Tout savoir à propos des agrumes
Photographie Géraldine Couvreur

Tout savoir à propos des agrumes

Tout savoir à propos des agrumes

Retour sur l’après-midi délicieuse passée à l’Hôtel Hoxton à sentir des agrumes à l’aveugle avec Sylvie Ganter, co-fondatrice de la marque de parfums Atelier Cologne

Je ne vous ai pas tout dit lorsque j’ai lancé la nouvelle version de mon blog le 31 janvier dernier. Refondre cet espace d’expression n’a pas été le seul projet qui m’a occupé ces derniers mois. J’ai tellement hâte de vous parler de ce qui se trame en silence et en secret depuis septembre 2017. Je n’en peux plus d’attendre ! D’autant que ça continue à occuper une grande partie de mes journées et que cela m’empêche d’être concentrée uniquement sur le blog. Patience, encore quelques semaines et je n’aurai plus de secret pour vous.

Photographie lili barbery-coulon

Distinguer les agrumes

En attendant, je voulais partager avec vous le joli moment que nous avons passé à l’Hôtel Hoxton avec Sylvie Ganter, la co-fondatrice de la marque de parfums Atelier Cologne. Souvenez-vous, j’ai organisé tout début février 2018 un atelier olfactif autour des agrumes. L’occasion d’apprendre à distinguer à l’aveugle les différences entre une mandarine verte et une orange sanguine, un citron et une bergamote… J’ai appris à sentir avec Jean Guichard, un immense parfumeur (Loulou de Cacharel, Obsession de Calvin Klein, Parfum de Peau de Montana…) qui a dirigé l’école de parfumerie Givaudan dès le début des années 2000 jusqu’à son départ à la retraite. Il m’a accueillie un mercredi sur deux pendant des mois alors que je venais de commencer à travailler pour le magazine Vogue. J’adorais ces rendez-vous à Argenteuil où l’on flaire l’usine Givaudan à l’approche de la rue de la Voie des Bans. Là, les mélanges d’effluves synthétiques et naturels imprègnent chaque centimètre cube de l’atmosphère. J’aurais adoré prolonger cette formation aménagée rien que pour moi mais j’ai manqué de temps lorsque, plus tard, ma fille est née. Puis d’autres projets ont vu le jour, comme ce blog que vous lisez et j’ai manqué de temps pour retourner régulièrement à Argenteuil… En tous cas, je n’oublierai jamais la méthode avec laquelle il m’a appris à sentir et dont je vous ai probablement déjà parlé sur le blog ou dans mes stories sur Instagram. Lorsqu’on ne dispose d’aucun indice pour déterminer une matière première, on utilise des grilles, un peu comme des tableaux à double entrée. Cette méthode inventée par le parfumeur Jean Carles classifie les matières naturelles par familles (les agrumes, les fleurs blanches, les épices, les notes aromatiques, les bois, les baumes…) et selon leur temps d’évaporation ainsi que leur fonction (notes de tête, notes de cœur, notes de fond…). Lorsqu’on nous met une mouillette sous le nez, on essaie d’abord de trouver à quelle famille elle appartient. Est ce que c’est floral ? Est ce que c’est épicé, boisé, astringent ? Est-ce que c’est frais, entêtant, lourd, léger, opulent, poudré, duveteux, fusant ? Une fois qu’on a trouvé la famille, il faut ensuite réussir à distinguer la matière. Mais il existe un jeu bien plus intéressant.

Photographies Géraldine Couvreur. Sylvie Ganter (à gauche) et moi en train de préparer l’atelier. En haut: la jolie table avec les jus Wild and The Moon et le matériel olfactif

L’apprentissage du lâcher-prise à travers l’olfaction

Jean Guichard m’a tout de suite demandé de ne pas me laisser piéger par l’envie de trouver le nom de la matière. Ce besoin de baptiser l’ingrédient nous fait souvent passer à côté des images qui viennent naturellement à la surface du cerveau et qu’on se prive d’observer. Les parfumeurs qui ont appris leur métier avec cette méthode ont presque tous un carnet sans lequel ils notent leurs premières impressions lorsqu’ils sentent une matière pour la première fois (puis un accord ou un parfum). Parfois, les appréciations sont nébuleuses et scientifiques avec des noms de matières synthétiques mais souvent on peut lire : « serpillère humide », « gymnase », « terre battue un jour de canicule », « muguet avec une note chaussette sale »… Ces images ne mentent pas. Elles nous appartiennent. Elles sont riches. Elles dessinent une voie royale vers nos souvenirs les plus anciens. Ce serait dommage de passer à côté sous prétexte de vouloir donner la bonne réponse. Malheureusement l’exercice est bien plus difficile qu’il n’y paraît… Accepter de perdre ses repères et prendre le risque de faire une erreur ou même un contresens n’est pas si simple.

Photographies Géraldine Couvreur

Ecorces de fraîcheur

Sylvie Ganter et son équipe avaient préparé dix matières premières naturelles dans de petites fioles numérotées. Sur les dix, je n’ai eu aucun mal à identifier six d’entre elles. Mais pour les quatre autres, c’était nettement plus difficile. Un carnet à la main, on a senti en silence chaque ingrédient en prenant soin de noter nos impressions, les évocations. Certains ont des tonalités plus fruitées, d’autres plus acides. Il y a des agrumes qui sentent le liquide vaisselle, d’autres la crème à récurer (la nuance est subtile), des écorces qui sentent les produits pour bébé, la tarte au citron meringuée ou les cols de chemises bien repassées. Sylvie a un peu triché car elle a planqué dans le lot un absolu fleur d’oranger, c’est à dire une extraction aux solvants de la fleur du bigaradier (l’arbre à oranges amères), qui n’est pas habituellement classée parmi les agrumes. Elle sortait vraiment du lot et tout le monde l’a remarquée. Ca nous a aidés ! Ces agrumes sont utilisés dans la quasi totalité des parfums, même en sourdine. Ils permettent d’apporter beaucoup de fraicheur et constituent le socle de toutes les Colognes traditionnelles. Le problème est qu’ils sont très volatiles et s’évanouissent rapidement sur la peau. Du coup, si on veut construire un parfum autour des agrumes, on est obligé de les agripper à une colonne vertébrale qui va maintenir toute la construction en place. C’est aussi pour cette raison que vous êtes nombreu.x.ses à vous plaindre de la fugacité des parfums frais qui disparaissent trop vite sur votre peau ou bien qui se métamorphosent en senteurs boisées ou musquées trop rapidement. Impossible par exemple de conserver l’amertume naturelle du pamplemousse. Ca sent « amer » quelques secondes et très vite ça sent juste l’orange. Les parfumeurs disposent cependant de matières de synthèse qui vont leur permettre de simuler l’amertume qu’ils n’arrivent pas à faire tenir ou d’accompagner la fraîcheur des agrumes plus longtemps. D’où l’importance des ingrédients synthétiques que certain.e.s d’entre vous rejettent alors qu’ils sont bien souvent au service du naturel (je ne parle pas ici des molécules de synthèse qui viennent remplacer les agrumes naturels par manque de budget, c’est une autre histoire : il s’agit alors de profiter de l’ignorance du consommateur pour lui refourguer un produit médiocre…). Petit tour d’horizon de ce que nous avons découvert au cours de l’atelier :

Photographie Géraldine Couvreur en haut, Photographie Lili Barbery-Coulon en bas

Bergamote

Hybride du citronnier et du bigaradier, la bergamote est l’agrume qui parfume le thé Earl Grey et les « Bergamotes de Nancy ». Quand j’ai l’impression que ça sent le thé, en général, c’est que je sens une bergamote. Pour obtenir son huile essentielle comme pour la plupart des agrumes, on épluche sa peau (en retirant la pulpe dont on ne fait rien en parfumerie) et on la presse à froid. C’est un ingrédient très important car lorsqu’on le sent avec une mouillette trempée dans la vanille, on a le squelette de Shalimar de Guerlain qui apparaît. Et toute la famille des orientaux qui fonctionnent toujours sur la base d’un accord agrumes en tête et baume onctueux en fond.

Pomelo

Le pomelo est un fruit hybride issu du croisement entre le pamplemoussier et l’oranger. En gros, c’est un pamplemousse sans pépins. L’amertume en tête disparaît très vite. Et je trouve que ça a aussi une légère note de soufre… Et un peu de pressing aussi…

Clémentine

Facile de reconnaître une clémentine à côté d’un citron. Mais distinguer la clémentine d’une mandarine, c’est déjà beaucoup plus compliquée à l’aveugle. Elle est plus fruitée que les autres agrumes, plus sucrée, plus bonbon. L’indice qui me guide c’est « est-ce que ça sent le bonbon ? » alors, c’est sans doute de la clémentine.

Cédrat

Le cédrat ressemble à un énorme citron bosselé. Il n’a presque pas de pulpe, c’est d’ailleurs sa peau blanche épaisse qu’on découpe et qu’on mange en Italie. Il a une senteur très particulière et peut évoquer à ceux qui la connaissent la cédratine, une liqueur de cédrat qu’on boit en Corse. Je trouve qu’il y a aussi un petit côté médicament mais ça n’évoque pas ça à tout le monde.

Fleur d’oranger

Bon ben, c’est pas un agrume ! C’est une fleur ! Vous connaissez probablement son parfum si vous avez déjà eu l’occasion d’aller dans les pays chauds au printemps : son parfum embaume, c’est une merveille. Lorsqu’elle est distillée à la vapeur, elle devient une huile essentielle de néroli. Lorsqu’on l’extrait aux solvants, ça donne de l’absolu fleur d’oranger qui a beaucoup de points communs avec le jasmin sambac. Le néroli est utilisé dans de nombreuses pâtisseries orientales ainsi que dans les madeleines. L’absolu fleur d’oranger est beaucoup plus voluptueuse, voire opulente. Pour moi, c’est LA senteur qui domine les années 2005-2015… même si je ne suis pas historienne du parfum. Qu’en dis-tu Elisabeth de Feydeau ?

Orange amère ou bigarade

L’orange amère est le fruit du bigardier. Pour la manger, il faut la confire dans du sucre et la transformer en marmelade anglaise. C’est mon agrume préféré sur le plan olfactif. Je l’adore, elle est racée, élégante, altière. Un parfum qui en contient de grandes quantités a de fortes chances de me plaire.

Citron

Vous connaissez bien évidemment le parfum du citron. Celui qui relève les salades, réveille les poissons ou purifie notre foie au réveil dans de l’eau tiède. Pourtant lorsqu’on sent son huile essentielle à l’aveugle, on pense plutôt au liquide vaisselle et aux produits ménagers. Jean Guichard m’avait raconté que cette évocation hygiéniste l’avait même écarté pendant un temps de la parfumerie parce qu’il était trop connoté à Monsieur Propre. Et puis, il y a eu CK One de Calvin Klein sorti dans les années 90 qui a tout bouleversé. Ce parfum très citronné a eu un tel succès qu’il a réussi à charger positivement les connotations olfactives de l’agrume. Vous voyez comme notre nez est soumis aux modes de consommation…

Mandarine verte

C’est l’un des ingrédients que j’ai eu le plus de mal à reconnaître à l’aveugle. Lorsqu’on récolte ce fruit encore vert, l’écorce a de légères inflexions vertes, mais ce n’est pas non plus flagrant. En revanche, si vous avez une essence de clémentine et une essence de mandarine verte sous le nez, vous risquez de faire aisément la différence.

Limette

On l’imagine souvent verte parce qu’elle fait penser au parfum du citron vert pourtant ce fruit est jaune pâle. En général, elle évoque les sodas au cola et les bonbons acidulés. Moi, je me plante à tous les coups lorsqu’elle est noyée au milieu de plein d’agrumes, je l’avoue.

Orange sanguine

On dit qu’elle est un peu plus acide et un peu plus intense qu’une orange douce et classique. Reste à faire la différence avec une orange bigarade, pas toujours facile. En tous cas, son nom est très évocateur même si, comme vous l’aurez compris, on n’utilise pas du tout sa pulpe pourpre pour obtenir son huile essentielle.

Photographies Géraldine Couvreur. La personnalisation des fourreaux en cuir des Colognes

Colognes personnalisées

Après l’exercice olfactif, on s’est jeté sur les pâtisseries hespéridées préparées spécialement pour nous par le chef du Hoxton (tartelettes au citron, cakes au citron vert, bouchées au chocolat blanc et orange sanguine) et siroté les jus frais aux agrumes de Wild and The Moon (Moon River – Skinny Boost, The Tiger Everlasting Stamina). Et puis, les participants ont tous pu choisir la Cologne qui leur plaisait le plus dans la collection Joie de Vivre d’Atelier Cologne : Clémentine California, Pomelo Paradis, Orange Sanguine (mon préféré), Bergamote Soleil et Cédrat Enivrant. C’est Clémentine California qui a eu le plus de succès, la grande majorité a choisi cette Cologne, sans doute la plus androgyne de la collection. En prime, chaque fourreau en cuir a été marqué à chaud, en live par Antoine, du prénom ou du mot choisi par chaque participante. Un service offert à tous les clients d’Atelier Cologne (la liste des trois adresses à Paris ainsi que les autres boutiques à travers le monde est juste ici).

Photographies Géraldine Couvreur

Les agrumes de Terroirs d’Avenir

On va sortir de la belle saison des agrumes pour entrer avec joie dans les heures douces du printemps, ma saison préférée. Mais lorsque vous cherchez des agrumes pour enrichir vos assiettes ou vos plats, je vous recommande vivement d’aller chez Terroirs d’Avenir. C’est dans cette épicerie au 7 rue du Nil à Paris que j’ai trouvé la plupart des agrumes installés sur notre grande table. Ils ont les plus belles bergamotes de Calabre, les clémentines corses, mais aussi les pomelos roses. Vous y trouverez aussi les mandarines, les citrons, les oranges sanguines, les cédrats de Sicile et de Kalamata en Grèce, d’autres terroirs réputés de l’agrumiculture. Et puis, ils distribuent aussi la collection incroyable de Bachès, un producteur français installé dans le Sud qui cultive les kumquats, les limequats, le yuzu, le citron Meyer, le rough lemon, le key lime, le citron doux et le citron rouge, la main de Bouddha (pour laquelle j’ai une passion !), le sudachi, le kalamantsi, le citron caviar… Autant de trésors qui suffisent à mettre du génie dans un plat. En plus, les vendeurs ont toujours de bonnes idées de recettes. Vous apprendrez ainsi que le citron Meyer est le meilleur pour la tarte au citron, que la main de bouddha fait merveille sur des carpaccios de poisson, qu’un jus de limequat téléporte n’importe quel ceviche sur un Everest de sensations… MIAM j’ai faim !

Photographies Géraldine Couvreur

Merci à Géraldine Couvreur et à Marie Mouillon pour leur aide précieuse et merci infiniment à Sylvie Ganter pour sa confiance. Je suis toujours heureuse d’organiser ces rendez-vous sur mesure lors desquels j’ai la joie de vous rencontrer. Quel plaisir et quelle chance d’avoir un lectorat aussi inspirant et cultivé que vous l’êtes ! Je suis en train de vous concocter de nouvelles surprises qui devraient voir le jour très bientôt… J’espère qu’elles vous plairont !

Photographies Géraldine Couvreur. Regardez moi ces têtes de premières de la classe 🙂 N’empêche qu’on a travaillé très sérieusement cet après-midi là. Et en s’amusant! Double pleasure!