Oser la couleur
Photographie Lili Barbery-Coulon

Oser la couleur

Oser la couleur

J’ai presque toujours habité dans des appartements peints en blanc. On m’a longtemps dit que c’était le meilleur moyen de rendre une pièce lumineuse. Et de ma première collocation en Irlande à ma première installation à deux, en passant par un petit studio dans le 15e arrondissement ou un deux pièces glauquissime en rez-de-chaussée, la question de la couleur ne s’est jamais posée. D’autant plus que jusqu’à l’année dernière, j’ai toujours été locataire. Ca rend un peu prudent de ne pas être véritablement chez soi. Voire frileux. Ou radin. J’admirais les appartements des copains qui osaient les couleurs comme on regarde les guiboles d’une copine qui se hisse sur dix centimètres de Pierre Hardy (Mai Hua, si tu me lis…) et je me répétais « C’est beau mais je vais m’en lasser, non ? ». Du coup, j’ai fini par mettre la couleur sur une cime de plaisirs interdits comme s’il s’agissait d’une prise de risque majeur. Cependant, lorsqu’on a eu le coup de bol absolu de trouver l’appartement dont on rêvait l’an dernier, la couleur nous est apparue essentielle. Et de toutes les palettes existantes, notre choix s’est immédiatement porté vers celles de Farrow and Ball. On s’engueule beaucoup lorsqu’on fait des travaux et qu’on prend des décisions coûteuses. Heureusement, on (je parle de mon mari évidemment, pas du plombier) ne s’est jamais pris la tête sur notre envie de pigments.

Photographies Lili Barbery-Coulon. Avant… après.
Le salon et la couleur Green Smoke sur les murs

Mais comment choisir ? D’autant que chez Farrow and Ball, même si vous voulez du blanc, il en existe environ douze mille sortes. Ce qui donne lieu à des conversations improbables du genre : « Vous aviez envie d’une teinte coquille d’œuf d’autruche ou plutôt dentelle de Calais ? ». Nous, on savait qu’on voulait un bleu foncé pour notre chambre qui puisse faire écho au vert Green Smoke du salon (car l’appartement est traversant et qu’on aperçoit notre chambre du salon, ainsi que l’entrée et la cuisine). Et je savais que j’allais me battre corps et âme pour du rose dans la salle de bain, un vieux rêve de toujours. On n’a pas fait appel à un cabinet d’architecture pour rénover cet appart. Nous n’en avions pas les moyens et on a la chance d’avoir un architecte dans la famille qui nous a donné quelques conseils précieux mais rien qui ne ressemble à un suivi complet d’un chantier avec recommandations déco. Du coup, j’ai épinglé à mort sur Pinterest pour sélectionner des idées. Et puis, Elisa Bailly, qui est styliste d’intérieur et dont je vous ai déjà parlé ici, m’a aussi beaucoup aidé en me parlant des erreurs à éviter lorsqu’on établit le plan électricité (tout était à refaire chez nous, la plomberie, l’électricité, les fenêtres, etc..), le plan de la cuisine ou lorsqu’on dessine un meuble sur mesure. Si ça vous intéresse, je vous raconterai comment on a fait pour dessiner les meubles ou bien comment on a customisé notre cuisine Ikea ?

Photographie Lili Barbery-Coulon.
La bibliothèque sur mesure en vert Green Smoke

N’empêche qu’il nous manquait le regard d’un expert de la couleur pour finaliser nos choix. Au show room Farrow and Ball de la rue de l’Université dans le 7e, on nous avait déjà pas mal aiguillé en nous demandant de regarder les couleurs à la lumière du jour et non sous un éclairage artificiel. Et il y avait la question du blanc (celui des plafonds par exemple) à déterminer. Brusquement, ce qui m’avait semblé excitant au départ me paraissait ennuyeux. Trop de possibilités… Et si on se trompait ? Pour ne pas avoir de doute, on a fini par faire appel à Samantha Rouault, la consultante couleur du show room de la rue de l’Université. En l’espace d’une seconde, j’ai su que j’allais pouvoir lui faire confiance. Son port altier, sa manière de remettre ses cheveux, son visage nu et sa dégaine générale me criaient « maison !!!! ». J’ai senti qu’on avait un patrimoine de goûts en commun et que je pouvais me mettre en mode pilote automatique.

Photographies Lili Barbery-Coulon.
Samantha Rouault et ses couleurs à la main

Mon mari étant directeur artistique, on avait bien préparé notre dossier : on connaissait le nuancier sur le bout des doigts. Mais Samantha nous a également montré toutes les couleurs des archives Farrow and Ball qui sont éditées sur simple demande. Elle a visité les pièces en tentant de se projeter avec nos explications et très vite, elle a validé nos choix tout en nous recommandant des ajustements. Nous étions tentés par Stiffkey Blue pour notre chambre. Elle nous a immédiatement prouvé, en nous montrant des grands carrés peints, qu’il fallait mieux opter pour Hague Blue, beaucoup plus chic avec la couleur Green Smoke choisie pour notre salon. Ensuite, elle a regardé les bâtis de toutes les fenêtres et nous a aidé à choisir ce qui devait être peint en couleur et laissé en « blanc ». Il n’y a d’ailleurs aucun blanc chez nous. La teinte qui a été utilisée pour les plafonds, les fenêtres et l’entrée est Ammonite. Il s’agit d’un gris pâle qui paraissait très beige et foncé tout seul mais qui, confronté aux couleurs, fait ressortir les pigments plus intenses.

Photographies lili barbery-coulon. Notre chambre en Hague Blue et Ammonite avec le module dressing-tête de lit-tables de nuit que nous avons dessiné nous même

En revanche, dans la salle de bain où je tenais absolument à Pink Ground, elle a tout de suite eu la bonne idée d’exclure Ammonite qui aurait terni le rose. Elle nous a conseillé de tout peindre en rose, y compris le plafond et de peindre la fenêtre en Off Black pour faire écho au carrelage que nous lui avions montré (un modèle très classique trouvé chez Surface, rue de Varenne dans le 7e, mais j’en ai aussi vu chez Leroy Merlin) et aux radiateurs en fonte que nous avons tous peint dans ce noir délavé. C’est un petit détail mais ça donne une impression d’atelier qui me plait infiniment (de toutes façons, c’est ma pièce préférée, si je pouvais, je dormirais dans ma baignoire en fonte, je l’aime d’amour, j’en ai rêvé deux décennies).

Photographies Lili Barbery-Coulon. Avant… après. La salle de bain en Pink Ground et Off Black pour la fenêtre. La baignoire vient de chez Margot, tout comme la robinetterie française

Quant à la cuisine, on savait qu’on voulait du noir mat pour les façades de placards (une longue histoire puisque ça n’existe pas chez Ikea). Moi je voulais du marbre pour le plan de travail, mon mari du bois. Devinez qui a gagné la battle ? Fallait bien faire un compromis afin d’obtenir la salle de bains rose… On avait sélectionné un pastel du nuancier que Samantha a écarté au profit de Light Blue. Il s’agit d’un bleu gris qui selon la lumière et les meubles varie du vert pâle au bleu clair. Il a l’avantage de très bien marcher avec Amonnite et Green Smoke. Et puis dans la chambre de ma fille, j’ai flashé sur le papier peint tie and die de Sandberg Skymning Light Pink, distribué en France par Au Fil des Couleurs. C’est un coucher de soleil cotonneux qui passe du corail au gris, un peu comme si on avait posé un halo de blush sur les murs. Le papier peint a été collé sur deux murs. Les deux autres murs ont également été peints en Ammonite, qui encore une fois fonctionne très bien avec le haut du papier peint. Et pour le couloir qui relie l’entrée à la cuisine, je gardais précieusement un rouleau de papier peint anglais, édité il y a quelques années par Miller Harris. Il m’en fallait un second pour recouvrir le couloir et là, ça a été une galère sans nom : la marque n’édite plus de papier peint et le fabricant a cessé son activité. J’ai fini par retrouver l’ancienne patronne de la société éditrice en Ecosse (quand j’ai une fixette, je suis incurable) et j’ai payé Fedex pour rapatrier deux rouleaux à Paris. Les deux derniers au monde. Je ne vous raconte pas la pression sur les épaules du peintre qui a posé le papier… En tous cas, question couleur, là encore, ça marche parfaitement avec Ammonite.

Photographies Lili Barbery-Coulon.
Les murs de la cuisine et les deux étagères sont peints en Light Blue. La cuisine vient d’Ikea, nous avons juste fait faire les façades de placard sur mesure. Si ça vous intéresse, je vous ferai un post à ce sujet.

On était ravi, on avait enfin choisi les couleurs. Et c’est là qu’on a annoncé à nos peintres qu’on allait travailler avec les peintures Farrow and Ball. J’ai bien vu qu’ils émettaient quelques doutes concernant nos goûts. Mais comme ils faisaient carrément la gueule, j’ai voulu comprendre : « Cette peinture est super difficile à poser, ça va nous prendre beaucoup plus de temps » nous ont-ils dit. Pour nous rassurer, Samantha a établi un planning très précis de ce qu’il fallait poser sur quel mur et avec quelle sous-couche. Parce que chez Farrow and Ball, il n’y a pas une sous-couche (un « primer », un peu comme ce que l’on glisse sous un fond de teint) il y en a presque autant qu’il existe de blancs… Une sous couche pour le bois, une autre pour les plafonds et les murs, une pour les teints pâles, une pour les teints medium, une pour les teints foncés, une pour le métal… J’ai cru que nos ouvriers allaient nous trucider. Néanmoins, j’étais motivée, on voulait ces couleurs et je voulais respecter le planning à la lettre. Du coup, j’ai numéroté chaque type de peinture et j’ai écrit sur chaque mur de l’appartement les bonnes combinaisons ( » ici une couche de n°17 + deux couches de n°1« ). Le casse-tête chinois. La semaine d’après, quelqu’un a poncé tous les murs. Ca a décollé tous mes petits stickers avec les combinaisons. Tout était à refaire… Peu importe, ça en valait la peine : les couleurs sont sublimes, hyper denses. Contrairement à ce qu’on nous avait dit, on n’a pas eu besoin de mettre plus de deux couches de Green Smoke, de Hague Blue ou de Pink Ground. En revanche, certains plafonds ont eu besoin d’un peu plus d’Ammonite et l’ensemble est assez long à sécher, surtout les meubles en bois.

Photographie Lili Barbery-Coulon. Avant que la chambre ne soit envahi de jouets et de doudous en tout genre, voici le papier peint Skymning de Sandberg déniché chez Au Fil des Couleurs

Quant aux conseils de Samantha, les voici : ne laissez personne rajouter de l’eau dans un pot de Farrow and Ball, ces peintures ne se diluent pas. N’utilisez pas des rouleaux à poil long, ils risquent de marquer votre mur d’un effet peau d’orange. Essayez de respecter les sous-couches Farrow and Ball car elles sont pensées pour faire ressortir la couleur du dessus. Enfin, laissez sécher au moins 24h chaque couche avant d’attaquer celle d’après. Plus c’est encore mieux. C’est le gros inconvénient : on ne peut pas se faire les deux couches dans la même journée. Quant aux tarifs, on ne peut pas dire que cette peinture soit bon marché. Mais ça coûte nettement moins cher qu’un archi et c’est un élément de distinction très puissant. Est-ce qu’on va s’en lasser ? Sans doute. Pour le moment en tous cas, on est ravi parce que ça nous ressemble… Reste à chiner des lampes, des rideaux, des tapis, des nouveaux meubles. Parce qu’évidemment, avec toutes ces jolies teintes, je ne peux plus saquer notre mobilier d’avant…D’ailleurs, je suis à la recherche de brocantes, d’adresses incontournables aux Puces de St Ouen, d’antiquaires: partagez vos bons plans dans les commentaires pleaassssse!

Photographie Lili Barbery-Coulon.
Le papier peint Miller Harris qui n’existe plus et la couleur Ammonite sur la porte du couloir

Farrow and Ball, 50 rue de l’Université, Paris 7e, Tel: 01 45 44 82 20 (il y a d’autres boutiques ou lieux de distributions en France, allez voir le site).200 euros pour 1h (ce qui donne le temps de gérer 3 ou 4 pièces environ), 300 euros pour 1h30. Après la consultation, on reçoit une super belle enveloppe avec les recommandations du consultant, l’évaluation des besoins et des coûts, ainsi qu’un bon d’achat de 60 euros pour la suite. 

Photographie Lili Barbery-Coulon: regardez je ne blague pas, j’ai numéroté tous les pots de peinture…. La magie du rangement est aussi passé par là…