Tenir bon
Photographie Lili Barbery-Coulon

Tenir bon

Tenir bon

Si vous avez un compte Facebook, vous avez sans doute vu hier un grand nombre de gens s’indignant ou se questionnant sur le silence quasi général des statuts de leurs « amis » au sujet de ce qui s’est passé à Saint Etienne du Rouvray. J’ai vu les mêmes questions indignées s’afficher au cours de la journée de la part de personnes que je respecte. Est-ce qu’on s’habitue à la barbarie ? Est-ce qu’elle nous touche moins qu’en janvier ou en novembre 2015 ? Est-ce qu’on serait tous devenus des cœurs de pierre préoccupés uniquement par nos propres départs en vacances ?
Je ne le crois pas.

Hier, je n’ai pas exprimé publiquement ma rage et mon chagrin. Et ce silence est murement réfléchi. J’ai le sentiment – et ce n’est qu’un avis personnel, ne le prenez pas pour une ligne de conduite que j’impose aux autres – qu’à chaque fois que je partage des informations sur ces actualités à vomir, je participe à l’entreprise de ceux que nous cherchons à combattre. En disant ma révolte ou ma peine, j’ai l’impression d’amplifier la terreur collective. Je ne supporte plus les discours politiques stériles, les mots haineux, les pseudo experts qui alimentent nos angoisses sans proposer de solution. Je me protège en prenant grand soin de ne pas poursuivre ma lecture lorsque le propos n’est pas constructif. Sur Twitter, je ne partage que les analyses qui font avancer ma compréhension du sujet. Et c’est assez rare.

Suis-je indifférente au monde qui m’entoure pour autant ? Non. Suis-je devenue un roc blasé par les événements ? Encore moins. Je garde simplement mes émotions pour le cadre intime. Par ailleurs, je suis convaincue qu’en parlant tout le temps de ces événements ignobles, nous offrons une tribune phénoménale à nos ennemis. Nous leur donnons un pouvoir bien plus grand que celui dont ils disposent. Nous faisons grimper notre seuil de colère et de haine et nous ne savons plus vers qui ou vers quoi diriger ces émotions. Surtout, en diffusant des informations sur ces criminels, en montrant leurs photos, en mettant en avant leurs noms, nous motivons de nouvelles recrues qui ne rêvent que d’une chose : devenir à leur tour de nouveaux héros de cette guerre insensée. Je prends grand soin d’oublier les noms des terroristes qui ont déjà sévi. Oublier leurs visages. Je ne veux pas me souvenir d’eux. Si les médias et si chacun d’entre nous prenons la responsabilité d’en faire des anonymes, je suis certaine que nous démotiverons certaines âmes malades en quête de célébrité macabre.

Je voulais vous livrer ces quelques mots pour que vous compreniez pour quelle raison j’ai décidé de continuer à publier des articles « comme si de rien n’était » cette semaine. Je vais tout faire pour vous divertir, vous parler de ce qui me fait du bien, même si c’est concentré dans une crème solaire ou dans une chambre d’hôtel, vous écrire au sujet de ce qui m’enthousiasme et me fait rire. Parce que c’est la joie que je veux communicative, pas la terreur. Je vous embrasse tous. Accrochez-vous au bon, faites-le grandir chez vos enfants. C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour ne pas sombrer.

PS: ce texte a généré de nombreux partages. Preuve qu’il fait écho à un sentiment partagé par un grand nombre d’entre nous. Ces discussions sur l’anonymat des terroristes animent aussi la presse. Certains ont décidé de ne plus montrer de photo des terroristes. D’autres pourraient même aller jusqu’à ne plus donner leurs noms. J’y voyais plutôt une bonne nouvelle. D’autant que je ne suis pas convaincue par ceux qui disent que cela risque de faire encore grimper les théories complotistes (= « il n’y a pas de photo ni de nom, donc on nous ment »). J’ai l’impression que quels que soient nos arguments, les complotistes auront toujours une réponse imparable qui est: « oui mais on ne nous dit pas tout »… Ce matin pourtant, j’ai lu la newsletter de l’excellente journaliste, blogueuse et romancière Titiou Lecoq (il faut vous abonner pour la lire) qui dit combien il lui semble important de ne pas renoncer à comprendre le fonctionnement des bourreaux. Elle évoque des arguments très intéressants qui ont beaucoup fait avancer ma réflexion. Je vous invite donc à la lire pour compléter et nuancer mon propos.