Les Prés d’Eugénie
Photographie Lili Barbery-Coulon

Les Prés d’Eugénie

Les Prés d’Eugénie

Habituellement, lorsque je remarque le mot « minceur » sur une carte de restaurant, tout mon corps se raidit. Au lieu de m’évoquer une silhouette en pleine santé, cette désignation crispe mon estomac comme si on s’apprêtait à l’affamer. Je fais partie de ces gens qui ne peuvent pas supporter d’avoir faim sans devenir agressifs. Surtout en sortant de table. Autre préjugé sémantique caractérisé : l’appellation « cure thermale ». Plutôt que de l’associer spontanément à l’antiquité et aux thermes de Pompéi, mon cerveau se momifie à la vue de ce groupe nominal. Les Prés d’Eugénie, célèbre hôtel landais tenu par le chef Michel Guérard et Christine, son épouse, avaient donc, sur le papier, tout pour me déplaire : le lieu cumule à la fois une célèbre cure thermale et une cuisine minceur. Pourtant, ce trésor du sud-ouest français est si merveilleux qu’il a instantanément pulvérisé mes idées reçues. Cet endroit n’est pas seulement un lieu où l’on vient se reposer. On s’y reconstruit.

Photographies Lili Barbery-Coulon. Les Prés d’Eugénie

Lorsque j’ai prévenu mes amis amateurs de gastronomie que je partais aux Prés d’Eugénie, ils se sont tous écriés « Quelle chance ! Tu vas rencontrer Michel Guérard ? C’est un génie ! ». La journaliste Domino Lattès, qui est aussi gourmande que moi (on s’appelle les cookie monsters), m’avait dit le plus grand bien de ce chef à qui l’on donne aisément vingt ans de moins que son âge. Son secret réside probablement dans la passion qu’il met au service des Prés d’Eugénie depuis plus de quarante ans. Et sans doute que ses assiettes équilibrées y sont aussi pour beaucoup. Je suis partie en reportage pour le magazine L’Instant de Relais et Chateaux (mon article est en ligne juste ici) pour lequel je collabore de temps en temps. J’ai attendu qu’il soit en ligne pour vous livrer une vision plus personnelle de cet hôtel où je rêve de retourner.

Photographies Lili Barbery-Coulon.
Au milieu une chambre du Logis des Grives, en bas: le fauteuil dans ma salle de bain dans La Grande Maison

Quand on arrive à Eugénie Les Bains, les panneaux à l’entrée du village informent immédiatement les visiteurs des vertus de ses sources. Des eaux sulfurées qui ont la particularité d’agir sur les rhumatismes, l’arthrose et la surcharge pondérale. D’où la naissance de la cure thermale. Dans les années 1960, Christine Barthélémy, qui n’a pas encore fait la connaissance de son futur époux Michel Guérard, est diplômée d’HEC et travaille déjà dans une banque. Son père, propriétaire de la Chaine Thermale du Soleil, lui propose de reprendre la gestion de celle d’Eugénie Les Bains. La propriété est bien loin de ressembler à ce qu’elle est aujourd’hui. Petit à petit, elle rénove, reconstruit, transforme, et injecte son goût dans chaque recoin, sous le regard souvent dubitatif de son père. Dans les années 1970, elle prend conscience que le cuisinier qui s’occupe des repas des curistes doit absolument se former au contact de chefs renommés. Elle part à Paris et rencontre Michel Guérard déjà auréolé de d’étoiles avec son restaurant Le Pot au feu à Asnières. Christine et Michel tombent aussitôt amoureux. Tout juste exproprié de son restaurant à cause d’un agrandissement de la voirie, il cherche un nouvel espace pour cultiver sa passion. Le couple visite de nombreux lieux à Paris, manque de racheter plusieurs espaces célèbres mais n’arrive pas à trouver le restaurant dont Michel rêve. Christine finit par le convaincre d’aller dans le sud-ouest voir la propriété dont elle s’occupe.

Photographies LILI BARBERY-COULON.
Voilà ce qu’on mange quand on mincit avec Michel Guérard

« Quand j’ai vu les assiettes de carottes râpées sans âme qu’on servait aux patients, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire » m’a-t-il raconté. Connu pour son homard roti légèrement fumé et son oeuf poule au caviar à la coque, cet homme qui aurait adoré faire médecine si ses parents lui en avaient laissé la possibilité, invente dès 1974 la haute couture de l’équilibre alimentaire. Pas question de décliner le sempiternel cabillaud vapeur / haricots verts. Il s’entoure de médecins, de nutritionnistes, de diététiciens pour comprendre comment fonctionne le métabolisme et élabore des recettes surprenantes en diminuant de façon drastique l’indice glycémique. Pour un pâtissier de formation, ce n’est pas rien ! Pas question de suivre la mode des overdoses en protéines ou en légumes crus ni celle des régimes militaires. La méthode qu’il propose repose d’abord sur le plaisir à table et des arguments nutritionnels validés par la communauté scientifique. Les menus de la « Grande Cuisine Minceur » qui tournent autour de 500 calories disposent tous d’une entrée – mon œuf mollet en habit vert était dingue, tout comme les brochettes de crevettes à la verveine – puis d’un plat (j’ai goûté le veau tendre servi avec un risotto délicat mais aussi le canard au vieux vin accompagné de légumes croquants et de tagliatelles) ET d’un dessert. Pas une vulgaire compote de fruits ! Non, un vrai dessert car Michel Guérard ne conçoit pas la fin d’un repas sans une note sucrée. C’est si difficile de préparer des gourmandises sans se reposer sur le beurre, la crème fleurette et le sucre. Il excelle pourtant en la matière. On gémit devant son soufflé à la clémentine. Idem pour l’île flottante au café. Tout est à se rouler par terre.

Photographies Lili Barbery-Coulon:
ce petit-déjeuner n’est pas celui de la cuisine minceur, c’est juste ce que j’avais commandé ce matin-là. La table au milieu est celle du trois étoiles

Evidemment la cuisine se plie à toutes les restrictions alimentaires : les gluten free et dairy free peuvent y aller sans crainte, tout comme les végétaliens et autre végétariens. Il suffit juste de le faire savoir. Michel Guérard sait s’adapter aux nouveaux modes de vie. La grande surprise pour chacun arrive à la fin du repas lorsque la sensation de satiété s’impose. Non seulement on s’est régalé mais en prime on se sent nourri. Avec justesse. Comme chez Olivier Roellinger, la qualité des produits utilisés en cuisine est non négociable. On mange bio et local, la plupart du temps. Cependant, on n’est pas obligé d’opter pour la cuisine minceur en passant aux Prés d’Eugénie. On peut aussi s’offrir un menu trois étoiles dans le restaurant gastronomique de l’établissement. Je n’ai pas testé mais j’ai des copains qui m’en parlent encore trois ans après leur visite. J’imagine que ça doit être assez dingue. Il y a aussi deux autres restaurants dans la propriété : La Ferme aux Grives où la cuisine de terroir est mise à l’honneur (l’installation avec les légumes frais et la cheminée où grille le cochon du jour m’a fait penser au Festin de Babeth) et un café à l’entrée de la propriété qui sert des tartines gourmandes.

Photographies Lili Barbery-Coulon, la Ferme Aux Grives

A part – très bien – manger, que fait-on aux Prés d’Eugénie ? La propriété qui s’étend sur plus d’une dizaine d’hectares dispose d’un jardin époustouflant où les pins, les palmiers et les grands chênes se reflètent dans les bassins des fontaines et sur les cours d’eau. La roseraie doit être délirante au printemps, sans compter le potager rempli d’herbes fraiches où la cuisine vient se servir constamment. Michel Guérard a aussi créé une école de cuisine, où les particuliers comme les professionnels viennent apprendre les secrets du chef.

Photographies Lili Barbery-Coulon:
le bâtiment dédié à la cure thermale en haut et l’école de cuisine de Michel Guérard en bas

Derrière l’hôtel, on trouve un tennis et une piscine mais surtout un spa, enfin une « Ferme thermale » comme Christine l’a nommée où j’aurais bien aimé être enfermée pendant deux semaines. Cet espace de bien-être est l’un des spas les plus originaux que j’ai eu l’occasion de tester. On pourrait croire qu’il vient juste d’être créé. Il fête pourtant ses vingt ans en 2016 ! Imaginez à quel point ce couple est en avance sur son temps : ils ont inventé le wellness haut de gamme sans savoir que ce concept deviendrait le courant fort du XXIe siècle. En arrivant dans le spa, on est frappé par la décoration des lieux : on croirait une véritable maison où les cabines ressemblent à des chambres, où le bois crépite dans toutes les cheminées, où les ablutions de plantes et d’eau thermale sont proposées dans des baignoires en marbre. Même si les espaces thérapeutiques sont immaculées de blanc, la plupart des pièces évoque la personnalité de Christine qui a juste un désir : nous faire plaisir en nous donnant l’impression que cette maison est la notre.

Photographies Lili Barbery-Coulon:
le bar de La Grande Maison et une des baignoires dans les suites dans La Grande Maison

Les clients de l’hôtel qui choisissent de faire une cure de cinq à sept jours (pour perdre du poids, retrouver de l’énergie ou purifier leur organisme) rencontrent d’abord un médecin afin d’être orientés vers des soins adaptés à leurs besoins. Mais ceux qui comme moi ont simplement envie d’un weekend au vert peuvent s’offrir des massages à la carte (je vous recommande la main de Cécile qui a dénoué mes trapèzes en mois d’une heure), des bains bouillonnants à l’eau thermale, des massages sous ondée, des jets d’eau tiède, de l’accupression, du drainage lymphatique, des soins visage Sisley… Et surtout des bains de boue. Généralement, je déteste ce genre de rituels pendant lesquels on vous étale de l’argile glacée puis on vous enveloppe comme un nem dans un sarcophage chauffant. A La Ferme Thermale, c’est tout l’inverse : Michel Guérard qui a conseillé pendant des années le groupe Nestlé a mis au point une recette hallucinante. Il voulait créer un bain dans lequel on pourrait flotter et se sentir en apesanteur pour détendre toutes les articulations. Il a passé des heures à définir la densité de cette potion d’eau thermale et de poudre de kaolin ultra fine qu’il a ensuite réussi à pasteuriser. Résultat : on plonge dans un bain lacté à 38 degrés et lorsqu’on s’allonge dans cette texture onctueuse, on remonte naturellement à la surface. C’est jouissif ! Je chantais de bonheur en observant cette sensation si rare de légèreté. Je vous interdis d’aller aux Prés d’Eugénie sans tester ce truc, c’est divin !

Photographies Lili Barbery-Coulon. La Ferme Thermale et son fameux bain de boue individuel tout en bas.

Côté chambres, l’hôtel ne manque pas de propositions. Le bâtiment dédié à la cure thermale (prescrite sur ordonnance à des conditions médicales et partiellement remboursée par la sécurité sociale) est bien distinct de la partie Relais et Chateaux, du coup je n’ai pas croisé de curistes dans les couloirs de l’hôtel. La grande maison rend hommage à l’Impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III, et toutes les chambres y sont décorées par Christine Guérard. On est loin des images épinglées sur Pinterest. Pas de couleurs pastel, de lampes en forme d’ananas ni de papier peint branché. Qu’est-ce que ça fait du bien de trouver un hôtel incarné qui raconte l’histoire des gens qui l’ont créé ! Quelle respiration ! On peut aussi dormir au Couvent des Herbes, un bâtiment ahurissant de beauté avec une petite cour transformée en hacienda fleurie. Mais mon coup de cœur revient au Logis des Grives : on peut réserver l’espace tout entier avec des amis (il n’y a que quatre suites) et prendre son petit-déjeuner ensemble dans la Chocolaterie, une cuisine de conte de fée. Un peu plus loin, il y a la Maison Rose, un trois étoiles plus modeste avec des chambres et des appartements où les menus minceur changent tous les jours : impossible en trois semaines de manger deux fois la même chose !

Photographies Lili Barbery-Coulon. En haut: une suite du Logis des Grives, en bas Le Couvent des Herbes

Vous l’aurez compris, j’ai adoré. Tout comme les clients avec lesquels j’ai discuté – des habitués qui reviennent chaque année et qui ont les joues qui rougissent lorsque les Guérard qu’ils admirent viennent les saluer. Un paradis pour ceux qui ont envie de prendre soin d’eux. On repart plus léger, avec l’envie de cuisiner plus sainement et l’impression d’avoir réparé ce qui nous fissurait au contact de la poudre de kaolin. Magique.

Photographie Lili Barbery-Coulon

Prés d’Eugénie, à partir, de 250 à 850€ la nuit en chambre double selon les catégories dans La Grande Maison, à partir de 420€ la nuit dans une des suites du Logis des Grives, et 340€ la nuit au Couvent des Herbes, à partir de 170€ la nuit dans La Maison Rose (pas de service en chambre), 334 rue René Vieille, 40320 Eugénie-Les-Bains, Tel : +33 5 58 05 06 07