Les terres miraculeuses de l’Ombrie
Photographie Lili Barbery-Coulon

Les terres miraculeuses de l’Ombrie

Les terres miraculeuses de l’Ombrie

J’ai bien du mal à prendre le temps d’écrire en ce moment. J’ai cependant bon espoir de retrouver bientôt mon rythme habituel. Il y a quelques semaines, la marque américaine Fresh m’a invitée en Italie afin de découvrir une usine d’argile où ils puisent la matière première de leur masque culte Umbrian Clay. J’aime tellement cette Maison que même si elle m’avait proposé d’aller dans la zone industrielle d’une banlieue déprimante, j’aurais dit oui immédiatement. Depuis que j’ai commencé à écrire pour la presse il y a 14 ans, j’ai eu la chance d’assister à des centaines de lancements. Je ne suis jamais blasée, toujours excitée à l’idée de partir découvrir de nouveaux lieux, de nouvelles formules. Néanmoins, je dois reconnaître qu’il y a des voyages plus enthousiasmants que d’autres (euh… aller tester un spa aux Maldives par exemple… ce que j’ai eu la chance de faire il y a plus de dix ans… et je ne l’oublierai jamais). Et puis il y a aussi des événements complètement ratés. Les sommes pharaoniques investies dans ces lancements ne suffisent pas à combler la vacuité de la « non-innovation » présentée. Si l’on n’a rien appris pendant un voyage de presse alors que les journalistes comme les influenceurs sont débordés de travail chez eux, si l’on a perçu la moindre inauthenticité dans la stratégie de communication (et croyez-moi, lorsqu’on vit ensemble pendant deux jours ou plus, on devient hyperesthésique), si le déroulé du voyage n’a aucun lien avec le produit lancé, alors on associe définitivement la marque à ce mauvais souvenir.

Photographies Lili Barbery-Coulon. Un champ d’oliviers en Ombrie où sommeillent des kilos de truffes que seuls quelques chiens bien dressés arrivent à dénicher. Lev Glazman et Alina Roytberg, fondateurs de la marque Fresh, en train d’échanger devant l’usine d’argile de Nocerra.

Ayant une longue expérience de ces opérations de communication, je remarque immédiatement les éléments distinctifs. Or, en Ombrie, j’ai été frappée par la proximité des deux fondateurs de la marque : Lev Glazman et Alina Roytberg. Je n’ai jamais vu des créateurs (parfumeurs, maquilleurs, patrons de marque…) aussi disponibles. En général, ceux qui sont en haut de la pyramide du développement des produits ne font leur apparition qu’à l’occasion de la présentation de leur nouveauté. Ils sont installés à table avec la crème des VIP ou des journalistes. Et à moins de programmer une interview en tête à tête via leur attaché.e de presse, on a bien du mal à échanger avec eux. Dès le premier soir, lors de notre arrivée à l’hôtel Borgo dei Conti situé à deux heures de Rome, j’ai cru avoir une hallucination lorsque j’ai vu Lev et Alina venir saluer personnellement chacun de leurs invités. Imaginez un lancement international avec des journalistes et des blogueurs issus des quatre coins du monde (Corée, Chine, Japon, Royaume-Uni, Etats-Unis, Brésil…), tous réunis dans une grande salle à manger. Habillés avec beaucoup de simplicité, les deux créateurs nous ont remercié personnellement d’avoir fait le voyage, espérant que la visite de l’usine d’argile nous enthousiasmerait autant qu’eux. Le genre d’attentions auxquelles je suis très sensible.

Photographies Lili Barbery-Coulon. En haut, je tiens un petit morceau d’argile issu de la carrière. Au milieu, le paysage autour de la carrière. En bas: l’argile qui repose pendant quatre mois à l’extérieur de l’usine pour se charger en propriétés et en minéraux

Le lendemain matin, après avoir observé le soleil dorer les feuilles des grands arbres en face de ma chambre, je suis descendue petit-déjeuner avec le reste du groupe. Alina, sortait visiblement de la douche, les cheveux mouillés. Elle se servait des œufs brouillés au buffet. Je n’osais pas m’approcher, un peu impressionnée. « Good Morning Lili, m’a-t-elle lancée en se retournant vers moi. Did you have a good night sleep ? » Et je l’ai vue accorder la même attention à chaque nouvelle personne entrant dans la pièce, attaché de presse local ou influenceur. Ca doit vous paraître banal. Mais je vous assure qu’on n’est pas du tout habitué à une telle simplicité surtout quand l’événement réunit un grand nombre de participants. Juste après, nous sommes partis pour l’usine d’argile. L’occasion de découvrir cette région verte et vallonnée où je n’avais jamais mis les pieds. Comme toujours quand j’aperçois des murs de pierre, des oliviers, et des montagnes couvertes de grands pins, je pense aux Cévennes que j’ai hâte de retrouver. On a traversé des petits villages à l’architecture sobre suspendus au sommet des montagnes, croisé des dizaines d’églises avant de découvrir l’usine de Nocera, un petit village de l’Ombrie. J’ai une passion pour les usines du monde de la beauté. Qu’il s’agisse de cette des bougies Cire Trudon, celles du sud de l’Inde où l’on extrait le Jasmin Sambac, l’usine de la famille Mul qui extrait la rose de mai pour les parfums Chanel ou encore celle des savons Claus Porto, je pourrais passer des heures dans ces lieux. J’ai un plaisir fou à observer la fabrication, les machines, mais surtout les visages de celles et ceux qui mettent tellement de coeur à emballer, découper, plonger, surveiller les bouillons cosmétiques comme du lait sur le feu… En Ombrie, dans cette petite usine, on ne produit que de l’argile blanche. Elle est sourcée en haut d’une montagne aux alentours. La carrière m’a parue minuscule. Je m’attendais à un mur gigantesque comme les carrières de sable qu’on croise dans les Yvelines. Il faut dire qu’elle est très surveillée par les autorités locales. L’usine doit respecter les quotas de prélèvement afin que la source soit certifiée durable. Ensuite, les morceaux d’argile, pas plus gros que des petits cailloux blancs, passent quatre mois étalés à l’extérieur de l’usine afin qu’elles se chargent des minéraux, de la pluie, du soleil et de toutes les substances qui avoisinent le cours d’eau près duquel elles sont posées. Après, il faut encore une trentaine de jours, des bains, des centrifugeuses et des étapes de séchage pour en faire une matière farineuse qu’on peut intégrer dans une formule cosmétique.

Photographies Lili Barbery-Coulon. Les mains du patron de l’usine Terra di Nocera qui réserve sa récolte à Fresh pour sa ligne de produits Umbrian Clay. Au milieu: l’usine de traitement de l’argile. En bas: les « pizzas » d’argile qui sortent du four à basse température et qui sont ensuite concassées. 

Vous me direz : l’argile, il y en a partout, on connaît ça par cœur, pourquoi aller jusqu’en Ombrie la chercher si ce n’est pour raconter une belle histoire qui plaira aux journalistes ? L’introduction de cette argile d’Ombrie chez la marque Fresh n’a rien d’un hasard marketing. Dingues d’Italie, de sa gastronomie et de son art de vivre, Lev et Alina avaient l’habitude de rendre visite à l’une de leurs amies expatriée à Rome. Elle souffrait depuis plusieurs années d’acné – un vrai calvaire pour les ados comme pour les adultes – et n’arrivait pas à trouver de remède miraculeux parmi toutes les solutions testées. Dans les années 1990, ils la retrouvent le visage métamorphosé. Plus un seul bouton. Un pharmacien italien lui a recommandé d’appliquer des masques d’argile blanche et lui a confié une variété particulière issue d’Ombrie. En quelques mois, tous ses boutons ont disparu. Intrigués, Lev et Alina décident d’aller jusqu’au village de Nocera afin d’en savoir plus sur cette argile. Lev raconte : « On a rencontré le maire qui avait mille histoires sur l’argile de sa région, qu’on appelle ici terre médicinale. Il avait 70 ans et en paraissait 50 ». Alina éclate de rire. « Tu exagères, il ne faisait pas si jeune ! » s’exclame-t-elle, sans hésiter à le « chambrer » devant les journalistes et les influenceurs. Sur un plan scientifique, cette terre au PH neutre contient une quantité importante de minéraux, en particulier de silice et de calcium. En Ombrie, on l’utilise en cataplasme pour soigner à peu près tout : les fesses des bébés, l’acné, les piqûres d’insectes, les irritations… et par voie orale (une cuillère à café dans un verre d’eau le matin) pour éliminer les problèmes digestifs, soigner les gastros ou les intoxications alimentaires… Les archéologues ont même retrouvé des amphores remplies d’argile blanche dans des cercueils d’Ombrie datant du VIe siècle avant Jésus Christ car ce produit était déjà considéré comme un trésor. Sur un plan cosmétique, la particularité de cette terre comparée à d’autres que j’ai pu testées précédemment est qu’elle ne craquelle pas lorsqu’elle sèche sur la peau. Elle ne tire pas. Elle a évidemment un pouvoir astringent mais elle ne dessèche pas la peau pour autant. Conscients de la qualité exceptionnelle de l’ingrédient, Lev et Alina ont d’abord lancé un pain d’argile pure (The Umbrian Clay Bar pas encore vendue en France mais on m’a dit que ça devrait bientôt être le cas…), le genre de remède à tout faire qu’on peut garder des années dans sa salle de bain. Alina en découpe toujours un petit morceau qu’elle emporte avec elle en voyage. Elle l’utilise comme un savon sous la douche pour purifier sa peau ou en fait un masque en  l’humidifiant et en le laissant poser quelques minutes avant de rincer. Progressivement, ils ont enrichi leur offre d’une dizaine de soins à l’argile dont un masque purifiant, bien plus pratique à utiliser que le pain d’argile pure, enrichi en ingrédients apaisants comme l’eau de camomille, l’eau de lavande et l’huile de bois de santal. Ce masque est devenu un best-seller démentiel dans leurs boutiques à travers le monde. Il faut dire que c’est une tuerie : il ne cartonne pas la peau, il a un effet detox, un peu comme si on utilisait un nettoyant profond, mais il n’est pas du tout agressif. En Grèce, je l’ai utilisée sur ma fille qui s’était faite piquer par des moustiques : j’en dépose une bonne couche sur le bouton et je laisse sécher toute la nuit. Bon, on a pourri les draps de l’hôtel (sorry…) mais ça a eu un effet archi apaisant.

Photographies Lili Barbery-Coulon. La fabrication du pain d’argile à l’usine Terra di Nocera

Le problème lorsqu’on a inventé un produit qui cartonne dès les années 1990, c’est de réussir à le faire vivre dans une industrie qui rivalise de nouveautés tous les six mois. Plutôt que de changer la formule et d’y ajouter un soupçon d’un ingrédient inédit à la mode, la marque Fresh préfère initier des collaborations ponctuelles avec des artistes. Il y a deux ans, ils ont donné carte blanche à l’illustratrice anglaise Jo Ratcliffe qui a imaginé une édition limitée et éphémère de leur Rose Face Mask. Cette fois, ils sont allés dénicher une fabrique de céramique en Ombrie – Rometti – récemment reprise par l’italien Massimo Monini et le chanteur lyrique français Jean-Christophe Clair. « Quand on a reçu leur email, on a cru qu’il s’agissait d’un spam » raconte Jean-Christophe en riant. Ensemble, ils ont imaginé le dessin d’un nouveau pot (au même prix que le pot classique) qui reprend les codes de la Maison Rometti créée en 1927, experte des lignes horizontales. Ils ont d’abord créé un pot en céramique, un objet bien trop coûteux pour être vendu à grande échelle, qui leur a servi d’inspiration en terme de couleurs car la terre change la nature des pigments une fois au four. C’est cette céramique aux teintes pastel qui a ensuite servi de modèle au nouveau packaging du masque Umbrian Clay.

Photographies Lili Barbery-Coulon. En haut: Lev Glazman en train de nous raconter sa formule avec les chercheurs français d’LVMH qui sont dédiés à la marque Fresh (on aperçoit Alina derrière). Au milieu: les flacons de pigments à l’usine de céramique Rometti. En bas: les objets en céramique réalisés pour Fresh par Rometti

En sortant de l’usine, Lev et Alina m’ont encore sidérée. D’abord, ils ont remercié les équipes qui travaillent avec eux chez LVMH à New York (ils ont revendu leur marque au début des années 2000 même s’ils restent toujours très impliqués) d’avoir trouvé cette fabrique de céramique pour eux. Imaginez qu’un créateur de mode remercie publiquement la personne qui lui a recommandé de collaborer avec tel ou telle artiste pour sa nouvelle collection. On ne fait jamais ça d’habitude. Au contraire, on mise toute la communication sur le fondateur ou le créateur, comme s’il n’avait personne à ses côtés pour l’aider. C’est tellement rafraichissant d’entendre des gens de pouvoir remercier ceux qui sont en dessous de cette pyramide, sans qui rien n’est possible. Ensuite, Lev a parlé d’une certaine forme de transcendance à laquelle je crois beaucoup. Au fond, il n’y a rien de plus futile qu’un soin de beauté. On peut vivre sans, assumer ses imperfections quand on en a, les oublier même, se passer de parfum, de maquillage et de crème antirides. Il existe pourtant des produits qui dépassent nettement leur fonction et nous transportent. « Ce qu’on essaie de faire, ce qui nous guide, ce qui nous inspire constamment, c’est de réussir à partager des émotions, nous a confié Lev Glazman. On essaie de créer bien plus qu’une bonne formule. Ce qui compte pour moi c’est d’offrir une expérience et de permettre à chacun de se reconnecter à plusieurs centaines d’années d’histoire et de tradition dans l’intimité de sa salle de bain ». Pour moi, la beauté, c’est exactement ça.

Photographies Lili Barbery-Coulon. En haut: des modèles vintage de Rometti. Au milieu: des tests de couleurs sur des assiettes cuites chez Rometti. En bas: Jean-Christophe Clair, Lev Glazman, Massimo Monini et Alina Royberg

Le voyage s’est terminé par un diner époustouflant dans un château de la région. A table, Alina a tenu à lever son verre à chaque attaché.e de presse (en les nommant) qui œuvre dans l’ombre. Encore une première… Et c’est précisément cette manière de respecter ceux qui participent au succès de la marque que je vais retenir de ce voyage. En espérant que cette bienveillance inspire d’autres chefs d’entreprise et autres dirigeants : ils ont tout à gagner à valoriser ceux sans qui ils ne seraient rien.

Photographies Lili Barbery-Coulon: de la céramique au packaging de l’édition limitée juste en dessous.

Et vous, vous avez déjà eu des employeurs ou des chefs qui vous ont mis en avant de cette façon? Tentez-vous de le faire lorsque vous dirigez une équipe? Cette histoire de transcendance via les produits de beauté est aussi une vraie question pour moi. J’aimerais bien savoir si je suis la seule ou si vous aussi, vous avez des produits dans votre salle de bain qui dépassent leur fonction et concentrent une autre dimension, invisible?

Très fière d’avoir une photo avec ce duo si inspirant. Moi aussi, quand je serai grande, je veux être Lev et Alina 🙂

L’édition limitée du masque Umbrian Clay par Rometti vaut 64€ les 100ml (il y a une plus petite version à 30ml au packaging inchangé et plus accessible), il est déjà en ligne sur le site de la marque et sur le site de Sephora. Il sera en vente en juin 2017 au BHV, au Bon Marché, aux Galeries Lafayette Haussmann, et dans les magasins Sephora qui distribuent Fresh (attention, pas tous, donc vérifiez avant de vous déplacer pour rien)