En backstage avec Peter Philips
Photographie Lili Barbery-Coulon. Bella Hadid

En backstage avec Peter Philips

En backstage avec Peter Philips

Il y a longtemps, quand je travaillais pour le magazine Vogue, j’allais souvent backstage pendant les semaines de la mode, c’est à dire dans les coulisses des défilés. Lorsque j’étais à M, comme il n’y avait pas de rubrique dédiée, je n’ai pas eu beaucoup l’occasion d’y aller. J’adore l’effervescence de ces laboratoires où l’on donne le ton des tendances de demain. Pourtant, je ne m’y sens jamais vraiment à ma place. D’abord parce que je ne suis ni maquilleuse ni coiffeuse ni manucure et que je gêne ces équipes à l’œuvre plus que je ne les aide. Ensuite parce que je ne suis pas une « vraie » photographe et que je dois me frayer un chemin au milieu de pointures reconnues qui ont parfois un ou deux assistants pour les épauler. Enfin, parce qu’au bout de 20 minutes passées avec une vingtaine – parfois plus – de créatures filiformes, mon œil s’habitue à leur silhouette comme s’il s’agissait d’une norme et j’ai le sentiment d’être un baleineau échoué sur une plage raffinée.

Photographies Lili Barbery-Coulon. Le plus difficile en backstage: se frayer un chemin pour faire une photo. Sur les tables hier, toute une quincaillerie de produits Dior

Malgré tous mes complexes, j’étais ravie que la Maison Dior m’ouvre les portes des backstages du défilé Dior Couture Automne Hiver 2016 qui a eu lieu hier après midi. Peter Philips, dont je vous ai déjà parlé ici et , est en charge de l’image et de la création du maquillage pour la marque depuis 2014. Il ne le sait pas, mais c’est l’un des premiers make-up artistes que j’ai interviewé dans ma carrière de journaliste. C’était il y a treize ans. Le milieu de la mode l’adulait déjà. Je ne vais pas vous faire sa bio, il suffit de taper son nom sur Google pour voir l’étendue de son inventivité. Je peux cependant vous dire que c’est l’un des maquilleurs qui m’impressionne le plus. Il est tellement précis. Qu’il s’agisse d’une ombre posée en halo ou d’un sourcil recouvert de strass, d’un message manuscrit sur la paupière ou d’un eyeliner graphique, le résultat est toujours impeccable. Je le soupçonne d’être un poil monomaniaque ☺ !

Photographie Lili Barbery-Coulon. Peter Philips en plein interview devant une dizaines de photographes et de caméramen. Normal quoi…

Hier, après avoir maquillé Bella Hadid, l’égérie maison, devant une horde de photographes, il a accepté de répondre à quelques questions au sujet du look créé spécialement pour le défilé haute couture. Enjoy…

Photographie Lili Barbery-Coulon. C’est elle Bella Hadid

Dans tes backstages, je suis toujours impressionnée par le calme que tu réussis à imposer aux équipes. Comment fais-tu pour échapper à l’hystérie ?
Peter Philips : C’est juste une question de préparation. Je suis venu hier pour préparer toutes les tables afin que chaque membre de l’équipe – 21 ou 22 maquilleurs – ait le bon produit à portée de main. Et puis, certains de mes assistants travaillent avec moi depuis quinze ans. Comme on se connaît bien, on se comprend vite.

Photographies Lili Barbery-Coulon. En haut l’une des versions noires (regardez la géométrie, c’est archi difficile à faire chez soi) et en bas Jing Wen qu’on avait photographiée pour le M, la tête dans les bonbons

Je voudrais que mes lecteurs comprennent comment ça fonctionne : j’ai vu le board de photos avec les looks que tu as créés pour ce défilé. Tu donnes ces images avec une guideline et chacun doit reproduire les mêmes looks ?
Peter Philips : La difficulté aujourd’hui consistait à réaliser moi même tous les yeux car c’était important qu’on sente la même main, la même signature sur les visages. D’autant que tous les eyeliners ne sont pas posés de manière systématique mais adaptés à la morphologie de chaque modèle. Certains ont une queue ailée vers le haut, d’autres sont plus épais en bas ou carrément droits. Du coup, pour gagner du temps, j’ai maquillé tous les yeux droits et mon équipe a ainsi pu reproduire la même chose à gauche. C’était essentiel de procéder de cette manière parce que chaque maquilleur a sa propre conception de la pose de l’eyeliner. Et puis, adapter son regard à chaque morphologie c’est à mon sens très proche de ce que doit être la haute couture : du sur mesure.

Photographie Lili Barbery-Coulon

Je t’ai déjà vu à l’œuvre quand tu fais ce genre d’œil graphique hyper compliqué et j’ai remarqué que tu demandes sans arrêt aux mannequins de te regarder droit dans les yeux, pourquoi ?
Peter Philips : Quand les filles défilent, elles regardent droit devant elles, du coup, la ligne doit paraître parfaitement dessinée les yeux ouverts. Le problème est que le visage n’est pas une toile plane, il faut sans cesse tricher pour donner l’illusion optique que le trait est droit. Mon conseil quand on s’applique un liner, c’est justement de bien se regarder les yeux ouverts et d’éviter de le poser sur des yeux fermés. Le seul moment où l’on peut se permettre d’orienter différemment son visage devant le miroir c’est lorsqu’on finit la courbe de l’eyeliner vers le sourcil. Là, on peut se mettre légèrement de profil.

Photographie Lili Barbery-Coulon. Le coton tige, meilleur alié de la pose de l’eyeliner!

J’ai vu quatre filles avec un eyeliner doré. Le résultat est très doux, beaucoup plus « portable » que ce que j’aurais imaginé…
Peter Philips : C’est une respiration au milieu du défilé. En fait la plupart des pièces de la collection sont noires et blanches avec des éléments de broderie en or. Et c’est vrai que le résultat est doux car la teinte est assez proche d’une carnation caucasienne. Le problème avec l’or c’est de ne pas tomber dans la caricature égyptienne ou dans la déesse grecque. Du coup, le choix des vêtements pour ces looks est capital. Il fallait que ces modèles avec les yeux dorés portent des pièces assez simples. Et même si la forme est graphique, avec l’or, on n’arrive pas à déterminer les contours, ça renforce cette impression de douceur. Avec le noir, en revanche, c’est tout l’inverse.

Photographies Lili Barbery-Coulon

Du coup, les lèvres et le teint restent assez neutres ?
Peter Philips : Oui, j’ai utilisé le lip glow pomade sur les lèvres juste pour les hydrater sans les rendre glossy. Il n’y a pas de blush, pas de contouring, un peu de fond de teint. Je voulais vraiment qu’on focalise son attention sur le regard et que le reste de la peau reste une toile nue. J’ai accentué un peu les sourcils. Il y a, de loin, une forme légèrement issue des années 1950 que j’ai estompée ensuite. S’ils avaient été encore plus travaillés, ça aurait complètement changé la perception de l’eyeliner. Tout est une question d’équilibre.

Photographies Lili Barbery-Coulon

Sur les yeux, Peter a utilisé le Diorshow Artpen Catwalk Black et le Diorshow Pro-Liner Pro Black n°092 pour réaliser les yeux ailés de noir. Et le Dior Addict Fluid Shadow Phenix pour les yeux dorés. Si vous me suivez sur Snapchat (@lilibarbery), ma story d’hier est encore en ligne pour quelques heures. Librement inspirée par ces looks, j’ai tenté d’appliquer les conseils de Peter in situ. Ben c’est pas gagné ! J’espère que cette plongée dans les coulisses des défilés vous a plu. Moi, ça m’a donné envie d’y remettre les pieds plus souvent.

Photographie Lili Barbery-Coulon. « It’s couture baby » donc tous ceux qui sont autorisés à aller sur le podium marchent avec les mêmes chaussons que ceux qu’on donne en milieu stérile