Dans les coulisses du Spécial Beauté du M (la suite)

Dans les coulisses du Spécial Beauté du M (la suite)

Dans les coulisses du Spécial Beauté du M (la suite)

En novembre dernier, je suis partie au sud de l’Inde pendant une semaine, voir les champs de fleurs (jasmin sambac, jasmin grandiflorum et tubéreuse), les marchés aux fleurs ainsi que des usines d’extraction où l’on fabrique les matières premières qui entrent dans vos formules de parfum préférées. C’est l’un des voyages les plus passionnants que j’ai eu l’occasion de faire. Parce que lorsqu’on aime le parfum autant que moi, lorsqu’on cherche à décortiquer ses coulisses et ses mystères, il n’y a rien de plus enthousiasmant que de se retrouver à la source, dans les champs.

Photographies lili barbery-coulon. En haut un champ de jasmin grandiflorum, en bas, un champ de tubéreuses (celles qu’on sent dans le Carnal Flower de Frédéric Malle par exemple)

Ce weekend, dans le spécial beauté du M, vous pourrez donc lire l’enquête que m’a inspiré ce voyage. Vous l’avez sans doute remarqué : on vous parle de plus en plus de matières premières naturelles. Des champs de rose de mai à Grasse, de fleur d’oranger en Tunisie, de rose bulgare, de narcisse en Lozère ou de jasmin sambac dans le Tamil Nadu. Pendant longtemps, au contraire, la parfumerie a préféré communiquer sur la création de molécules synthétiques (calone, hedione, galaxolide, ambroxan, cahsméran…). Des muscs blancs au parfum de linge propre, des bois dépolis et nerveux, des notes ambrées ou des reproductions de santal, des senteurs de melon d’eau ou d’embruns. Ce qui m’a intéressé c’est justement de voir comment on est passé du discours sur l’innovation moléculaire dans les années 1990 et 2000 à celui des naturels et du développement durable. Parce que finalement, c’est très récent : ça ne fait que huit ou dix ans que tout le monde se réveille sur ce sujet.

Photographies lili barbery-coulon. En haut, une cueilleuse de tubéreuses, en bas, une dame amenant à la coopérative un petit sac de jasmin en attendant son billet en échange.

Le papier court sur quelques pages mais j’aurais pu en écrire trente ou quarante. Les gens qui ont changé la donne et qui se battent encore aujourd’hui pour faire en sorte que les paysans soient payés correctement, que la terre soit cultivée avec du bon sens et que les matières premières obtenues soient les plus pures possibles me fascinent. Je pense notamment à Monique Rémy que je n’ai jamais eu l’occasion de rencontrer mais dont on m’a beaucoup parlée lorsque j’ai enquêté sur ce sujet. Imaginez une femme dans un univers exclusivement masculin, à Grasse dans les années 1980. Fatiguée de voir les grassois « trafiquer » les produits de la parfumerie en coupant des concrètes de rose avec des matières moins chères, elle a décidé de casser le système en créant son propre laboratoire (LMR). Et comme, au début, personne ne voulait lui acheter ses fleurs d’une grande pureté, elle est allée les vendre directement aux marques pour leurs parfums. Et elle a fini par imposer cette qualité à tout le secteur.

Photographie lili barbery-coulon. Partout sur les routes du sud du Tamil Nadu, autour des champs, on croise des hommes et des femmes marchant avec des petits sacs de fleurs vers le marché ou la coopérative

Ce n’était pas la seule évidemment. Je ne pourrai pas citer tous les anonymes derrière Biolandes, Albert Vieille ou d’autres sociétés qui oeuvrent en silence pour défendre ce patrimoine. Aujourd’hui, enfin reconnus comme indispensables, ils ont été débauchés et placés à la tête du « sourcing » des plus grandes sociétés de parfums (chez Firmenich, IFF, Givaudan, Symrise, Robertet ou Tagasago…). Leur job : acheter les ingrédients pour la parfumerie, écouter les locaux pour mieux les comprendre, améliorer la qualité des plantes extraites en équipant les paysans des meilleurs outils, s’assurer que les conditions de vie progressent pour ne pas risquer de voir les champs abandonnés du jour au lendemain. Car l’une des grandes craintes, c’est la désertification de ces terres pour d’autres idéaux en ville.

Photographie lili barbery-coulon. Dans l’une des usines de la société Jasmine,(qui a signé une joint venture avec Firmenich en avril 2014) des machines venues de Grasse pour extraire les parfums

En Inde, je suis allée de Madurai à Coimbatore, dans les fermes et les usines… au milieu de nulle part, parfois après des heures de route sinueuse en autocar (ambiance à bord du Darjeeling). C’était magique. J’ai passé un temps précieux à discuter avec les parfumeurs sur place avec moi (Olivier Cresp, Nathalie Lorson, Christophe Raynaud). Ils étaient comme des gosses dans les champs de jasmin grandiflorum, ce jasmin grassois qui n’existe quasiment plus dans le sud de la France. A l’usine, où l’on nous a fait découvrir différentes qualités de matières premières : des jasmins encore en boutons, des mimosas dingues de beauté, des vétivers tout frais. On aurait cru que c’était Noël. Pour eux comme pour ceux qui ne connaissent rien à la formulation des parfums. Ces senteurs-là vous transportent. Elles sont déjà des parfums à elles seules. Et puis, il y a la réalité crue de cette Inde qui évolue et qui passe, comme nous, son temps au téléphone (même dans les champs). Et qui pourtant ne renonce pas au plaisir quotidien des fleurs sanctuarisées à tous les coins de rue.

Mon enquête est dans le M de ce weekend (BUY OR DIE). Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions si vous en avez. Et si vous avez aimé mon post d’hier (au moment où je l’ai mis en ligne, les vidéos n’étaient pas encore sur le site du monde), voici le film animé issu de la série dont je vous parlais hier. Merci infiniment à Bastien Coulon qui l’a réalisé et qui a signé la bande son.


Figures de style par lemondefr