Armelle Kergall à Tokyo #1
Photographie Armelle Kergall

Armelle Kergall à Tokyo #1

Armelle Kergall à Tokyo #1

Ca fait très longtemps que je n’ai pas publié d’article dans la rubrique des Expatriés. A l’origine, lorsque j’ai créé ce blog, cette rubrique était l’une de mes préférées. Elle me permettait de mettre ma curiosité au service d’une personne et d’un lieu. D’allier mon goût du voyage à mes interrogations sur ce qui nous relie à la France lorsqu’on vit à l’étranger. Le principe est simple (et pourtant très compliqué à imaginer) : demander à des expatriés de me livrer un programme de 3 jours, montre en main, dans leur ville d’adoption, en nous faisant sillonner leurs quartiers favoris, souvent méconnus des guides touristiques. Ces six dernières années, le blog a beaucoup évolué, je voyage plus et j’ai tellement de sujets à vous proposer qu’il me faudrait six mains supplémentaires pour nourrir régulièrement toutes les rubriques. Aujourd’hui, j’ai décidé de vous proposer un nouveau rendez-vous au sein des Expatriés. Mon amie Armelle Kergall s’est installée à Tokyo le 15 janvier 2017 pour trois ans avec son mari et ses deux petits. Vous connaissez probablement déjà son nom car c’est elle qui a signé jusqu’ici toutes les photos de la rubrique In the kitchen with. C’est plus qu’une amie. C’est la famille que je me suis choisie. Ca fait quinze ans que nous partageons les moments forts de nos vies. Autant vous dire que j’ai beaucoup pleuré lorsqu’elle a décollé pour Tokyo. Armelle est une photographe incroyable. Je vous ai déjà parlé de son travail dans ce post, à l’occasion d’une de ses expositions à la Bibliothèque François Mitterrand. Issue d’une famille nombreuse, cette mère de deux enfants s’est mise à faire des portraits de chaque membre de sa famille, des arrières cousins aux grandes tantes, dans leur cadre habituel. En robe de chambre, dans leur cuisine, en train de jouer au Lego ou posant devant la cheminée. Un prétexte pour apprendre à mieux les connaître et les regarder droit dans les yeux. Une manière d’interroger cette fibre commune qui nous relie les uns aux autres (et qui nous éloigne parfois aussi). Je lui ai demandé de nous livrer des images de ces trois derniers mois et de nous raconter son installation et sa nouvelle vie d’expatriée. C’est le premier épisode d’un long feuilleton qui j’espère vous plaira autant que ces photos m’ont touchée.

Photographies Armelle Kergall

Armelle, tu as longtemps rêvé de t’installer au Japon. A présent que tu vis à Tokyo, qu’est ce que cela signifie d’être une française à l’étranger ?
Quand je regarde mes enfants, je vois à la fois des petites tronches de « guajins » (ce qui signifie des personnes de l’extérieur en japonais) et le lien universel de l’enfance qui les unit aux autres petits japonais. Ca me touche de voir qu’ils font les mêmes choses : jouer à imiter les grands, se tenir la main malgré la barrière de la langue, se tendre la corde pour grimper sur la tyrolienne. Ils sont dans l’instant présent. En arrivant à Tokyo, j’ai senti le besoin d’instaurer certains rituels. Je suis très attachée au petit-déjeuner. Je crois que les Japonais mangent du poisson grillé le matin. A la maison, je ne compte pas abandonner mes tartines beurre confiture ni mon jus pressé, même si j’adorerais profiter de cette expatriation pour apprendre à cuisiner japonais. Il y a quelques trucs qui me manquent comme le Nesquick (introuvable à Tokyo), le curcuma frais pour mes jus du matin, le shampooing Head and Shoulders de mon mari et surtout les petits paquets de kleenex. Ici, on n’est pas censé avoir le nez qui coule, personne ne se mouche et les mouchoirs sont si fins qu’on risque la catastrophe à chaque éternuement. Le matin, j’écoute le direct de France Inter ou bien des pod casts de France Culture. Je fais quelques mouvements de gym tibétaine que j’ai appris l’été dernier, et je me suis mise au yoga avec ma nouvelle amie Yoko. Le soir, je bouquine et je regarde des replays de Koh Lanta ou de la série Fais Pas Ci Fais Pas Ca sur Youtube. Et puis, je reste en contact avec mes amis et ma famille en France via whatsup.

Photographies Armelle Kergall

Comment les enfants se sont-ils adaptés au changement ?
Les enfants sont fous, ils se lèvent ici avant 7h ! Moi, j’émerge à 7h30, je prépare deux lunch box (il n’y a pas de cantine), quatre collations imposées par l’école et le petit-déjeuner. Les enfants sont très enthousiastes, ils dansent en pyjama, sautent sur les lits, enchainent les parties de chaises musicales. Ma fille Atala, qui est assez meneuse, est encore un peu frustrée de ne pas réussir à parler avec ses camarades de classe (qui viennent aussi de l’étranger). Du coup, on écoute aussi des disques pour apprendre l’anglais. 16h arrive vite : on teste de nouveaux parcs que je repère en me promenant, la tyrolienne au milieu des cerisiers en fleurs, le parc des robots avec le toboggan géant à flanc de colline. Je les prends en photo, je pousse des balançoires, je vide le sable dans les chaussures. On rentre et on écrit des lettres, ils font de la pâte à modeler, Atala joue à la maman, fait des bulles et Camille, mon fils, chante avec ses livres. A 20h, tout le monde dort.

Photographies Armelle Kergall

Toi aussi, tu as du t’adapter à ce grand changement de vie, puisque tu as quitté ton bureau, tes clients à Paris et accepté de t’occuper beaucoup plus de tes enfants. Comment ça se passe ?
Il m’a fallu du temps pour m’organiser et reprendre mon appareil Blad et mon Nikon. Je shoote beaucoup en argentique, je n’ai plus à faire de tri, rien que des bonnes surprises agrandissables en les retravaillant à peine. En arrivant, j’ai été submergée par les missions du quotidien : trouver un transfo, un aspirateur, aller à l’ambassade… On a longtemps attendu nos meubles qui viennent d’arriver, du coup, il y a encore beaucoup à ranger. Faire les courses me prend un temps fou car je dois traduire les étiquettes avec Google translate. Des choses simples comme commander un objet sur Amazon deviennent épiques lorsque tout est écrit en idéogrammes. L’école se termine à 16h et on me demande de participer à plein d’événements comme le Hanami pique-nique (les enfants n’ont pas le droit d’y aller sans l’accompagnement d’un des parents), la Saint Valentin, le Easter Egg Hunting… J’ai donc peu de temps pour moi. J’arrive cependant à me faire un musée, déjeuner avec une connaissance, et maintenant que j’ai un vélo, je vais être encore plus autonome. Mon amie Yoko qui est anesthésiste m’apprend beaucoup sur la manière dont vivent les Japonais. Les enfants dorment vraiment dans la même chambre que leurs parents, parfois même jusqu’au lycée car les espaces sont petits. On attend que l’enfant réclame son intimité, autour de la puberté ! Les femmes japonaises qui travaillent sont soumises à des aberrations de machisme. Un ami expatrié dans une boîte japonaise ici m’a dit que lorsqu’on organise un pot dans une société, seuls les hommes sont conviés. Il arrive qu’on invite des femmes pour qu’elles fassent le service et qu’elles subissent l’humour douteux de leurs collègues ivres…

Photographies Armelle Kergall

Qu’est-ce qui t’a le plus surpris en t’installant à Tokyo ?
Les policiers. Ils amusent tout le monde ici. Ils sont très nombreux et ressemblent à des petits soldats de plomb. Parfois, ils font des étirements. Les jours de pluie, ils enfilent des capotes intégrales géantes et transparentes. Leurs vélos ont des toutes petites roues et ils galèrent tous les matins sur la même barrière à déplier. Ils sont moins drôles lorsqu’ils mettent leurs sirènes à fond et hurlent dans leur haut-parleur afin que la route soit dégagée. Et c’est très fréquent. L’autre choc vient de la capacité des Japonais à se métamorphoser : rigoureux et disciplinés le jour. Rouges d’alcool le soir. Paradoxalement, on a le droit ici de fumer dans la plupart des restos qui sont très chaleureux, mais pas dans les parcs à l’air libre. Et puis, un autre point amusant est le rapport que les Japonais entretiennent avec la météo. C’est un small talk obligatoire et c’est très important car ça les relie à la nature. Enfin, mais tu le sais puisque tu es déjà venue au Japon : les toilettes sont propres partout, ce qui surprend toujours les Français. Pour l’instant, on est assez séduit, on sent leur envie de nous faire aimer leur cuisine, leur culture, leur art du pique-nique et de la bâche qu’on étend sur la pelouse et sur laquelle on s’assit sans chaussures évidemment ! Ils ne savent pas dire « non désolé », ils passent directement au geste : bras croisés devant le visage pour signifier leur désapprobation totale ☺

Photographies Armelle Kergall (avec en guest,
Marine de Bouchony sur cette photo en dessous qui a eu la chance de déjà aller voir notre amie Armelle à Tokyo)

Ce qui me frappe dans tes photos c’est aussi la lumière et la présence de la nature dans la ville, tu t’attendais à ça ?
Lorsqu’on est sorti dans la rue tous les quatre le tout premier matin de notre arrivée, on n’arrivait pas à ouvrir les yeux pour observer le feu rouge. La lumière était si forte qu’elle nous éblouissait. Elle est crue et le soleil chauffe très vite. Elle appelle des images avec beaucoup de contrastes et sature les couleurs. Dès que le soleil disparaît, il fait plutôt frais. Les Japonais ont un rapport très fort avec cette lumière et avec la nature. La plupart des fêtes sont liées à la nature. Le premier jour du printemps est férié par exemple. La rentrée est juste après, avec les bourgeons et la sève dans les arbres. Tokyo est rempli de jardins gigantesques mais aussi de parcs plus petits, de fleuristes et tous les particuliers installent des petits pots de fleurs et de plantes devant leurs maisons. Même les jardins en apparence les plus sauvages sont extrêmement entretenus. Les enfants sont libres de courir partout dans les parcs. C’est leur domaine, ils peuvent sauter sur les pierres de la rivière, sortir des chemins, inventer les leurs. Et puis, à 17h, de grands haut-parleurs diffusent une petite sonnerie qui signifie qu’il faut rentrer chez soi (même si on m’a dit qu’à l’origine, cette alarme servait d’exercice en cas de catastrophe naturelle).

Photographies Armelle Kergall. Cette photo d’Atala en collants bleus est l’une de mes préférées de toute cette série

Rendez-vous très bientôt pour la suite des aventures japonaises d’Armelle Kergall…