ADN de la propreté
Illustration de Julien Choquart et Camille Hirigoyen pour Lili Barbery-Coulon

ADN de la propreté

ADN de la propreté
Plus puissants qu’Opium ou N°5, les parfums de lessive s’immiscent dans toutes les maisons et matraquent la mémoire olfactive dès la naissance. Comment sont-ils composés ? Quelles sont les molécules qui évoquent le linge propre ? Peut-on échapper au floral fruité musqué sur nos vêtements ? Anatomie de l’hygiène à 90 degrés.

Un phénomène récent

Elle se niche la nuit sous nos draps. Elle enlace les fibres de tous nos t-shirts. Elle se répand dans les armoires et parfois même dans une pièce toute entière. L’odeur du linge propre est sans doute la plus identifiable de toutes. Mais si on l’associe aujourd’hui aux fleurs, aux fruits et aux muscs, ça n’a pas toujours été le cas. Le premier détergent mis au point par Procter & Gamble, baptisé Tide, n’arrive sur le marché américain qu’en 1946 et on est loin de l’ajout systématique de Soupline Grand Air. Le linge propre est alors encore associé aux paillettes de savon de Marseille et à l’eau de Javel. Cependant, la révolution Soupline de 1962, largement adopté dans les années 70, va marquer l’inconscient collectif français autant que la colle blanche Cléopâtre. Mais ça sent quoi la lessive ?

 » Leader absolu, Soupline carbure en tête avec Grand Air suivi de sa version Lavande des Collines et de l’incontournable hypoallergénique Douceur et Soin » 

Chromosomes olfactifs

Si l’on est souvent capable de citer un ingrédient de son eau de toilette, difficile de décrire Ariel ou Soupline Douceur et Soin. Parmi les lessives liquides les plus vendues, on trouve Ariel Classic (un bouquet de rose, violette, œillet, fleur d’oranger avec une touche d’agrumes, d’aldéhydes, de pomme verte, de menthe et de bois), Ariel Alpine (le même, plus citronné et plus vert) et Le Chat Sensitive (une senteur florale cosmétique, rose, fruitée, baignée d’ambre et de bois de santal). Rayon poudres, Ariel est caractérisé par sa combinaison « jasmin, fleur d’oranger, pomme et bois ambré » tandis que Persil Provence décline des notes d’herbe coupée, de fleurs et de pomme. Quant à la poudre Skip, elle associe lavande, patchouli, rose, lilas et violette avec une tête fruitée. Et c’est sans compter l’ajout d’adoucissants qui modifie encore la donne. Leader absolu, Soupline carbure en tête avec Grand Air (un floral aldéhydé et fruité avec des notes vertes), sa version Lavande Des Collines entrée dans la légende, l’incontournable hypoallergénique Douceur et Soin (aussi floral que poudré), le récent Fleurs de Muguet et l’oriental gourmand Vanille et Orchidée.

 » L’essentiel est d’obtenir un parfum aussi performant à l’ouverture du flacon qu’à la sortie de la machine lorsque le linge est humide, puis lorsqu’il est sec. » 

Concentration de contraintes

Evoluant tous les trois à cinq ans, tout en restant dans la même lignée olfactive, les parfums fonctionnels collectionnent les contraintes de création. « Il faut neutraliser l’odeur épouvantable des poudres et des liquides nettoyants » explique le nez Véronique Nyberg, qui a d’abord formulé des senteurs de lessive avant d’intégrer la « Fine Fragrance » chez IFF. « L’essentiel est d’obtenir un parfum aussi performant à l’ouverture du flacon en magasin qu’à la sortie de la machine lorsque le linge est humide, puis lorsqu’il est sec » dit-elle. Trois étapes nommées « Pop, Damp, Dry » qui remplacent les « Tête, Cœur, Fond » de la parfumerie classique. Et si les nouvelles technologies d’encapsulation allongent la durée de vie du parfum sur les vêtements, elles ne résolvent pas le problème majeur : le prix ! Pas question de dépenser beaucoup d’argent ! D’où l’omniprésence d’ingrédients synthétiques bon marché et long-lasting.
 

 » Ces fragrances ont pourtant des traits communs de caractère : des tonnes de muscs, des aldéhydes, des lactones et de l’iso E super… »

 

Molécules du quotidien

Variant d’une marque à l’autre, d’un continent à l’autre (en Asie, on associe souvent l’odeur du linge propre à celle de la naphtaline), ces fragrances ont pourtant des traits communs de caractère :
       l’Iso E Super, une senteur de mine de crayon et de lin mouillé, qu’on décrit comme du cèdre qui aurait été poncé
       les Aldéhydes, connus du grand public grâce au N°5 de Chanel, elles diffusent une odeur métallique de fer à repasser brûlant, de pressing et de cire de savon
       la Vanilline, version synthétique de la vanille utilisée dans l’alimentation
       les Lactones, en particulier celles qui sentent la pêche
       l’Ambrox, une note boisée, ambrée, veloutée, légèrement animale à sentir pur dans Not A Perfume de Juliette Has A Gun
       le Sanjinol ou Bacdanol, variations synthétiques de bois de santal
       et des tonnes de Muscs « blancs », comme ceux de White Musk de Body Shop ou Original Musk de Kiehl’s

 » Plus surprenant : c’est à présent la parfumerie fine qui s’inspire des lessives et des adoucissants pour formuler ses créations de luxe. » 

Inspirations à double sens

Issue à l’origine de grands classiques comme le N°5 de Chanel, Ombre Rose de Jean-Charles Brosseau ou Amarige de Givenchy, la parfumerie fonctionnelle et en particulier les adoucissants en édition éphémère, suivent les tendances de la parfumerie fine avec attention. « Le marché est devenu plus expérimental ces dernières années, confie Aleksandra Chadzynski, Fragrance Development Manager Detergents chez IFF. On s’intéresse plus aux ingrédients qu’avant ainsi qu’à l’aromathérapie ». Alors qu’on simulait la présence de rose, de lavande, d’œillet et de violette pour évoquer la propreté dans les années 90, les années 2000 ont vu naitre un courant plus frais avec des impressions de grands bols d’air et de verdure. Plus surprenant : c’est à présent la parfumerie fine qui s’inspire des lessives et des adoucissants pour formuler ses créations de luxe. Un phénomène qu’on appelle le « Trickle Up », d’abord observé chez des petites marques comme Demeter et son parfum Laundromat, Amazing Grace de Philosophy ou plus récemment le Musc Pur de Tom Ford. Mais aussi chez Estée Lauder avec le pionnier White Linen. Les muscs blancs, l’iso E super et l’ambrox étant devenus les bases incontournables des fragrances actuelles, cette impression de propreté est omniprésente. Un sillage rassurant que tout le monde reconnaît et qui passe très bien en tests.

Alternatives de luxe

Est-on condamné à tous sentir la même odeur de propre ? Pas si l’on investit dans une lessive chic. Première à explorer ce territoire en 1997, la marque new-yorkaise Tocca propose toujours ses Laundry Washs, parfumés à l’iris, la rose, le concombre ou l’orange (£13 chez Space NK). Fidèle à son emblème, Lucien Pellat-Finet vend un Cashmere Shampoo (pour lave linge), au cannabis et à la tubéreuse, un accord signé Francis Kurkdjian qui, ne comprenant pas qu’il n’existe aucune lessive coordonnée à son adoucissant, a lancé pour sa Maison éponyme une collection aux fleurs blanches musquées sans trace de fruit (32€ 1L en vente en ligne). Conçue pour les hommes qui en ont assez d’avoir de la lavande et des bouquets du 14 juillet dans leurs dressings, la lessive Antoine décline une partition épurée de bois, d’ambre et de musc (19.90€ les 75cl aux Galeries Lafayette Montparnasse ou livrée à domicile sur Paris pour 10€ de plus). Quant à Jean Touitou, connu pour sa psychorigidité en matière de nettoyage du denim, il a demandé à Dennis Paphitis (un autre maniaque) de lui concocter la lessive A.P.C Fine Fabric Care, aux huiles essentielles de petit grain, citron et bois de cèdre, sélectionnées pour leurs senteurs et leurs vertus antiseptiques (27€ les 50cl). Dernière association branchée : le duo français du Labo a lancé avec The Laundress, expert du détergent hype, la lessive Rose 31, leur best-seller rosé-épicé-ambré-boisé. Plus chic encore, The Laundress a développé l’inodore Unscented Signature Detergent ($18 en ligne) à customiser avec une huile essentielle de son choix (les conseils ne manquent pas sur le net) ou le Rubber Incense de Frédéric Malle (75€ tout de même), une feuille de caoutchouc à l’encens à glisser sous sa pile de chemises. Autre option : mettre son nez au repos et expérimenter à nouveau l’odeur oubliée de sa propre peau…
Et vous, quelle est votre recette pour parfumer le linge ?
 
Remerciements à Thierry Audibert (Givaudan), Nicolas Beaulieu (IFF), Aleksandra Chadzynski (IFF), Judith Gross (IFF), Francis Kurkdjian, Corinne Kronemeijer (IFF), Véronique Nyberg (IFF) et Marianne Van Geijn (IFF)