De retour
Photographie Lili Barbery-Coulon

De retour

De retour

Me voici enfin de retour. Une rentrée bousculée par l’extinction brutale de mon ordinateur alors que je préparais des posts pour Ma Récréation. Ces textes ont disparu mais mon portable est vivant. Il aura fallu trois jours en réanimation intensive pour le voir se rallumer à nouveau. Je vais donc aller de ce pas m’acheter une Time Capsule, histoire de ne plus jamais avoir peur de perdre toutes mes données…

Photographie Lili Barbery-Coulon

Si vous me suivez sur Instagram, vous savez sans doute que j’étais dans les Cévennes pendant presque tout le mois d’août. Le genre de coin perdu où la première ville à peu près célèbre est à 1h30 de route. Aucune connexion ne passe dans la maison où je séjourne. Ni mail, ni notifications des réseaux sociaux. Pas même les I-messages ou les MMS. Seuls quelques messages textes arrivent au compte goutte. Les premiers jours, c’est la panique. Ceux qui ne veulent pas se résigner cherchent du réseau comme une source d’eau invisible, brandissant leur portable à 45 degrés au dessus de leur tête, marchant jusqu’au village voisin le téléphone vers le ciel. Et puis, on finit par s’habituer à cette déconnexion forcée. Elle devient un luxe ultime : on n’est au courant de rien. Parfois on achète le journal. Mais comme il faut une demi heure en voiture pour trouver la première presse, on s’en passe. Même mon ordinateur a décidé de lâcher prise en disparaissant.

Photographie Lili Barbery-Coulon

J’aime infiniment le caractère répétitif de ces vacances. J’aimais déjà retourner au même endroit quand j’étais enfant. D’ailleurs, j’ai passé plusieurs étés en Ardèche, à quelques kilomètres des Cévennes et j’adorais retrouver mes sentiers préférés, les senteurs de pinède et le parfum des pierres. Il y a un réconfort dans ces retrouvailles, comme si les lieux nous disaient qu’au fond, quoi qu’il arrive, tout ira toujours bien, puisqu’ils continuent à exister tels qu’ils ont toujours été.

Photographie Lili Barbery-Coulon. Les enfants qui attendent pour sauter du plus haut rocher

Chaque jour, dans les Cévennes, il faut descendre une montagne pour aller se baigner dans la rivière. Le petit filet de la Cèze se fraye un passage entre les pierres gris pâle, il forme des cascades, remplit des piscines naturelles couleur émeraude et sculpte des ondulations dans la roche. A mi chemin sous les pins, on entend l’eau qui s’écoule. On sait qu’on est bientôt arrivé. On tente d’éviter les moustiques tigre planqués dans les bruyères qui vous dévorent les mollets, on se laisse griffer les chevilles par les ronces, on manque de glisser sur les pierres en équilibre dans la pente. Et puis, le paradis apparaît. Un cadeau insensé. Se retrouver seuls sur ces pierres brûlantes avec l’eau fraîche qui nous tend les bras. On plonge. On se colle des frissons à sauter entre les rochers. On tente d’attraper des poissons pour faire plaisir aux enfants. On sort grelotant et on s’allonge sur la roche incandescente. Dès qu’on est sec, on recommence. Ainsi filent les après-midis dans les Cévennes.

Photographie Lili Barbery-Coulon

Le soir, quand le soleil passe derrière la plus haute montagne, il faut remonter jusqu’à la maison. C’est la partie la plus difficile et pourtant il y a dans cette montée une dimension méditative qui me comble de bonheur. Il faut se concentrer sur chacun de ses pas, sur son souffle, baisser la tête pour éviter les branches, poser correctement la pointe du pied pour ne pas se tordre la cheville. Même si on pense à sa vie, même si on discute, on ne peut pas être plus présent à soi-même que dans cette ascension. J’adore grimper seule, silencieusement. Je m’accroche à l’odeur des pierres, à celle de la terre aride, aux vapeurs camphrées des épines de pin, aux effluves des écorces de bois qui craquent sous les semelles. Le soleil cogne la nuque, il chauffe les dos transpirants. Je connais cette montée par cœur. Je pourrais presque décrire chaque lacet, les baies à ne surtout pas manger, les murs de pierre au sommet, le désert de bois brûlés à l’arrivée, le parfum de thym frais et le chant des lézards qui se camouflent dans les feuilles quand on passe près d’eux. Et puis, le cœur battant, on aperçoit la maison. On entend déjà les glaçons qui tintent dans les verres et le bourdonnement des abeilles. Au passage, on attrappe un fruit mûr dans le grand figuier qui sent le lait d’amande et les moustiques foncent sur les corps en sueur comme des affamés. Et l’on se sent shooté par l’effort, comme en apesanteur.

Photographie Lili Barbery-Coulon

A présent, il faut renouer avec la vraie vie. Sortir les enfants du lit à l’aube pour les conduire à l’école, établir de nouvelles to-do listes, retrouver les habitudes du travail et affronter les nouvelles qui mettent les larmes et la nausée derrière les cordes vocales. En fermant la maison des Cévennes, dimanche dernier, je me suis collée contre la grande porte en bois, je l’ai serrée contre moi et je l’ai suppliée de me ramener à elle le plus vite possible. En attendant, je vais chaque soir jusqu’à la Cèze. Dans ma tête.

Bonne rentrée à tous.