺ et tissé de nouveaux liens avec des Français expatriés et aussi avec des Japonais. On s’est habitué au prix exorbitant des courses (3€ LA pomme bio… pas le kilo ! Ca donne une petite idée des tickets de caisse).
Le weekend, comment occupez-vous votre temps libre?
Nous sommes allés à Kyoto en famille en avril. Nous avons aussi vu un match de Sumo grâce à un copain qui s’est battu pour nous avoir des places. Nous allons plus souvent qu’à Paris déjeuner dehors : les Japonais n’ont pas l’habitude de recevoir, sans doute à cause de la taille de leurs appartements. On a un petit resto où nous allons souvent bruncher. Les enfants adorent les mini couverts et mini sièges qu’on leur donne. Je peux me gaver de pancakes et mon mari d’avocado burger. Après on se promène, pour découvrir de nouveaux quartiers et puis on rentre pour la sieste de Camille, notre fils de 2 ans. On sort aussi beaucoup avec des amis le weekend. Resto, micro bar en tête-à-tête avec le serveur ou jazz bar près de chez nous. Les grands soirs, on finit dans n’importe quel karaoké sur notre chemin. Je suis aussi fan de karaoké que de déguisements. L’espace d’une nuit folle, le temps semble suspendu : on devient star d’un soir en braillant dans un micro déguisé en cornet de frites. Et puis, nous partons désormais en week-end ! On a des copains, rôdés en terme de booking d’hôtels qui nous emmènent dans des endroits magnifiques à côté de Tokyo : Shimoda, Kamakura…
Comment est-ce que tu communiques avec les Japonais qui t’entourent ?
Ici, nous parlons en anglais la plupart du temps mais je me suis mise à prendre des cours de Japonais il y a quelques mois. J’ai appris deux alphabets différents mais j’avoue que je progresse très lentement. Je sais compter, c’est pratique pour payer. Je connais les jours de la semaine, les mois, l’heure… Je sais poser quelques questions : « Est ce que ce RER va bien à Ebisu? » (très utile !) « Pourriez-vous m’apporter l’addition ? ». Ça commence à rentrer mais j’ai toujours du mal à communiquer avec mon petit gardien d’immeuble qui est absolument charmant. Quant à nos enfants, ils passent d’une langue à l’autre sans trop de difficulté. Ma fille Atala a deux heures de cours de japonais par semaine pendant lesquels elle apprend des chansons et pas mal de vocabulaire. Quand je ne sais pas comment m’exprimer en japonais, je lui demande et parfois ça marche. Il lui arrive de me reprendre en frimant un peu. Il y a aussi beaucoup de japonais dans sa classe. Camille est dans une école où on lui parle anglais et japonais. Il apprend trois langues en même temps, avec le français, et passe de l’une à l’autre avec beaucoup d’aisance. Leur accent presque impeccable m’épate mais j’imagine que je ne suis pas la plus objective les concernant.
J’ai l’impression que tu as réussi à tisser des liens avec beaucoup de Japonais ?
Oui et j’en suis super heureuse car ce n’est pas facile de franchir la barrière culturelle. D’abord parce que, lorsqu’on leur demande quelque chose, ils se plient en quatre (littéralement) pour trouver une réponse. Ils ne peuvent pas dire « Non désolé, je ne peux pas vous aider ». Souvent, ils ne comprennent pas notre question en anglais ce qui les embarrasse beaucoup. Cependant, j’ai noué des liens forts avec Etsuko et Sumi qui ont respectivement 75 et 72 ans. Ce sont de vieux amis de ma famille. Sumi ayant habité chez mes grands-parents en 1962, nos familles sont restées en contact. Je les adore. Etsuko m’emmène dans des supermarchés pour m’apprendre quoi acheter. Ils nous invitent et nous prêtent leur maison de campagne. J’ai de grandes discussions avec Etsuko, on va aux bains japonais ensemble (on les appelle Onsen), elle pêche des têtards avec ma fille dans les rizières. Elle est devenue une véritable amie. Mais la Japonaise dont je suis la plus proche, c’est Yoko. Elle est anesthésiste et nos fils étaient dans la même classe avant l’été. Deux fois par semaine, on allait chercher les enfants à la même heure. Avec nos anglais approximatifs on s’est tout de suite bien entendu. Je me sens beaucoup plus proche d’elle que de n’importe quel français expatrié. Rapidement, on s’est invité à déjeuner, à faire du yoga ensemble car elle est aussi professeure de yoga pour certains patients une fois par semaine. En échange, je dois lui apprendre le français. Comme elle ne parle pas très bien anglais, elle va droit au but quand je lui pose des questions sur sa façon de vivre ou de faire. Du coup, les échanges sont « cash » et très riches.
Qu’est-ce qui te surprend chez les familles japonaises que tu côtoies ?
Les parents japonais sont très patients avec les enfants et très attendris aussi. Ils rient lorsqu’ils font des bêtises et les trouvent « kawaiii » en toutes circonstances. Yoko et Teruki, son mari, mes principales sources d’information, nous font découvrir comment ils vivent avec leur fils Momo (surnom pour Momofuku). Déjà leur salon est énorme et quasiment vide: une table, 2 canapés lits dépliés et collés recouverts d’une grande couverture marron formant un carré où traîner devant l’énorme télévision. Il y a un grand tableau Veleda et pas mal de boites en plastique le long des murs ou les habits et les jouets de Momo sont rangés. Tout le monde dort dans la même chambre, parfois même jusqu’à la puberté. Les Japonais utilisent souvent des visiophones pour surveiller que leur enfant de deux ans fait la sieste ! Chaque soir, Yoko fait semblant de s’endormir à côté de son fils pour qu’il s’endorme. Les Japonais se projettent si loin avec leur enfant qu’ils n’ont aucun mal à imaginer dans quelle école leur fils de deux ans devra aller pour devenir médecin. Ils imaginent même des échanges avec la Roumanie pour qu’il puisse un jour exercer en Union Européenne. Alors que nous, Européens, nous faisons tant d’efforts pour ne pas projeter nos désirs lointains sur nos enfants et nous inscrire dans le moment présent.
Tu as passé deux mois cet été en France, en juillet et en août. Est-ce que ça a été difficile de sortir de ta nouvelle vie pour reprendre le cours de celle que tu avais en France (enfin sans ton appartement parisien que tu loues) ? Et comment s’est passé le retour au Japon après deux mois ici ?
C’était les vacances ! J’ai retrouvé des copains chez les uns et les autres ou en Bretagne en famille. J’ai adoré ! Le seul truc difficile a été d’être séparée de mon mari qui devait rentrer plus tôt que moi au Japon pour travailler. Un mois seule avec les enfants, c’est un peu long. Et difficile pour travailler. Le schéma « femme d’expatriée en charge des enfants », ce n’est pas mon truc. L’année prochaine sera différente ! En septembre, le retour au Japon a été très excitant, j’avais pris mes marques. Et la nouvelle routine me laisse plus de temps. On est au top !
Quand on est expatrié, la visite des amis Français rythme l’année comme les vacances scolaires. Qu’est-ce qui se lie pendant ces moments passés ensemble dans ton nouvel environnement nippon ?
Les amis profitent de notre installation à Tokyo et ils ont raison, on adore les accueillir. Parfois, il s’agit d’amis de longue date. Il arrive aussi qu’on reçoive des amis plus éloignés : le cousin de mon beau-frère en voyage d’affaire, la petite sœur d’une copine en voyage de noces… Ce sont toujours des moments privilégiés. On ne fait pas que se parler du quotidien et de ce qui arrive aux uns et aux autres. Le fait d’être dans ce monde parallèle qu’est le Japon nous pousse à partager nos aspirations respectives profondes. Le Japon laisse rarement indifférent et chaque personne le vit différemment. Du coup, leur regard nous offre de nouvelles perspectives sur notre expatriation ici.
Qu’est-ce qu’on te rapporte de France et qui te fait plaisir ?
Du fromage ! On m’a apporté du Pouligny Saint Pierre et du Valençay. Le fromage me manque ici donc ça me fait toujours plaisir. On me ramène du quinoa aussi car c’est super cher ici. En réalité, je n’ai pas besoin de grand chose, je sais désormais où aller pour tout trouver. Avant l’été je cherchais désespérément des adhésifs puissants pour accrocher mes grands tirages. Je suis partie en vadrouille et j’ai découvert des magasins et des labos complètement fous. Je suis revenue bredouille et j’ai finalement acheté les adhésifs en France cet été.
En dehors de ta famille et de tes amis, est-ce que la France te manque? Ou bien est-ce que le temps qui passe t’éloigne progressivement des préoccupations hexagonales?
Oui, c’est plutôt ça. D’ailleurs mes amis et ma famille ne me manquent pas tant que ça ! Je sais qu’ils sont là et que je vais les retrouver aux prochaines vacances. Je trouve difficile de ne pas être là pour ceux qui en ont besoin. Néanmoins la communication est très facile maintenant avec Whatsapp. Il suffit juste de trouver le bon créneau horaire (8h de plus ici, donc je me lève quand les Français se couchent). Au fond, je suis encore bien trop excitée par ma découverte du Japon pour que la France ou Paris me manquent vraiment. En plus, je suis revenue cet été et je serai à nouveau à Paris pour les vacances de Noël. Quand je pense à Paris, je me souviens que dans ma rue du 10e arrondissement, ça sent la pisse et les poubelles. Alors qu’ici, tout est clean, pas de mégot ni de vomi. Les seules choses que je trouve éprouvantes sont les interdictions radicales et incontournables qu’on applique à la lettre au Japon. Exemple : je n’ai pas le droit de garer mon vélo électrique en bas chez moi. J’ai tenté dans la rue où les visiteurs de l’immeuble d’en face se garent, puis dans la ruelle derrière mon immeuble, puis j’ai tenté de négocier avec la copropriété : c’est NON. On m’a répondu : « Vous ne pouvez pas mettre votre vélo devant ou dans l’immeuble ». Cette interdiction s’incarne corporellement par deux bras en croix devant le visage, un genre de « vade retro satanas » version japonaise. Finalement je le mets au carrefour en bas de chez moi, jamais au même coin. Et pour l’instant, il n’a pas été enlevé.
En septembre, tes enfants ont fait leur première vraie rentrée scolaire (puisqu’ils étaient arrivés en cours d’année, en janvier). Ta fille, Atala, qui va avoir 6 ans, est entrée au Lycée français, en grande section de maternelle. Ton fils, Camille qui aura bientôt 3 ans, est dans une petite école japonaise, qui ressemble plus à une crèche qu’à une maternelle. Comment se sont passées leurs rentrées scolaires ?
La rentrée s’est super bien passée. Atala est très contente d’avoir retrouvé sa volubilité en français. Elle est dans une classe multi-âge. Sa maîtresse est géniale. Elle est à l’initiative de ce projet. Elle applique pleins de nouvelles méthodes éducatives dignes de Maria Montessori et de Céline Alvarez. Etant née en janvier, Atala est la plus grande mais sa meilleure copine à 3 ans. Ils apprennent beaucoup les uns des autres. Et il y aussi les copains du bus scolaire. Ca c’est vraiment particulier ! School bus à 7H50 tous les jours avec les mêmes petits voisins. Du coup ils sont devenus les copains du weekend. Et les parents aussi ! On s’entraide, ça remplace un peu les familles. Quant à Camille, il est très sociable et s’adapte partout. Les enfants aiment beaucoup leur vie ici. Mais ils ne seront jamais aussi disciplinés que les petits Japonais. Je me rends bien compte qu’ils parlent un peu fort dans les lieux publics : je suis devenue plus sensible au son qu’ils émettent dans ce calme olympien.
Enfin, dernière question : comment se prépare Noël au Japon ? Quelles sont leurs traditions de fin d’année ?
Yoko m’a dit qu’ils ne fêtaient pas Noël. Pourtant, dés le 2 novembre, ils rangent les citrouilles et les rues revêtent leurs habits de lumière. Des sapins fleurissent aussi un peu partout. J’ai l’impression que c’est l’occasion pour eux de faire les soldes. A part ça pas grand chose… Pardon si je me trompe, je ne suis qu’une « nouvelle » ! J’ai cru comprendre que les Japonais étaient beaucoup plus attachés au Nouvel an qu’on célèbre en famille.