Money money money
4/10/2016
La semaine dernière, après la publication de mon billet Fais demain ce que tu peux faire… demain, une lectrice m’a envoyé un email pour me poser une question que vous vous posez peut-être également : ce post était-il un article sponsorisé ? Son message était aussi respectueux que bienveillant. Pourtant, à vif, je me suis sentie agressée. On a entamé un échange hyper intéressant par email et je me suis dit qu’il fallait absolument partager cette discussion sur le blog. Pour bien comprendre tous les enjeux, je dois d’abord vous expliquer dans quel contexte j’ai créé ce blog et comment il évolue aujourd’hui, près de six ans plus tard. Attention, roman fleuve (you know me ;-).
J’ai commencé mon parcours professionnel dans le bureau de presse de la boutique colette au début des années 2000. A l’époque, la pression entre annonceurs et presse féminine existait mais la plupart des magazines l’ignorait. On n’avait aucune difficulté à obtenir des grands reportages sur des créateurs inconnus. Puis, lorsque je suis devenue journaliste et que je suis passée de l’autre côté en 2003, j’ai souvent entendu des rédactrices plus expérimentées que moi me raconter une époque qui leur semblait révolue : celle de la liberté absolue. Au fil des années, la pression de la part des marques qui investissent dans la presse écrite s’est accentuée. Si on se met à leur place, on peut aisément imaginer qu’en investissant des centaines de milliers d’euros à l’année en publicité, elles exigent un soutien rédactionnel dans les pages du même magazine. D’autant que ce « retour » a bien plus d’impact sur leurs ventes qu’une publicité que les lecteurs ont appris à contourner. Au fil des différentes crises économiques et du changement de nos comportements – on achète globalement moins de magazines qu’il y a vingt ans et on lit de plus en plus d’informations gratuitement sur Internet – la pression des marques est encore montée d’un cran.
Pour quantifier leurs parutions, les annonceurs utilisent des outils d’analyse qui pourrissent à la fois la vie des attachés de presse et celle des journalistes. En effet, quelques boites spécialisées calculent au millimètre carré la place accordée à une marque dans un article. Elles tiennent une comptabilité ultra précise des marques dont la presse parle le plus et établissent des rankings qui ressemblent au top 50, le but étant d’être à l’Everest du classement. Au sommet de la pyramide, la cover story sur l’égérie avec le nom de la marque qu’elle représente dans le chapô (les 3 premières lignes de l’article qui sont les plus lues). Juste derrière vient la photographie du produit en pleine page, sans concurrent pour la détrôner ; ou le reportage sur le making of d’une pub parfum. En revanche, la grande enquête avec plein d’intervenants et une mention furtive de quelques marques est totalement méprisée par ces sociétés qui quantifient les parutions presse au millimètre carré de produit photographié. Ce système de mesure méprise les lecteurs et les prend pour des robots. Nos émotions ne sont heureusement pas uniquement guidées par la taille d’une photo. Il y a des articles minuscules qui nous marquent à vie et du tapage médiatique qu’on oublie instantanément. Les attachés de presse, qui sont en contact direct avec les journalistes, regrettent beaucoup qu’on utilise ces organes d’études pour évaluer leurs compétences. Mais la majorité des marques, clientes de ces bureaux de presse, ainsi que les dirigeants des attachés de presse intégrés ne se fient qu’à ces études pour juger de l’efficacité de leur service presse.
Attention, je ne suis pas en train de vous dire que toute la presse est moisie et que l’intégralité des journalistes cèdent à la pression des annonceurs. Il y a des groupes qui résistent mieux que d’autres à cette pression et qui protègent la liberté de leurs journalistes. Des rédacteurs ou rédactrices en chef qui individuellement et parfois au risque de perdre leur emploi défendent leur territoire face à une marque trop pressante. La plupart des journalistes que je côtoie se battent comme des dingues pour vous offrir des sujets intéressants et modérer les assauts des marques dans leurs pages. Du côté des annonceurs, il y a des maisons plus respectueuses de la liberté de la presse que d’autres. Je connais des attachées de presse qui préfèrent s’en prendre plein la gueule de la part de leur hiérarchie plutôt que de réclamer quoi que ce soit à un journaliste. Et puis, il y a heureusement des marques qui ont tellement confiance dans la qualité de leurs nouveautés qu’elles ne pressurisent jamais les journalistes. Une stratégie souvent payante puisqu’elle redonne du sens à tous les métiers.
J’ai lancé mon blog en novembre 2010, il y a bientôt six ans, dans ce climat. Je n’avais aucune idée de ce que je voulais en faire à long terme. Je voulais m’aérer la tête. M’offrir une récré. Un espace de liberté rien qu’à moi. J’en avais tellement marre d’être contrainte de faire l’éloge de parfums épouvantables. J’avais envie de partager mes restaurants japonais préférés, les ateliers que je testais avec ma fille, mes voyages… J’étais fatiguée d’être cantonnée aux crèmes pour le visage et aux parfums (même si j’éprouve toujours la même passion pour l’industrie de la beauté). J’avais très peur d’être mal jugée par le milieu de la presse écrite, peur d’être mal comprise… d’autant que les « blogueuses » étaient souvent comparées, par mon milieu, à des débiles mentales sans formation. J’ai créé ce blog, sans révéler mon nom ni celui du magazine qui m’employait à l’époque. Je ne voulais pas qu’on puisse me reprocher de me mettre en avant ou bien de me servir de mon employeur comme faire valoir. Je n’avais pas l’ambition de monétiser mon contenu et je refusais alors toutes les propositions que me faisaient les marques dans ce sens. Le plaisir d’écriture me satisfaisait pleinement et je gagnais ma vie par ailleurs. Un an plus tard, lorsque j’ai quitté le magazine pour lequel je bossais et que j’ai commencé à incarner librement l’image du blog, de nouvelles marques m’ont approchée. Les montants proposés augmentaient sensiblement de mois en mois, mais je n’avais aucune idée de la manière dont il fallait gérer tout ça, du coup, c’était plus simple de répondre systématiquement non à tout.
Mon avis sur la monétisation des blogs a évolué en deux temps. D’abord, j’ai rencontré un grand nombre de blogueuses. Certaines sont devenues des amies proches. Je les ai observées bosser sans relache, se former à mille technologies par jour, s’initier à la vidéo, au montage, au gif, à la photo, à la maitrise des nouveaux réseaux sociaux. Tenir un blog au quotidien exige un investissement délirant, en terme de temps et d’énergie. Ca a beaucoup changé mon point de vue sur leur économie. Dans un second temps, je me suis aperçue que c’était sur Ma Récréation que je m’épanouissais le plus. Le blog a beaucoup grandi ces dernières années. Et c’est grâce à vous tous, si nombreux à venir régulièrement me lire. Compiler ce hobby du soir (enfin du weekend, des vacances, de l’aube et parfois de la nuit entière) avec un magazine hebdo est devenu compliqué. En mai 2016, j’ai donc décidé de quitter l’équipe du M (pour laquelle j’écris toujours ponctuellement) pour me lancer pleinement dans cette aventure. Il m’était devenu physiquement impossible de faire les deux. Il a donc fallu réfléchir à de nouveaux moyens de gagner ma vie, compatibles avec les règles que je me suis toujours fixée.
Alors, comment est-ce qu’on gagne de l’argent avec un blog ? En mettant de la pub visible? Oui mais, à moins d’être un site avec une audience ahurissante (et je parle plutôt des journaux en ligne qui drainent des millions d’internautes), la publicité rémunère peu les blogs, en plus d’être polluante visuellement. Les marques paient au nombre de pages vues par les lecteurs. D’où le nombre exponentiel de « diaporamas » par article: pour chaque photo affichée que vous faites défiler, on compte une nouvelle page vue. Et puis, plus la publicité est grande – bannière énorme, vidéo qui s’ouvre pendant la lecture d’un article… – mieux elle est payée. Des régies publicitaires m’ont proposé plusieurs fois de vendre des espaces sur mon blog, mais impossible dans ce cas de sélectionner moi-même les annonceurs. Et la perspective d’avoir un encart publicitaire pour une marque du groupe Monsanto à côté d’un article dédié à l’alimentation en pleine conscience me semble grotesque. Je ne m’interdis cependant pas la possibilité d’intégrer un jour quelques publicités visibles.
Qu’est-ce qui reste ? Les partenariats, la lecture payante, les collaborations, l’affiliation. Les partenariats sont très variables. Ca va de la rémunération en échange d’un article/vidéo/instagram dithyrambique sur un produit à un sponsoring plus créatif. Quand les premiers blogs se sont mis à avoir du succès, certaines marques se sont lancées à fond dans les articles sponsorisés. Un grand nombre de blogueuses les ont accepté (et je ne les juge pas) et on a vu apparaître une flopée de posts du genre « j’ai testé pour vous la crème bidule et j’ai A.DO.RÉ ». Sauf que les lecteurs ne sont pas dupes. Ils ont commencé à trouver étrange que leurs blogueuses préférées craquent toutes pour le même produit en même temps. D’autant que le mariage entre une marque et un blog n’est pas toujours fructueux. Exemple : une blogueuse déclare son affection pour une brosse nettoyante alors qu’elle a toujours dit qu’elle n’en utiliserait jamais. Certaines communautés de blogueuses n’ont pas bien réagi, et les blogueuses n’ont plus voulu prendre le risque de se mettre leurs fans à dos. CQFD: pas de followers, pas d’existence digitale. Quant aux marques, elles ont compris que l’opération était contre-productive même si elles sont encore nombreuses à en organiser. Je ne veux pas être dans le jugement, chacun gagne sa vie comme il ou elle le peut et certains blogs sont de petites entreprises qui font vivre une dizaine d’employés (voire plus). Néanmoins, vous ne me verrez JAMAIS m’engager personnellement pour un produit si je ne suis pas archi convaincue par son efficacité. Il y a deux mois, une marque que j’adore m’a proposée de vous faire gagner un soin que j’ai testé assidument pendant 4 semaines sans observer le moindre changement. La marque était sublime mais l’idée que l’une d’entre vous puisse dépenser de l’argent dans un produit inefficace me tordait le ventre. J’ai donc renoncé à ce projet. J’accepte de temps en temps de travailler avec des marques. C’est très rare, la quasi totalité des articles que je vous propose ici sont écrits sans autre contrepartie que les produits que je reçois gratuitement. J’investis d’ailleurs beaucoup d’argent dans les productions d’images, les tests des restaus et pendant mes déplacements… Sans parler de l’investissement de tous ceux qui acceptent de participer gratuitement à ce blog (graphiste, photographes…). J’accepte une collaboration lorsque : 1) la marque me plait, que je me sens proche de ses valeurs et que j’en suis cliente depuis longtemps. 2) le produit qu’elle souhaite que je mette en avant à travers la création d’un article m’a convaincue 3) la marque me laisse libre dans l’élaboration de mon article et ne m’oblige pas à faire « la vendeuse ». Lorsque tous ces critères sont réunis, j’accepte si le projet a du sens et qu’il m’inspire une réflexion de qualité. Et je peux vous dire que je me casse mille fois plus la tête pour ce genre de posts: je veux absolument qu’ils aient une valeur ajoutée. J’adorerais qu’une marque finance une série de vidéos pour vous faire découvrir des lieux en voyage, des expéditions parfumées ou des créateurs encore dans l’ombre. J’ai plein d’envies pour ce blog, je voudrais qu’il soit traduit en anglais, qu’il soit plus ergonomique (en particulier sur les portables et les tablettes), qu’il s’enrichisse de nouvelles rubriques sur lesquelles je bosse depuis des lustres… Et je ne peux pas réaliser ces rêves sans financement.
Une autre option existe mais elle est peu employée : faire payer la lecture du blog. Il y a quelques exemples aux Etats Unis. En France, de nombreux sites d’informations proposent aux internautes de s’abonner pour pouvoir lire l’intégralité de leurs articles. Je trouve ce système idéal mais la grande majorité des lecteurs considèrent que l’intérêt d’Internet réside dans sa gratuité.
Parallèlement à la publicité plus ou moins visible sur leurs plateformes, les blogueuses sont aussi rémunérées pour leur collaboration créative avec une marque. Exemple : création d’une mini collection de chaussures pour une marque. La marque bénéficie de l’aura et de la communauté du blog. Quant à l’auteure du blog, elle est payée pour la conception de la collection et la promotion qu’elle doit en faire sur ses différents supports (instagram, facebook, twitter, snapchat…). Moi je n’ai encore jamais fait ça. On me l’a proposé mais les projets ne m’excitaient pas vraiment.
Ensuite, il y a l’affiliation. Cela consiste à glisser des liens affiliés sous les produits dont on fait la recommandation. La blogueuse ou le blogueur sont alors rémunérés par la marque sous forme de commission sur la vente qu’il ou elle a générée (les liens permettent de tracker le consommateur et de savoir d’où il vient). Quand j’ai pris connaissance de l’existence de ce système, je me souviens que j’étais outrée. Je me disais que ça poussait forcément les blogueuses à promouvoir des vêtements ou des produits selon leur potentiel commercial. Aujourd’hui, je trouve ce système plutôt juste. A condition que les blogueuses soient fidèles à leurs goûts propres. Depuis que j’ai créé ce blog, j’ai toujours linké les produits dont je vous parlais vers des sites marchands car cela m’apparaît serviciel. Mais je n’ai encore jamais intégré de programme d’affiliation. Pas parce que je n’en ai pas l’envie ni le besoin. Mais par manque de temps. Ca viendra et ce jour-là, je le signalerai dans la rubrique About.
Enfin, il y a un autre moyen de monétiser un blog : en lançant sa propre ligne de produits ou un livre à succès (je pense à The Selby par exemple). Je n’en suis pas du tout là même si je suis approchée par pas mal d’éditeurs. Une fois encore, on verra. J’ai des envie mais je vous en reparlerai si ça se concrétise.
Et puis, les auteurs des blogs gagnent aussi leur vie en faisant tout un tas de trucs annexes comme du conseil en communication digitale, de la photo ou de la création de textes pour des marques, de la création de contenu pour les réseaux sociaux et les blogs des marques (sans que leur nom n’apparaisse). Beaucoup de marques demandent à racheter mes photos par exemple ou m’en commandent de nouvelles pour leur site propre. C’est très valorisant et ça permet d’éviter de mettre de la pub sur le blog. Le problème de ces jobs c’est qu’ils ajoutent une charge supplémentaire de travail en plus du blog (et des réseaux sociaux) à alimenter constamment.
Mais comment savoir si j’ai été payée lorsque vous me lisez (sachant que les marques n’aiment pas beaucoup travailler avec les blogueurs qui veulent estampiller l’article d’une mention « contenu de marque », « billet sponsorisé », « publi-communiqué »…) ? Lorsque je vous écris en début d’article « que la marque xxx m’a demandé de réfléchir à une question, à l’occasion du lancement ou de la mise en avant de son produit xxx », c’est une manière de vous dire : c’est la marque qui est à l’origine de cet article, donc oui, dans ce cas je suis rémunérée. La lectrice qui m’a écrit la semaine dernière s’en doutait mais avait besoin d’une clarification.
Je vous dois cette transparence. Mais je ne voudrais pas qu’elle vous conduise à vous méfier de tout ce que vous lisez ici. J’ai organisé des tonnes de concours ces dernières années, uniquement dans le but de vous faire plaisir. Parce que les produits ou les expériences me plaisaient tellement que je trouvais égoïste de ne pas les partager avec vous. On est entré dans une époque qui manque cruellement de transparence du coup on soupçonne le moindre coup de cœur d’être artificiel. Il y a des abonnés sur Instagram qui pensent par exemple que je suis payée par Astier de Villatte tellement je parle d’eux ☺. D’autres croient que je perçois de l’argent de Glossier ou bien que chaque produit taggé en légende a été négocié avec la marque. Ce n’est pas du tout le cas. Parfois je réponds à ces questions, parfois je n’ai ni le temps ni l’envie parce que ça m’agresse de devoir me justifier. Je ne parle ici et sur les réseaux sociaux que de ce qui me plait, de ce que je trouve beau, amusant ou étonnant. Ca n’est qu’une prise de position personnelle et elle est à prendre en tant que telle. Je ne suis pas un laboratoire qui dispose d’outils de mesure pour comparer les performances des crèmes entre elles. Je ne suis pas un guide gastronomique qui met des étoiles ou un inspecteur hôtelier. Je fonctionne à l’instinct et j’essaie d’être à l’écoute de ce qui fait sens pour moi. Avec l’espoir que, payée ou non, mon authenticité traverse vos écrans.