Sushi B
Photographie Lili Barbery-Coulon

Sushi B

Sushi B

Je vous préviens, je vais m’agripper au beau en 2016 comme une skieuse à son tire-fesses. Je doute que ce soit l’image la plus poétique. Mais elle a le mérite de décrire mon état d’esprit du moment. En plus de supporter la violence quotidienne du terrorisme partout dans le monde, l’expression de la haine à chaque seconde, la défaite de ceux qui nous gouvernent et de ceux qui aimeraient nous gouverner, la maladie qui ronge ceux qu’on aime, l’écologie reléguée à la poubelle des priorités, il faut aussi dire au revoir à David Bowie. J’ai signé une pétition adressée à Dieu pour faire annuler sa mort immédiatement. Ces deux derniers jours, je n’ai pas cessé de réécouter ses chansons. A Londres, dans tous les restaurants, dans tous les cafés, on passe ses morceaux les plus connus depuis lundi. Et j’ai regardé une centaine de vidéos découvertes grâce aux réseaux sociaux. C’est si triste. J’ai l’impression que j’avais encore tant à découvrir de lui… Les génies ne devraient pas avoir le droit de disparaître.

Photographie Lili Barbery-Coulon

Le premier janvier 2016, j’ai décidé que j’allais me concentrer sur la beauté. Là où je peux la trouver. Partout où elle paraît. La semaine dernière, j’ai eu le privilège d’être invitée par une amie chez Sushi B, un tout nouveau restaurant japonais installé dans le 2e arrondissement. C’est Takeshi Sato, le fondateur du Pavillon Miwa, qui m’a alertée au sujet de l’ouverture de ce lieu en décembre dernier. Et dans le genre exigeant, Monsieur Sato atteint des sommets. La carte est ruineuse : le menu tourne autour de 135 euros le soir. Le midi, on peut déjeuner pour 90 euros par personne. C’est donc très cher. Mais bien moins cher qu’une paire de talons douloureux, même en solde, que vous ne porterez jamais au fond.

Photographie Lili Barbery-Coulon

Oubliez tout ce que vous savez des sushis. Ne laissez pas votre cerveau croire qu’il s’agit d’une boule de riz caoutchouteuse et sans saveur recouverte d’un morceau fibreux de thon rouge très épais qu’il faut noyer dans de la sauce soja pour relever le goût. Oubliez les californian rolls, une invention conçue pour les occidentaux qui ont besoin de masquer la saveur du cru avec de l’avocat et de la mayo. Oubliez la feuille d’algue noire gélatineuse des makis bon marché qui ne se croque pas mais s’arrache péniblement, laissant filer le riz et le poisson de chaque côté.

Photographie Lili Barbery-Coulon

Sushi B va vous faire découvrir ce qu’est un vrai sushi. Un met rare et luxueux qu’on déguste rarement au Japon. Le restaurant est minuscule, il faut absolument réserver : on s’installe autour d’un grand comptoir en pierre, devant le chef, et le spectacle peut commencer. Le menu du déjeuner commence d’abord par une mise en bouche étonnante : des œufs de hareng, une omelette au yuzu aussi aérienne qu’une génoise, des haricots rouges aussi tendres que de la châtaigne… D’autres hors d’œuvre parfumés aux algues, au miso blanc ou infusés de mirin se suivent dans une chorégraphie parfaite. Puis, le bal des sushis débute sur la pointe des pieds. N’attendez pas qu’on vous serve huit pièces pour les manger : un sushi se déguste pile lorsque le chef le dépose dans votre assiette. Inutile d’ajouter de la sauce soja ou du wasabi. Le chef a déjà millimétré l’assaisonnement. La chair du poisson est si fine, si tendre qu’elle fond dans la bouche. Chaque sushi devient un trésor. Une perfection si réconfortante. Si une chose aussi simple qu’un morceau d’encornet sur du riz peut avoir du génie, alors tout est possible, non ?

Photographies Lili Barbery-Coulon

Le chef sert un certain nombre de sushis – je ne les ai pas comptés- et lorsqu’il a terminé, il vous demande si vous avez encore faim. Si c’est le cas, il vous en préparera d’autres. Le déjeuner se termine avec un dessert. Ce jour-là, nous avons dégusté l’antithèse du loukoum : un cube de tofu à la température d’une crème brûlée, saupoudré d’un sucre au goût de caramel et d’une saveur de sésame grillé. Une toute petite douceur qui n’alourdit pas le ventre et laisse juste un souvenir joyeux. Allez chez Sushi B avant que ce restaurant ne décroche des étoiles et devienne inaccessible. Vous verrez, on ressort heureux et surtout réconforté par la capacité de l’être humain à fabriquer du merveilleux avec peu de choses.

Photographie Lili Barbery-Coulon

Sushi B, 5 rue Rameau, Paris 2e, Tel : 01 40 26 52 87, Menu déjeuner à 90€, le soir, comptez plutôt 135€ sans boisson. Oui, c’est ruineux, je l’ai écrit plus haut, mais c’est à considérer comme une expérience culinaire hors du commun pour un grand événement…