Le bal des papillons mexicains
Photographe Lili Barbery-Coulon

Le bal des papillons mexicains

Le bal des papillons mexicains

Il faut que je réussisse à passer à autre chose. Il faut que la vie prenne le dessus. Il faut que je me remette à rire. Ca ne va pas être facile mais je vous promets d’essayer. Pas question cependant d’oublier. Ni de penser que la barbarie est derrière nous. Juste de reprendre des forces en se réfugiant dans la beauté.

Photographies lili barbery-coulon. L’entrée de la réserve El Rosario, en haut et en bas

En novembre dernier, on m’a proposé de partir au Mexique voir la migration des papillons monarques. Pardonnez mon ignorance mais pour être tout à fait franche, je n’avais jamais entendu parler de cette espèce et je suis allée consulter wikipedia pour voir de quoi il s’agissait. Chaque année, ces insectes parcourent des milliers de kilomètres. Ils quittent le Canada et rejoignent le Mexique où ils hibernent avant de repartir à nouveau. L’idée de pouvoir dire à mon entourage : « Non lundi, je peux pas, j’ai « migration des papillons monarques » au Mexique » suffisait à faire ma joie. J’étais d’autant plus excitée que je n’avais jusqu’alors jamais mis les pieds dans ce pays.

Photographie lili barbery-coulon

Après une nuit blanche (12 heures de vol à encaisser, un gros décalage horaire et un radio réveil qui s’est mis à sonner dans ma chambre d’hôtel pile au moment où je trouvais mon sommeil), nous avons quitté Mexico pour rejoindre la petite ville de Zitacuaro, dans la région du Michoacan. Mexico est si polluée que les jolies peintures des maisons semblent passées à la machine, toutes blanchies par ce voile permanent. Au bout d’une heure de route, on a commencé à voir des champs de maïs à perte de vue. Il faisait gris. Et il y avait une odeur de souffre très prégnante, sans doute issue des nombreuses parcelles brûlées.

Photographie lili barbery-coulon.
Ce ne sont pas des feuilles mortes accrochées aux aRbres mais des papillons par centaines de milliers

Et puis, progressivement le relief a changé. En vieillissant, je sais mieux ce qui me touche dans les paysages. Et je me rends compte que les montagnes me plaisent plus que tout. Même dans le désert texan, ce sont elles qui me fascinent en dessinant l’horizon. Idem en Cévennes ou à Big Sur en Californie. Près de Zitacuaro, on sillonne, on contourne, on grimpe et on redescend. Une fois nos valises posées à l’hôtel (dont je vous parlerai dans mon prochain post), nous sommes parties pour la réserve de papillons monarques El Rosario (il y a d’autres réserves à visiter, vous trouverez les adresses en cliquant sur el rosario).

Photographie lili barbery-coulon. Ma monture pour redescendre la montagne

Comme une conne, je n’avais pas considéré l’achat d’une paire de chaussures de marche, ni le port d’une laine polaire (faut pas déconner non plus, mieux vaut greloter plutôt que d’être habillée par Decathlon). J’avais tort. Bon, pour les pieds, une paire de baskets imperméables suffit amplement. Mais comme on est à plus de 3000 mètres d’altitude, le gilet zippé en fibre synthétique est le bienvenue. Au bout de cinq minutes de montée, j’étais déjà aussi écarlate que si je m’étais vidée un litre de vodka pomme. Au bout d’un quart d’heure, je ne répondais plus aux questions du mec de WWF qui venait de lancer un débat sur la protection de la planète. Au bout de 20 minutes, j’avais l’air aussi débile qu’Arthur chez les Queshuas.

Photographie lili barbery-coulon.
Les ballons un lendemain de fête

Et puis, on est arrivé. Je n’ai pas vu le spectacle des papillons tourbillonnant dans le ciel comme vous le verrez sans doute sur Youtube. C’est le jeu. Je l’ai raconté dans l’article que j’ai écrit pour le quotidien Le Monde, paru la semaine passée. A la place, j’ai découvert des milliers de papillons agglutinés les uns aux autres, ailes fermées, sur les grands pins menacés de la région. J’ai eu beau faire quelques blagues du genre « euh et si je claque dans mes mains très fort, ils vont bien bouger?« . Mais les éco-touristes et les chercheurs autour de moi m’ont regardée avec désolation. J’ai pris quelques photos de tricheuse, celles que vous voyez dans cet article. Ces papillons, au sol, ne tiendront pas l’hiver. Ils sont tombés de l’arbre et meurent gentiment devant mon objectif. C’était cependant très émouvant d’assister à ce drôle de spectacle. D’autant plus qu’on ne sait pas s’il sera toujours possible de le découvrir dans deux décennies, puisque les papillons arrivent chaque année de moins en moins nombreux au Mexique (ils meurent à cause des pesticides qui les empoisonnent sur leur chemin).

Photographies lili barbery-coulon.
Dans un village à côté d’une pépinière

Je suis redescendue à cheval (une option à choisir absolument, ne serait-ce que pour fredonner bêtement « elle descend de la montagne à cheval… ». C’était magique. Ensuite, l’équipe de WWF nous a présentée une première pépinière. Un lieu où l’on propose aux paysans des jeunes arbres qui seront ensuite replantés gratuitement dans cette zone qui se répare progressivement de la déforestation illégale. Ces arbres sont évidemment utiles aux papillons, dépendant du micro climat de ces forêts. Mais ils sont surtout essentiels au filtrage de l’eau qui sera ensuite utilisée un peu plus au Nord, dans la capitale de Mexico.

Photographie lili barbery-coulon. Mais où est Charlie? Si vous regardez bien, vous me verrez apparaitre dans cette photo. 

Le lendemain, on s’est rendu dans d’autres villages dans les hauteurs montagneuses. La veille, on avait célébré la Vierge Marie un peu partout. Il restait des ballons et des fleurs fanées. On sentait la ferveur des enfants, enthousiasmés par cette fête d’avant Noël. On s’est promené sur des routes, au bord de baraques colorées faites de planches de récup’ et de morceaux de parpaing. On a visité une scierie (encore un projet de WWF qui offre ainsi les moyens aux locaux de gagner de l’argent en coupant le bois arrivé à maturité) puis on s’est rendu dans une autre pépinière sur un plateau terrassé. Celle-ci comptait de nombreux arbres financés par la fondation Yves Rocher qui investit partout dans le monde en faveur de la reforestation. Mais surtout une nursery à champignons. Je n’avais jamais vu ça. Une fabrique de robes Issey Miyake en plein Mexique. Quelle beauté.

Photographie lili barbery-coulon.
Les champignons Pleats Please

On a mangé avec ces agriculteurs. J’ai tellement regretté de ne pas parler l’espagnol. Quelle connerie d’avoir choisi l’allemand dont il ne me reste rien en dehors de la liste des particules inséparables. Allez faire une conversation avec « zer » « be » « er » « ge » « miss » « ent » « emp » « ver »…

Photographie lili barbery-coulon. Dans la pépinière, j’ai croisé des hommes fiers de replanter leurs forêts

Malgré tout, j’ai compris une chose. Les papillons, pour eux, ça compte plus qu’un peu. D’abord parce qu’ils symbolisent la région où ils sont nés. Mais surtout parce que sans eux, il n’y a pas de touristes. Bien plus que le maïs qui ne pousse pas dans ce coin où la terre résiste, le tourisme a un impact fort sur leur économie. Alors, si vous allez au Mexique, passez par Zitacuaro. Ne serait-ce que pour tenter de voir ces papillons en plein vol. En février, lorsqu’il fait bien chaud et que le soleil perce les aiguilles des conifères, ces insectes orangés se lancent dans un ballet ahurissant, avec un chuchotement de milliers de battements d’ailes que vous n’oublierez jamais. Demain, je vous parle de l’hôtel irrésistible où vous pourrez séjourner.

Photographie lili barbery-coulon. On dirait des rizières. Il s’agit d’arbres en devenir.