Paris sans clichés
6/06/2016
Une vieille dame qui donne à manger aux pigeons, les cheveux épinglés en chignon. Un monsieur en mocassins Mephisto qui promène ses deux chiens sur le trottoir. Une terrasse de café où l’on se brûle les lèvres avec un expresso trop serré. Une cour pavée cachée derrière une grande porte cochère. Un automobiliste qui gueule « connard » à travers son pare-brise à l’attention du bus devant lui. Voilà ce que m’évoque Paris lorsque je pense à cette ville que j’aime tant. On est loin des publicités pour les parfums de luxe dans lesquelles les filles descendent les escaliers du Grand Palais en robe haute couture. Lassées par ces images d’Epinal qui ont colonisé la planète entière – au point que les Japonais pensent encore qu’ils vont trouver des serveurs souriant en tablier blanc dans toutes les brasseries de Paname – certaines marques de beauté ont décidé de rendre hommage à des quartiers moins touristiques que les Champs Elysées. Bonne Nouvelle, la nouvelle ligne cosmétique lancée par Adrien Gloaguen, créateur de l’Hotel Paradis dans le 10e arrondissement et de l’Hôtel Panache dans le 9e. Green Barbès, la marque de soins naturels à fabriquer soi même et les bougies parfumées de Kerzon dédiés à des lieux inattendus comme le Parc Monceau ou la Place des Vosges. Un courant déjà initié par quelques labels de niche comme Astier de Villatte avec ses bougies La Tournelle, Paradis Latin ou Rue Saint Honoré.
La récente sortie de toutes ces nouvelles marques m’a donné envie de comprendre ce que cette tendance racontait de notre époque. Pour répondre, j’ai commencé par demander aux trois marques brillamment photographiées et mises en scène ici par l’agence M/B (aka Marine de Bouchony et Camille de Laurens) de me parler de leurs inspirations. Déjà propriétaire de deux hôtels branchés de la rive droite, Adrien Gloaguen cherchait des produits cosmétiques à glisser dans les salles de bain de ces lieux. « Il existe évidemment de nombreuses marques mais j’avais envie de soins signés, plus personnalisés qu’une ligne déjà existante » m’a-t-il confié. Il fait alors appel à l’illustratrice Frédérique Vernillet qui imagine un pigeon voyageur en bleu, blanc et rouge pour emblème sur les flacons de savons liquides, shampooings et soins nourrissants pour le corps, baptisés Bonne Nouvelle. Les senteurs, aromatiques et florales, parfois légèrement tabacées ou juste gorgées d’agrumes sont tellement irrésistibles qu’Adrien s’est finalement décidé à déployer la distribution de ces produits à l’extérieur de ses hôtels. On pourra les trouver, à la rentrée, chez 0FR et dans d’autres points de vente (qui seront annoncés sur le site de la marque). Quant au nom qui évoque la station de métro à cheval entre les 2e et 10e arrondissements ? « C’est mon quartier, là où je vis et je travaille, dit-il. Un lieu dynamique qui fourmille d’idées et de projets. On parle toujours des Champs Elysées et de Saint Germain des Prés. Je trouvais intéressant de mettre une autre facette de Paris en avant, un Paris nouveau, optimiste et jeune. Et puis, le nom de cette station de métro est très positif. On en a besoin en ce moment ! ». La ligne Bonne Nouvelle devrait continuer à se développer dans les mois à venir, avec probablement un parfum…
Du côté de Kerzon, la jolie marque de parfums pour la maison lancée en 2013 par deux frères – Etienne et Pierre-Alexis Delaplace – Paris se découvre au fil de ses jardins. « Nous avons créé notre marque en souvenir d’une maison dans laquelle nous avons passé une grande partie de nos vacances d’été, raconte Pierre-Alexis Delaplace. Nous avons commencé par donner une nouvelle forme aux sachets de lavande que notre grand-mère déposait dans les armoires de cette demeure ». Après les pochettes parfumées composées comme de vraies fragrances élaborées et non comme des odeurs monocordes, le duo a développé la collection « Flâneries à Paris » qui s’enrichit de nouvelles bougies : Parc Monceau, une tubéreuse en hommage aux fleurs délicates de ce jardin du 17e arrondissement, Ile Saint-Louis, un vétiver racé, et Place des Vosges, une rose singulière. On trouve aussi dans cette ligne déclinée en parfum et en sachets pour le linge, les variations Tuileries-Palais Royal, Parc des Buttes Chaumont ou encore Jardin du Luxembourg. « En opposition à l’image qu’on se fait d’une grande ville grise, des voitures et du métro, Paris regorge de jardins au calme qui ont chacun leur histoire, leur caractère, leur architecture et leur végétation. C’est cette facette de Paris que nous voulons mettre en avant en choisissant des lieux dans lesquels nous avons nos habitudes. On fait de la propagande pour un Paris vert » ajoute Pierre-Alexis Delaplace, en souriant.
Green Barbès présente aussi un visage de Paris éloigné des clichés. Née de la volonté de deux amies, Clémentine Buren et Hélène Segol – respectivement consultante freelance en relations publiques et productrice exécutive de pub le jour – cette marque fait le pari d’un futur qui accueillerait la nature dans la ville. « On fantasme un Barbès qui serait au cœur de la culture des plantes » avoue Hélène Segol. Lorsque les deux parisiennes ont compris qu’il ne suffisait que de quelques ingrédients pour fabriquer une crème, elles se sont mises à concocter leurs potions naturelles dans leur cuisine la nuit. « On a commencé à se méfier des longues listes d’ingrédients sur les packagings des marques industrielles et on a expliqué à nos copines comment élaborer leurs propres cosmétiques » se souvient Hélène. Après avoir animé un grand nombre d’ateliers DIY sur ce thème, elles ont fini par mettre au point des kits avec ingrédients, formules et conseils qui permettent à n’importe quel néophyte de se faire sa crème ou son déodorant maison. « On prône le faire soi-même, l’apprentissage du bienfait de chacune des matières premières, une forme de luxe, à mon avis, mais différente… » souligne Hélène. On est loin de l’atmosphère des Champs Elysées ! Encouragées par le succès de leurs premiers kits, les deux créatrices devraient également développer des produits « prêts à porter » pour les flemmards(es) de mon espèce. Elles seront le 10 juillet chez Mirz Yoga pour un nouvel atelier.
Je trouve ces trois projets enthousiasmants et il y en aurait plein d’autres à citer dans ce courant à l’instar de la collaboration entre la marque Huygens et le café branché des Buttes Chaumont et des berges de Seine, Rosa Bonheur. Serait-on entré dans une ère marketing un peu moins lisse ? Alexandra Jubé, Responsable Insight et Digital pour le cabinet de tendances NellyRodi répond : « Beaucoup de marques se posent des questions sur la manière de réinventer le discours sur le Made in France ainsi que sur la ville de Paris. La capitale conserve un capital émotionnel important. Mais à force de le surexploiter pour tout et pour rien, par tout le monde, il perd de son fond et ne réussit plus à être différenciant. En s’inspirant d’autres quartiers, on diffuse à la fois une partie du story-telling parisien et on y ajoute des caractéristiques propres à chaque arrondissement, donc des aspérités supplémentaires à la marque ». Une manière de singulariser son message et de cibler une clientèle niche qui éprouve du plaisir à retrouver les lieux qu’elle aime sur une étiquette. Parallèlement, j’ai l’impression qu’on commence à sortir de l’esthétique plus-que-parfaite d’Instagram pour aller vers une expression moins cliché de notre quotidien (j’en ai d’ailleurs parlé la semaine dernière juste ici). « Le succès de Snapchat est l’incarnation la plus tangible de ce mouvement, confirme Alexandra. Ce réseau redéfinit les standards des filtres Instagram. Il est pris d’assaut par une nouvelle génération qui aime cette réalité brute. La mode est aussi inspirée par ce courant avec Gosha Rubchinskiy ou encore Vetements… On va chercher l’inspiration dans des références moins évidentes, plus dures, plus underground, dans de la culture de rue. » Ah ça, c’est sûr que si vous m’avez suivi sur Snapchat ce weekend (@lilibarbery) vous avez du remarquer que j’étais pas vraiment dans la version quatre épingles d’Instagram mais plutôt en « roulotte » libre (on était à deux doigts du numéro de clown…). Et d’après la papesse des tendances de demain, ce nouvel esthétisme qui touche tous les secteurs de création va-t-il s’installer ? « Oui, affirme Alexandra Jubé. Après le minimalisme ou l’esthétisme d’héritage, on est entré dans un nouveau cycle. La singularité et la culture de niche sont des valeurs très fortes actuellement, notamment pour la génération Z. On cherche de moins en moins de standards et de clichés. Ce qui ne signifie pas que seule la culture de rue va inspirer le futur. On devrait, en tous cas, sortir des références premier degré, quel que soit l’univers esthétique. » Enfin… faudra quand même attendre un peu. Parce qu’on n’est pas prêts d’échapper aux roulages de pelle sur les ponts de Paris dans les prochaines publicités parfum à la télé en septembre prochain…
J’espère que cette analyse et les photos de l’agence M/B vous ont plu. J’ai hâte d’avoir vos réactions sur la manière dont on utilise les clichés parisiens et cette nouvelle tendance de marques qui présentent un Paris atypique…
Pas de panique les gagnantes du concours Wear Lemonade, je ne vous ai pas oubliées ! Véronique Royne, Fanny Gauvin et Clotilde Frayssinet, bravo, vous avez gagné ! Je vous envoie un email pour avoir votre adresse postale. Lisa Gachet se chargera de vous envoyer votre Starter Kit as soon as possible…