On nous prend pour des connes
Photographie Lili Barbery-Coulon

On nous prend pour des connes

On nous prend pour des connes

On prend tellement les femmes pour des connes. Je ne commence jamais mes posts par de tels coups de gueule mais j’avoue que depuis quelques jours, mon humeur dépasse le seuil de l’agacement. Sans doute que ce torrent de pluie qui fait grimper le niveau de la Seine et l’absence de soleil sur Paris ne m’aident pas à prendre de la distance. N’empêche. Ce weekend, à la campagne, on a discuté d’un papier paru dans Le Monde sur la tendance des « mères parfaites ». Je vous invite à le lire même si ce n’est que le déclencheur de mon ras-le-bol. A table, une personne qui ne lit pas de blog en dehors du mien et qui rejette en bloc tout type de réseaux sociaux, s’est insurgée en pliant le journal : « C’est quand même dingue que des mères puissent ressentir le besoin de raconter leur vie sur Internet et que d’autres finissent par se sentir complexées en regardant ces photos de vie parfaite »… Hier, j’ai lu plein de réactions suite à cet article ou aux commentaires nauséabonds sous l’article, celle de La Fiancée du Panda qui explique combien il lui est difficile d’être sur tous les fronts, mais aussi celle d’un blog que je ne connaissais pas : Malleotresors… J’étais moi aussi très énervée par la réaction de la personne à table dimanche mais j’ai mis quelques jours à trier mes pensées (ce qui suit est encore assez bordélique, veuillez m’en excuser).

Le postulat qui me dérange le plus derrière ce qui est dénoncé dans l’article, c’est l’idée qu’on puisse considérer les femmes comme des êtres si fragiles qu’elles pourraient basculer à tout instant dans la dépression en regardant la prétendue vie parfaite d’influenceuses. Est-ce qu’on pourrait écrire la même chose au sujet des hommes et de leur perte de confiance en eux après avoir maté des joueurs de street fighter maitriser une partie bien mieux qu’eux sur Youtube (vous l’ignorez peut-être mais il y a des millions de gens autour de la planète qui regardent des joueurs de gaming s’affronter, avec pour fond sonore des commentateurs sportifs dignes de ceux du foot… si, si) ? Sont-ils jamais présentés comme de petites choses fragiles au bord du burn-out à force de regarder Gary Vaynerchuck (mon gourou de l’internet mais on en reparlera une autre fois) bosser 17 heures par jour sur Snapchat ? JAMAIS. En revanche, les femmes sont toujours dépeintes comme des connasses influençables au bord de l’hystérie (je schématise sans doute un peu… à peine).

Moi à mon meilleur niveau!

Je ne nie pas la toxicité de la tonne d’images qu’on absorbe quotidiennement et les injonctions silencieuses qu’elles nous envoient. Sois plus mince. Range ton appart. Prépare des légumes. Bois du thé vert et pas du vin. N’oublie pas tes compléments alimentaires. Démaquille toi. Organise ta to-do liste. Passe plus de temps avec ton enfant. Vois tes amis. Va courir à 6h. Arrête la viande. Arrête le poisson aussi. Soigne la déco de ta table. Fais des abdos parce que no pain no gain. Sois sexy en toute circonstance tout en restant pudique. Sois positive et enjoy la pluie. Médite bordel… Vous le savez comme moi : cette fille qui fait tout parfaitement bien avec son corps démentiel, ses longs cheveux brushés et son grand sourire, N’EXISTE PAS. Parfois, on a l’illusion qu’elle existe. Comme le Père Noël, les millions qu’on va gagner au loto si on joue, la peau qui rajeunit grâce à une crème, le régime qui résoudra définitivement tous nos problèmes. Et puis, il nous suffit d’échanger avec nos amis, de les écouter nous raconter comment ils ont échappé de peu à l’infanticide au moment des devoirs, de consoler une copine qui n’a pas dormi depuis l’arrivée de ses jumeaux (c’est à dire il y a… trois ans) et on obtient la preuve que la vraie vie est loin de ressembler à Instagram, aux photos sur mon blog ou aux vidéos souriantes sur Youtube.

Cela ne m’empêche pas d’avoir du plaisir à regarder de belles images sur Pinterest ou à lire un article esthétisant sur une recette de cuisine plus que parfaite que je ne réaliserai probablement jamais. Comme je l’écrivais hier, je n’ai pas besoin de savoir coudre pour être fascinée par les tutos de Lisa Gachet. Je rêve de découvrir un jour l’Australie et la Nouvelle Zélande. Quand je lis des posts sur des blogs au sujet de ces destinations, ça m’inspire, ça me donne encore plus envie d’y aller mais je ne suis pas dévorée par la jalousie en me répétant « je n’y arriverai jamais, elle a trop de chance ». D’autant qu’à force de méditer – pas tous les jours parce que j’ai souvent mille autres choses à faire – j’ai compris la puissance des pensées négatives. Parfois, je scrole l’écran de mon téléphone et je tombe sur une photo idyllique d’une fille faisant du yoga, tête en bas, sur une plage aux Maldives. Si je suis en forme, l’image me régénère. Si mon cerveau est en mode cocote minute, je ne peux pas m’empêcher d’imaginer que ma vie serait plus simple si j’étais moi aussi au bord d’un lagon. Ce n’est pas la photo qui détermine ma réaction. C’est mon état préalable. Je ne crois pas que les primipares d’aujourd’hui soient plus dépressives qu’il y a dix ou quinze ans parce qu’elles voient des photos de mamans sans cerne, un bébé parfaitement habillé dans leurs bras. L’arrivée d’un nourrisson est un bouleversement pour tous les parents, même quand ça les rend très heureux et ceux qui ne parlent que de la partie rose dragée sont des menteurs.

Le second postulat qui traine ici ou là au sujet d’internet, des réseaux sociaux, des blogs et autres chaines Youtube, c’est que « c’était mieux avant ». Avant quoi ? Avant les smartphones, avant les ordinateurs à la maison, avant Google, Facebook, Instagram, Snapchat, Pinterest ou Twitter. Avant « les gens réfléchissaient avant de parler ou d’écrire ». Avant « les gens étaient plus pudiques ». Avant « on n’était pas emmerdé par son téléphone ». Avant « on était plus concentré ». Avant « on avait des vrais amis, pas des relations virtuelles ». Avant « les gens lisaient des vraies livres dans des bibliothèques ». Avant « les enfants étaient bien mieux éduqués et ils respectaient leurs parents ». Et bla et bla et bla bla bla. Quand bien même toutes ces affirmations seraient vraies, a-t-on aujourd’hui la possibilité d’appuyer sur le bouton « rewind » ? A part en achetant un jean patte d’eph’ et en allant vivre dans les Cévennes, dernière zone de France où la 3G ne passe pas, peut-on refuser la révolution numérique et s’installer en 1973 ? Non. Evidemment, pour se distinguer ou se protéger, on peut éviter la fréquentation des réseaux sociaux et limiter sa consommation internet au minimum syndical. Néanmoins, je suis convaincue qu’en cessant de se raidir, en s’intéressant à ces nouveaux modes de communication qui ont métamorphosé nos vies, on est mille fois plus capable de distinguer le bon numérique du mauvais. Ca me rappelle ce que mon psychologue corporel (vaste sujet, j’y reviendrai) tente de m’apprendre : plus on résiste à une douleur physique, plus elle fait mal. Dès qu’on l’accepte, elle s’évapore.

On vit une révolution sans précédent, c’est normal que cela nous inquiète et nous questionne. Cessons cependant de nous laisser asphyxier par les préjugés et restons soudés, hommes et femmes, parents ou non, dans la lutte contre les regards moralisateurs. Il y a du boulot punaise…