Se réconcilier avec la mort

Se réconcilier avec la mort

Se réconcilier avec la mort

A l’aide de quelques récits récents qui ne semblaient pas me concerner directement, je me suis mise à m’interroger sur mon rapport à la mort. Peur de mourir ou peur de rater sa vie. Sensation de manque des êtres disparus et deuil de nos proches. Peut-on se réconcilier avec la mort?

Depuis deux semaines, je croise des personnes endeuillées par la disparition brutale de l’un de leurs proches. Des êtres adorés retrouvés morts au réveil sans raison. D’autres partis dans un accident ou un incendie. Sans préavis. Ni testament. Embolie pulmonaire. Accident vasculaire cérébral. Chauffard sur la route. Chute aussi banale que fatale. Interruptions non volontaires de grossesse. Au premier récit, j’ai été attentive sans tirer de conclusion. Au second, quelques jours plus tard, j’ai été étonnée par l’écho qui résonnait avec la première histoire. Au troisième, j’ai évidemment identifié la répétition. Avant de faire de la méditation quotidiennement, j’aurais probablement tiré une généralité de ces anecdotes du genre « C’est fou, quel hasard incroyable, la période est vraiment difficile, que se passe-t-il en ce moment qui puisse expliquer autant de décès soudains ? ». J’aurais cherché des explications à l’extérieur de moi. Or, même si c’est toujours mon première reflexe, la pratique spirituelle me conduit à voir les choses autrement.

Désormais, je prends le temps, à travers la méditation, le yoga et l’écriture régulière de mes pensées, de regarder ce qui me traverse – émotions, analyses mentales, sensations physiques – mais aussi ce qui m’arrive dans la « vraie vie », dans le monde que je perçois avec mes cinq sens en trois dimensions comme s’il s’agissait d’un film projeté sur un écran. « You create your own reality » est une phrase qu’on répète souvent en yoga. La méditation me permet de prendre de la distance et de regarder le film de ma vie en me demandant : « Tiens, qu’ai-je mis cette fois dans mon histoire ? Quels personnages ai-je fait entrer dans mon scénario ? Quelles situations ai-je créées et quelles réactions provoquent-elles chez moi ? ». Un peu comme dans le film Matrix : il y a la réalité artificielle que propose la matrice, dans laquelle on peut, par la puissance de la pensée, se battre à toute vitesse, changer de décor, sauter d’un immeuble à l’autre, éviter l’impact des balles… Et le poste d’observation dans le vaisseau où la réalité est tout à fait différente : les personnages y évoluent en haillons et doivent manger une bouillie sans goût pour s’alimenter.

Soleil d’automne en Cévennes. Photographie Lili Barbery-Coulon

A quoi ressemble notre vaisseau lorsqu’on médite ? Où se situe notre poste d’observation ? Dans mes cours de kundalini yoga, j’utilise souvent l’image d’un grand bassin rempli de nageurs. Ces baigneurs représentent les messages que nous recevons constamment, bien souvent sans même nous en rendre compte. Des émotions que l’on juge positives ou négatives. Des douleurs perçues dans le corps physique. Des pensées qui vagabondent par milliers. Il y a des nageurs de crawl déterminés à aller le plus vite possible jusqu’au bout du bassin. Des amateurs de brasse coulée qui éclaboussent leur entourage en sortant la tête de l’eau. Ceux qui poussent des cris en sautant comme une bombe dans la piscine. D’autres qui s’amusent à toucher le fond en retenant l’air dans leurs poumons pleins. Tous sont en mouvement permanent. Même lorsqu’ils paraissent immobiles, les nageurs continuent à agiter leurs jambes sous l’eau pour rester à la surface. Lorsqu’on médite, on se tient en haut du plongeoir à la place du maître-nageur. On regarde sereinement tout ce qui se déroule dans la piscine. On observe. Si l’on venait à sauter sur le dos d’un nageur en nous accrochant à une pensée ou à une expérience passée on le ferait probablement couler et on boirait la tasse au passage avec lui. Donc on se contente d’observer sans entrer dans l’eau ni s’attacher à une pensée ou une sensation plutôt qu’à une autre. Plus on développe notre capacité à observer, plus on prend de la hauteur, plus on est capable d’identifier les répétitions, les messages et les dénouements possibles dans les situations où l’on se croyait pris au piège.

Dans cet espace d’observation, on ne semble plus soumis à la pression du temps ni à la géographie. Cette notion peut paraitre étrange tant qu’on n’en a pas fait l’expérience. Incompréhensible même. C’est normal que la partie rationnelle de notre cerveau ne puisse pas comprendre. Néanmoins, si on s’entraîne à occuper pleinement cette zone d’observation, on sait qu’on peut s’y ressourcer et y regarder le film de sa vie avec beaucoup plus de discernement. D’humour. Et en tirer les enseignements qui vont nous permettre d’échapper aux répétitions.

Ce n’est pas parce que j’utilise ces outils que j’arrive toujours à faire preuve de clairvoyance. J’ai toujours une partie de moi – ultra puissante – qui ne veut pas être tenue responsable de ce qui m’arrive et qui hurle « J’ai raison, les autres ont tort » ou bien « Ce n’est pas moi, c’est les autres ». Dans le cas précis du récit des personnes que j’ai croisées et qui m’ont parlé de leurs disparus, mon premier réflexe a été de consulter les sites d’astrologues que j’apprécie. Vous avez remarqué comme tout le monde a pris l’habitude d’incriminer la pleine lune, la nouvelle lune, la rétrogradation de Mercure ou la pression de Pluton dès qu’une tuile nous « tombe » dessus ?  « Ça ne peut pas venir de moi ! c’est forcément astral ! » me suis-je également écriée mentalement plutôt que de me questionner sur ce que ces récits provoquaient en moi. Grosse satisfaction de mon mental lorsque j’ai lu que la période était particulièrement difficile et qu’on avait intérêt à bien s’accrocher jusqu’à la fin du mois d’octobre. Je tenais là l’explication idéale : l’énergie invisible des planètes qui nous mettent à l’épreuve… Une autre pensée m’a traversée pour m’éloigner d’une quelconque introspection : la mort fait partie de la vie. Qu’on la trouve juste ou non, qu’elle arrive avec ou sans préméditation, elle fait partie de l’existence. Pourquoi s’en étonner ?

Photographie Lili Barbery-Coulon

Et puis, j’ai continué à cheminer sur mon tapis. Je ne cherchais pas à trouver une réponse particulière. J’ai simplement continué à observer ce qui était. Je me suis aperçue que je portais une légère tristesse la semaine dernière dont je ne comprenais pas la source. Pas un grand chagrin. Une mélancolie subtile mais présente. Je me sentais un peu « plombée » sans savoir d’où venait ce métal froid qui me lestait. Et puis, à force de méditer, je me suis rendue compte que cette histoire de « décès » à répétition n’était pas aussi neutre que je le pensais. Nous venons d’entrer dans la saison de l’automne. Une période durant laquelle les arbres se détachent de leurs feuilles roussies par l’été et nous invitent également à nous défaire de ce qui n’est plus. A quoi nous accrochons-nous encore qui nous empêche d’avancer ? Que refusons-nous de laisser partir ? C’est la question latente que la nature nous pose. En prime, depuis l’équinoxe, la nuit vient grignoter la durée du jour, mettant en lumière nos profondeurs, nos fragilités et tout ce qu’on avait scrupuleusement glissé sous le tapis, parfois sans le réaliser. A la fin du mois, on célèbrera les morts avec la fête de la Toussaint mais aussi, de manière plus festive chez les anglophones, Halloween. Chez les sorcières qui célèbrent Samhain le 31 octobre, on dit que la frontière entre le monde des vivants et celui des morts est plus fine cette nuit-là. Il se trouve qu’à la fin du mois, cela fera précisément trente ans cette année que mon père est mort. Ca n’est pas rien. Au cas où je n’aurais pas encore compris l’importance de cette date anniversaire, j’ai découvert, par hasard aujourd’hui,  le compte Instagram d’une amie yogi qui a choisi de s’appeler Ephémère 1989. J’ai souri, jugeant l’Univers comme ma psyché drôlement blagueurs.

Par ailleurs, j’ai choisi de partir, au lendemain de cette date clé, en formation (toujours dans le cadre du deuxième cycle de mes études de l’enseignement du kundalini yoga) pour un nouveau module qui interroge notre relation à… « la mort ». Ce n’est pas le seul point que nous allons aborder au cours de cette formation mais pour rire, dans le groupe whatsapp qui réunit les profs avec lesquels je continue à me former, on a rebaptisé le module. On l’appelle désormais la « semaine de la mort ». Une de mes copines yogis qui y participe nous a informé qu’elle venait de s’inscrire sur la liste des donneurs d’organes. Fou rire de tous les membres du groupe. Beaucoup plus humblement, en voulant changer le mot de passe d’accès à mon compte Facebook, je suis tombée sur l’onglet « nommer un légataire en cas de disparition ». Sans hésiter un seul instant, j’ai désigné mon mari dont j’imagine encore la tête lorsqu’il a reçu l’email l’alertant de son nouveau statut J : « Facebook a la joie de vous annoncer que vous êtes l’heureux légataire du compte de votre épouse dans l’éventualité où elle viendrait à disparaitre »… Et pour ajouter à ces piqûres de rappel, une autre expérience est venue amplifier l’écho de ma propre finitude : j’ai passé deux jours, il y a une semaine, avec le livre de Géraldine Dormoy – Un cancer pas si grave (éditions Leduc) – qui m’a beaucoup interrogée sur mon rapport à la maladie et en particulier à la mort. Celle des autres puisque j’ai perdu plusieurs proches du cancer. Et la mienne.

Photographie Lili Barbery-Coulon. Octobre dans les Cévennes

Rien n’arrive par hasard. Les récits tragiques que l’on m’a rapporté coup sur coup avaient un but : me permettre de prendre conscience de ce que je n’avais pas encore décelé en sous texte. Cette mélancolie passagère a même affaibli mon système immunitaire puisque je me suis enrhumée (je précise que je ne tombe jamais malade)… à Marseille il y a dix jours ! Un rhume éclair qui m’a permis de prendre une journée de repos dont j’avais besoin. Une maladie de rien du tout qui m’a collée au lit et a exigé que j’allège mon emploi du temps. J’ai passé le reste de ma semaine à dire non et à mettre le tempo à un rythme plus doux qui me convient. Cette pause méditative m’est apparue comme une bénédiction. Je m’étais séparée de moi-même à la fin du mois de septembre en me laissant mener par mon ego. Comment ? En acceptant trop de sollicitations, de rendez-vous et de d’interviews. J’étais sortie de mon unité. En chargeant mon programme qui méritait au contraire que je ralentisse à fond. En me laissant oppresser par le temps et en oubliant qu’il me suffit de me brancher sur une fréquence vibratoire plus élevée pour me sentir à nouveau illimitée et insoumise à la compression du temps.

Je ne cours plus comme un hamster dans une roue. Cela fait plus d’un an que j’ai cessé ce marathon qui me rendait si malheureuse. Je dis plus souvent non que oui, sans honte ni culpabilité. Je donne parfois l’impression du contraire sur les réseaux sociaux car je prends souvent  la parole lorsque je suis en mouvement (alors que mes amies m’appellent Mamie Lili avec ma tisane quotidienne, ma tendance casanière et mon uniforme de yogi du matin au soir). Mais je me laisse encore facilement piéger par l’illusion que je manque de temps. Or, sur le plan quantique ou spirituel, cette idée de début et de fin est grotesque. C’est difficile à entendre quand on croit, comme cela a été mon cas pendant quarante ans jusqu’à il y a peu, qu’on nait le jour où l’on sort du ventre de sa mère et qu’on meurt lorsque notre cœur s’arrête de battre. Un début, une fin. Simple, basique. Les personnes qui ont vécu une expérience de mort imminente comme les physiciens et certains chercheurs universitaires interrogent pourtant cette vision de « fin définitive ». Si l’on croit en l’existence de l’esprit, en l’existence de l’âme, en l’existence de la conscience, ces notions de début et de fin n’ont pas lieu d’être. Certes le corps physique dispose d’une durée limitée dans le temps. Mais si notre nature véritable est de s’inscrire dans l’éternité à l’instar de l’Univers tout entier, pourquoi continuer à avoir peur du temps qui passe tel que nous le percevons au quotidien ? Dans de nombreuses cultures asiatiques, indiennes ou amérindiennes, la mort n’est pas du tout envisagée comme en Occident. Je trouve ces sujets passionnants et j’ai bien plus de questions que de réponses. Mais le simple fait de me connecter aux éléments éternels qui existent en moi et qui continueront à exister après que mon âme ait quitté mon corps physique m’offre une sérénité sensible. Attention, je précise que je n’ai pas du tout envie de mourir aujourd’hui ! Je n’ai jamais autant aimé la vie qu’à l’instant présent. Je dis juste que le prisme de l’éternité du Soi Supérieur m’offre un regard beaucoup plus calme sur mon « moi » agité. Si j’ai l’infini devant moi pour réaliser ma mission, alors pourquoi m’exciter dans tous les sens ? En outre, à moins de se suicider, on ne sait pas quand on va mourir. On croit avoir les clés du métronome et on ne contrôle en fait pas grand-chose. Et si on desserrait un peu les dents pour voir ?

Photographie Lili Barbery-Coulon. Automne 2017 au Maroc

Je suis désormais impatiente de partir en formation pour aller creuser ces sujets difficiles qui me font bien travailler. Se réconcilier avec l’idée de la mort me semble une clé de libération essentielle pour vivre pleinement le moment présent et cesser de craindre le futur. Se connecter à sa nature éternelle n’est pas un délire narcissique. C’est au contraire un rempart à la surexpression de l’ego. Et cela nous permet de tisser une nouvelle relation avec nos proches disparus… Parallèlement, être consciente que je peux mourir à tout moment sans l’avoir décidé m’ancre profondément dans l’instant présent et me donne encore plus envie de vivre. Vous l’aurez compris, le processus de ma formation activé par l’anniversaire de la mort de mon père est déjà enclenché : j’ai l’impression d’avoir devant moi un joli col de montagne à escalader.

Quant à ceux qui sont en deuil d’un être aimé, en plus de vous envoyer ton mon amour et mon soutien dans l’épreuve que vous traversez, je vous propose de chanter un mantra qui m’a déjà beaucoup aidée. Vous pouvez d’ailleurs vous réunir pour le chanter avec vos proches :

Sat Siri, Siri Akaal

Siri Akaal, Maha Akal

Mahaa Akaal, Sat Nam,

Akaal Moorat, Wahe Guru

On le chante sept minutes d’affilée le matin après avoir mis son corps en mouvement (ma version préférée se trouve sur Youtube juste ici). C’est un mantra qui célèbre l’invincibilité de l’esprit, la toute puissance de la vérité, au-delà du temps, au-delà de la mort. C’est un merveilleux soutien lorsqu’on est en deuil. Mais aussi lorsque l’on se sent séparé de l’éternité de sa conscience supérieure. Et puis, si vous voulez vous mettre en chemin de réconciliation avec la mort et de ce qu’elle suscite en vous, vous pouvez également consulter le site Happy End, entièrement dédiée à la fin de vie et dont la signature est « et si on vivait en paix avec la mort ? ». On y trouve des rituels, des conseils administratifs pour ceux qui restent, des questions profondes et des témoignages. Un projet passionnant, inattendu et contrairement à ce qu’on pourrait imaginer pas du tout déprimant.

Et vous, vous y pensez à la mort ? Vous y êtes confronté.e.s ? Elle vous fait peur ou vous indiffère ? Vous la jugez tabou ou bien vous en parlez facilement ? Cultivez-vous une relation invisible avec ceux qui ont déjà quitté leur corps ou bien pensez-vous qu’il n’y a rien après la mort et que la notion d’éternité est une illusion créée par la psyché humaine pour supporter l’injustice d’un décès jugé précoce ? Sentez-vous le lien entre la peur de la mort et la peur de rater sa vie ? Entre la peur de la fin et la compression du temps qui nous enserre ? Pensez-vous que la conscience de notre mortalité stimule notre détermination à réaliser des projets ici et maintenant ?