Comment trouver son parfum?
Photographie Lili Barbery-Coulon

Comment trouver son parfum?

Comment trouver son parfum?

Il y a plusieurs semaines chez Frédéric Malle, nous avons tenté de répondre à cette question pendant la soirée que j’organisais dans la boutique de la rue du Mont Thabor. Les quinze heureux participants inscrits suite à mon post Instagram sont arrivés un peu intimidés par le lieu. Ils sont tous ressortis avec une mine réjouie, heureux d’avoir senti autant de trésors olfactifs. Mais surtout contents d’avoir pris la mesure de la palette des parfums qui leur sied. Explications et astuces pour apprendre à dénicher son sillage.

Photographies Géraldine Couvreur

Trouver son parfum n’a jamais été aussi difficile. Comme dans tous les secteurs de la consommation, l’offre est devenue tentaculaire. Je me souviens du rayon farine quand j’étais enfant. La colonne n’était pas bien large. Aujourd’hui, il en existe une variété délirante. Au blé, à l’épeautre, bio ou sans grumeaux, avec ou sans gluten, toutes broyées à des degrés différents. Pour s’acheter un parfum dans les années 1980, ce n’était pas bien compliqué. Il suffisait de se rendre dans la parfumerie de son quartier. La mienne était située en bas de l’immeuble où je suis née, ce qui a nettement contribué à alimenter mon goût pour les ingrédients olfactifs. D’autant qu’au rez-de-chaussée, juste à côté des boîtes aux lettres, on pouvait accéder à l’autre commerce donnant sur la rue: un magasin de grains de café venus des quatre coins du monde. Mon nez a donc été hautement stimulé dès mes premiers jours dans ce bâtiment de la rue de la République à Orléans. A l’époque, il n’y avait pas de parfumerie dite “de niche” et les nouveautés étaient suffisamment rares pour interpeller le chaland. Aujourd’hui, la montagne de fragrances lancées uniquement depuis le début de l’année 2018 me donne le vertige. Comment s’y retrouver? Comment échapper aux compositions médiocres logées dans de somptueux flacons? Où trouver un conseil de qualité et des vendeurs qui ne sont pas commissionnés pour vous faire acheter le dernier parfum d’une marque “soit disant” de luxe? Pas simple. Chez Frédéric Malle, j’ai toujours été frappée par la manière dont on parle de parfum. Il n’est plus question d’ingrédients ni d’accords. Il n’est question que de soi. J’ai bien conscience que tout le monde n’a pas les moyens ni la possibilité géographique de se rendre dans l’un de ses points de vente. Du coup, je vais tenter de livrer quelques conseils glanés au fil des conversations ce soir-là.

Photographies Géraldine Couvreur

De quoi avez-vous besoin?

Avant de foncer dans une parfumerie ou un grand magasin, posez-vous un instant. Essayez de réfléchir aux raisons qui vous donnent envie de changer de parfum. Que s’est-il passé dans votre vie? Une naissance? Une rencontre? Une lassitude soudaine? De votre parfum? De votre travail? De votre relation amoureuse? Ou bien un besoin d’air et d’oxygène? Plus vous saurez expliquer les raisons qui vous poussent à vous rendre en parfumerie, plus vous aurez de chances de dénicher votre Everest olfactif. Les événements marquants de la vie (une séparation, un deuil, un nouveau travail, une aventure amoureuse qui commence…) nous métamorphosent et il arrive bien souvent qu’on ne se sente plus en accord avec l’identité olfactive qu’on s’était construite. Certain.e.s parlent même d’écoeurement. Les chamboulements hormonaux et les traitements lourds changent aussi la perception des odeurs. Celles qu’on adorait deviennent parfois insupportables. Ou imperceptibles. J’ai adoré porter Egoïste de Chanel, j’aime toujours le sentir sur la peau des autres mais je ne peux plus m’imaginer avec ce parfum au creux du cou. Il correspond à une époque révolue de ma vie. Du coup, préparez-vous en allant dans une parfumerie, à parler de vous. Et ça, Frédéric Malle l’a bien compris. Ses vendeurs posent des questions inattendues et accouchent les émotions du moment pour essayer de cibler juste. N’oubliez pas de bien expliquer dans quelles conditions vous vivez: est-ce que vous travaillez dans un open-space ou dans un cabinet en huis clos? Est-ce que vous sortez beaucoup le soir et êtes un oiseau de nuit ou bien un.e lève-tôt qui aime dîner en famille? Toutes ces précisions devraient permettre à la personne qui vous conseille – si elle a du flair – de vous aiguiller vers une fragrance plus ou moins sophistiquée, originale ou classique.

Photographies Géraldine Couvreur. En haut les goodie bags des participants avec le sublime livre de Frédéric Malle et un parfum de leur choix

Oubliez les familles olfactives

On vous a dit que votre parfum était un “chypre” parce qu’il contient du patchouli? Renversement de situation: il se peut que ce ne soit pas tout à fait un accord chypré. Et quand bien même… Cette architecture boisée qui repose souvent sur du patchouli, une note mousse de chêne et du labdanum a tellement évolué au fil des décennies que sa mention n’est pas la garantie que vous aimerez un parfum. Ne vous laissez pas piéger par les étiquettes. On peut adorer Shalimar de Guerlain pour son aura solaire et détester les accords ambrés dans d’autres formules. Personnellement, j’aime beaucoup l’iris et le galbanum. Pourtant, il y a plein de parfums construits autour d’une note verte ou d’une racine d’iris qui ne me plaisent pas du tout. Chez Frédéric Malle, on s’interdit de parler de familles olfactives qui enferment trop les clients dans des schémas de pensée. Même si vous avez toujours porté de grands floraux, vous n’êtes pas à l’abri de tomber éperdument amoureux d’un vétiver ou d’une Cologne musquée. Et puis, ne vous fiez pas à ce que vous disent les vendeu.se.r.s. Bien sûr, il arrive que certain.e.s soient exceptionnellement doué.e.s et connaissent bien la palette du parfumeur. Je sais que de nombreuses marques paient des formations à leurs équipes de vente. Malheureusement, ça ne suffit pas. Je ne compte plus le nombre de fois où l’on m’a raconté des choses archi fausses “Ah non Madame, il n’y a pas de matière synthétiques dans cette formule, nous n’utilisons que du naturel!” hum hum… “Il n’y a pas de note sucrée, c’est un iris boisé” au sujet d’un parfum overdosé en ethyl-maltol (cette molécule qui sent le sucre glace et la guimauve bien chimique). Je suis le cauchemar des vendeuses parce que je détecte le mensonge ou l’erreur dix mille lieues à la ronde.

Photographies Géraldine Couvreur

De quelle séduction avez-vous envie?

On a beaucoup parlé de séduction au cours de cette soirée. Frédéric Malle est convaincu qu’il y a toujours un désir de séduction derrière une quête olfactive. Néanmoins, il y a mille façons de séduire et ce serait dommage de se laisser piéger par les caricatures de croqueuses d’hommes ou de créatures soumises à leur volonté, diffusées dans les films publicitaires de l’industrie du parfum (les hommes ne sont pas mieux lotis puisqu’ils sont condamnés à être des aventuriers perdus à barbe de trois jours ou des flambeurs en smoking). Certains ont besoin d’un parfum réconfortant, une senteur dont ils ont envie de profiter pour eux-mêmes lorsqu’ils se préparent, une fragrance qui va leur donner confiance. D’autres ont besoin d’attirer l’attention sur eux/elles avec un sillage puissant qu’on perçoit bien avant leur arrivée dans une pièce. Qu’on ait envie d’un parfum pour soi (avec un volume sonore plutôt discret) ou d’une diffusion en stéréo pour marquer son passage, le parfum joue toujours le même rôle: amplifier l’estime de soi. Si vous n’aimez pas les cris olfactifs et que vous préférez les murmures, n’hésitez pas à comparer les sillages qu’on vous fait sentir afin de cibler la juste dose de décibels. Même chose pour ceux qui ont envie de symphonie: comparez sur la peau et sur papier les différents parfums pour cibler la diffusion qui vous convient le mieux.

Photographies Lili Barbery-Coulon. Les délices végétariens préparés par Otium pour notre afterwork chez Frédéric Malle

Parfum occasionnel et fragrance pour la vie

On n’a pas tous envie de s’engager et d’entrer en religion avec son parfum. Il y a des parfums qui nous accompagnent quelques mois et qu’on ne peut plus supporter ensuite et ça n’a aucune importance. Je ne vois pas pourquoi il faudrait suivre une règle et se sentir coupable de ne pas encore avoir trouvé son parfum comme si on n’était pas “accompli”. Je connais des personnes qui ont une dizaine de parfums sur l’étagère de leur salle de bain. Elles associent naturellement leurs senteurs à leur guise. Certains jours, elles ont envie d’un jus. Parfois, elles sortent la peau nue. Je ne me parfume pas tous les jours. Ma pratique du yoga a changé mon rapport au parfum puisque je ne me vois pas me vaporiser Cristalle de Chanel avant d’aller transpirer sur un tapis. Je me suis remise à porter beaucoup de Colognes que je mets sur mes t-shirts ou mes sweat-shirts. Et puis, je fais des infidélités à Cristalle de temps en temps. J’aime bien m’autoriser une aventure le temps d’une soirée avec l’huile de Portrait of A Lady que j’applique en toute petite quantité (elle diffuse tellement!). J’ai porté Noir Épices pendant quelques années et j’ai désormais du plaisir à porter Une Rose. Ce dernier a longtemps été le parfum de plusieurs amies journalistes. J’ai l’impression de leur emprunter un sublime vêtement quand je le porte. Ce n’est pas tout à fait moi mais je suis subjuguée par son élégance. Le reste du temps, je retourne à mon ancre, mon Cristalle de Chanel. Sentez-vous libre de ne pas écouter mes conseils ni ceux des exceptionnels vendeurs chez Frédéric Malle ou ailleurs 🙂 Le parfum n’est pas obligatoire, ce n’est qu’un prétexte pour jouer avec les projections. Les nôtres et celles de notre entourage.  

Photographie Géraldine Couvreur en haut et Photographie de Lili Barbery-Coulon en bas (je porte une combinaison marine Septem et des sandales Sezane)

Visez large

Au cours de la soirée, j’ai observé l’équipe de Frédéric Malle faire des propositions tout à fait surprenantes aux invités. Alors qu’une participante confiait son goût pour la fleur d’oranger, un conseiller lui fit sentir French Lover à des années lumière des madeleines dont elle parlait. Juste pour voir sa réaction. Cette technique permet de délimiter un cadre mais aussi d’ouvrir le champ des possibles. Encore une fois, allez à l’encontre de vos préjugés. Vous détestez les parfums orientaux? Demandez à en sentir, juste pour voir. Au fur et à mesure, la frontière du territoire olfactif qui est le nôtre se dessine. On se croyait addict aux odeurs de crâne de nourrisson et on ressort avec Musc Ravageur sur la peau. D’ailleurs, j’ai été très surprise par le fait que les plus introvertis de la soirée sont tous ressortis avec des parfums archi diffusants, à l’instar de Lys Méditerranée, Portrait of A Lady ou Carnal Flower. Je remarque aussi que beaucoup d’hommes adoptent Portrait of A Lady. Et ils ont bien raison! Comme quoi mieux vaut se méfier des noms et des genres présumés des parfums…

Photographies Géraldine Couvreur. L’équipe géniale de Frédéric Malle en haut et moi en pleine discussion parfum en dessous

Laissez-vous du temps

Partir en quête du graal olfactif exige de la patience. Il faut plusieurs heures pour évaluer la complexité d’une composition. Les molécules de tête s’évaporent progressivement et on ne sait pas immédiatement ce qui va rester sur la peau. N’hésitez pas à vous faire parfumer ou à demander un échantillon. Vivez deux ou trois jours avec le parfum qui vous plaît. Observez les réactions qu’il provoque. Elles offrent aussi des pistes de réflexion intéressantes.

Photographie Géraldine Couvreur

Adoptez des journées de silence olfactif

Pour bien profiter de son parfum, ça vaut la peine de faire des pauses plus ou moins longues. D’abord parce que les cellules olfactives s’habituent aux odeurs et au bout d’un moment, on ne les perçoit même plus. Le nez s’est habitué et l’on est surpris de recevoir des compliments alors qu’on ne sent plus son parfum sur sa peau. Reprendre contact avec l’odeur de la chair nue, sans artifice, ça fait du bien aussi. Cela permet de mieux savoir de quoi on a envie les jours de parfum. L’époque actuelle est envahie par les odeurs. Il n’y a plus de zone inodore, même les sacs poubelle sont parfumés pour absorber les effluves désagréables. Et je ne parle même pas des lessives et autre produit ménager qui envoient constamment mille informations supplémentaires au cerveau. Un peu de silence, ça fait du bien. Et pas seulement pour trouver sa signature olfactive, juste pour mettre sa tête au repos.

Photographie Géraldine Couvreur

Devenez un expert

Si vous avez réussi à déterminer un ingrédient ou une senteur que vous adorez, n’hésitez pas à sentir et comparer tous les parfums qui revendiquent la matière en question. Plus vous sentirez, plus vous comparerez, plus votre nez sera capable de distinguer l’exception de la médiocrité. C’est magique de s’entraîner à sentir: on voyage dans nos souvenirs, des images apparaissent et l’on affûte ses sensations. Inutile d’avoir un orgue à parfums pour vous exercer. Sillonnez les boutiques et les corners des marques de niche dans lesquels les vendeu.ses.rs ont plus de temps à consacrer à chaque client. Demandez des échantillons quand c’est possible et continuez à comparer une fois de retour chez vous.

Voilà, j’espère que ces conseils notés au cours de la soirée chez Frédéric Malle vous aideront à y voir plus clair. Et surtout à sentir plus juste !