Perfumer H

Perfumer H

Perfumer H

Ca faisait longtemps que je n’avais pas été aussi émue en sentant des parfums. Je suis comme une pâtissière qui aurait mangé trop de gâteaux (l’image n’est pas anodine vu le contexte post fêtes de Noël et les autres trente six mille bonnes raisons de picoler dernièrement), je suis devenue blasée de la mouillette. Pas celle qu’on trempe dans les œufs à la coque. Celle, en papier, qu’on utilise pour découvrir un parfum. Bien sûr, il y a de jolies découvertes. De belles compositions qui me plaisent le temps d’une semaine ou deux. C’est déjà mieux que celles que j’ai envie de balancer par la fenêtre. Et malheureusement, croyez-moi, il y en a. Je n’en reviens toujours pas du nombre de millions investis dans des fragrances qui puent. Chaque mois, on en discute entre journalistes « beauté » et on se raconte la longue liste de nos déceptions olfactives. Les jus collants, saturés en rose synthétique, overdosés en sucre glace, garnis de vanille comme des choux à la crème… Et toujours ces mêmes ingrédients – musc blanc, ambroxan, iso E super, hedione – qui forment la colonne vertébrale de tout ce que vous sentez aujourd’hui. Evidemment, il y a les marques de niche pour nous emmener, parfois, ailleurs. Mais, ne vous fiez qu’à votre nez, car derrière certains packagings irréprochables, il y a parfois de grosses daubes qui coûtent trois francs six sous à réaliser et qu’on vous vend 200 euros les 50 millilitres.

Photographies lili barbery-coulon

Lyn Harris est mon amie. Vous allez dire que ce post n’est par conséquent pas du tout objectif. Vous aurez sans doute un peu raison. Néanmoins, il se trouve qu’en plus de bien me connaitre, Lyn compose des senteurs qui trouvent toujours un écho en moi. J’aimais déjà beaucoup ses créations pour Miller Harris, la marque qu’elle a fondée et qu’elle a quittée depuis. Lyn a longuement réfléchi avant de revendre Miller Harris, puis un jour, elle a trouvé la force de sortir de cette histoire qui ne lui convenait plus. Elle s’est brusquement retrouvée avec du temps pour elle. Et du temps, c’est justement ce dont elle avait manqué le plus. Elle l’a d’abord dédié à sa famille. Du départ pour l’école où elle accompagnait son fils jusqu’à l’heure de la sortie en milieu d’après-midi, elle s’est mise à faire de longues marches avec son chien dans les jardins du Nord de Londres où elle vit. Et pendant ces promenades, des formules lui sont apparues. Des parfums libérés du moindre objectif. Pas de client à séduire, pas de catalogue à construire, pas de but commercial. Juste l’envie de s’exprimer pour le plaisir. La marque Perfumer H est née ainsi. Dans l’enthousiasme et les retrouvailles avec une liberté totale.

Photographies lili barbery-coulon

Ouverte fin juillet 2015 dans le quartier ultra chic de Marylebone à Londres, la boutique Perfumer H ressemble infiniment à sa créatrice. Lyn a fait appel au cabinet d’architecte d’intérieur Retrouvius pour l’aider à concevoir l’espace. Ces architectes ont la particularité de recycler tout ce qu’ils chinent, y compris des tables en bois ancien qu’ils découpent et transforment en étagères. Ces matériaux vintage qui se mélangent aux bois plus récents et au métal donnent la sensation que l’endroit a toujours existé. On a instantanément envie de s’installer dans les fauteuils en velours pour boire un thé et prendre le temps de sentir les formules alignées aux murs.

Photographies lili barbery-coulon

Sur les étagères, on trouve plusieurs types de flacons. De sublimes bouteilles réalisées par le souffleur de verre Michael Ruh, dont Lyn admirait le travail depuis longtemps. Lorsqu’elle a découvert la gamme de couleurs qu’il lui proposait, elle a décidé de les garder toutes. Ce sont ces flacons qui lui ont inspiré l’idée de parfums saisonniers (the Seasonnal). Explication : chez Perfumer H, vous pouvez entrer et acheter l’un des parfums mis en avant dans l’un de ces flacons. En ce moment, il y en a cinq choisis par Lyn. Au fil de l’année, cette sélection va changer et Lyn puisera dans sa bibliothèque de créations d’autres fragrances évoquant la saison du moment. Cette bibliothèque de senteurs – The Laboratory Editions – n’est pas confinée dans une pièce secrète. Elle se constitue de 25 parfums, répartis dans cinq familles de senteurs. Si vous avez un coup de cœur pour l’un de ses parfums, vous pouvez demander à ce qu’on vous remplisse un flacon dans une bouteille de Michael Ruh. Vous pourrez si vous le souhaitez faire graver vos initiales sur le flacon et la boîte. Imaginons à présent que vous soyez perdu(e) face à toutes ces nouveautés et que vous ayez envie d’un service plus exclusif. Vous pouvez alors prendre rendez-vous avec Lyn qui s’engage à passer deux heures pour vous aider à choisir le parfum qui vous ressemble le plus. A l’issue de ce tête à tête, vous pourrez acheter la formule afin qu’elle vous appartienne définitivement. Personne d’autre que vous ne pourra alors acquérir ce parfum qui sera retiré de la vente. Ce service est très cher – 5000 livres – mais il offre une alternative plus rapide et moins onéreuse aux parfums « sur mesure » que Lyn propose depuis toujours (15 000 livres et plusieurs mois d’attente et de rendez-vous réguliers à la clé). Je comprends pourquoi certains clients ultra privilégiés ont envie de ce genre de personnalisations. En ce qui me concerne cependant, je n’ai jamais eu envie d’un parfum sur mesure. Il m’est arrivé qu’on me propose de tester ce genre de service et je n’avais aucune idée de ce que je voulais. J’ai souvent atterri à la fin avec une pâle copie de Cristalle ou du 19 de Chanel que j’avais cités pendant les entretiens. Il faut à mon avis avoir beaucoup d’argent, beaucoup de temps, beaucoup de fantaisie et une envie irrépressible de trouver un nouveau parfum pour apprécier le sur mesure.

Photographies lili barbery-coulon, la collection des Laboratory Editions

Après m’avoir raconté la genèse de Perfumer H, Lyn m’a invité à sentir quelques unes de ses créations. Ca m’a fait le même effet que si le conservateur du Victoria and Albert Museum m’avait autorisé à essayer tous les bijoux de la famille royale. Il y a ce nuage d’angélique, de graine d’ambrette et de vétiver que Lyn a appelé « Rain Cloud », une vapeur douce qui bascule tendrement vers les fleurs blanches et l’iris. Un autre flacon et c’est une autre apparition : cette fois, celle d’un livre ancien avec « Ink » et ses effluves de cèdre, de poivre et de papyrus. Vous fondrez peut-être pour la senteur de sous-bois chyprée baptisée « Moss » qui est en vitrine actuellement. Ou peut-être pour « Héliotrope », un genre de baume très doux, amandé, vanillé, avec une touche de fève tonka et de fleur d’oranger, comme un caramel délicat qui fondrait pendant des heures dans la bouche. J’ai aussi beaucoup aimé Leather, son best-seller du moment, un accord ambré, lavandé, musqué, aussi souple qu’une peau d’agneau, et cette élégance altière issue de la graine d’angélique et d’une touche d’iris. J’étais en transe. Même sa collection de roses m’a plu (ce n’est pourtant pas mon truc, c’est la fleur que j’aime le moins). Elle en a cinq et je ne sais plus le nom de celle que j’ai préféré mais elle sentait la carotte, l’hibiscus et le rouge à lèvres comme un baiser qui claque. Enfin, je suis tombée raide dingue de Velvet. Je me sens un peu chez moi avec cette senteur. Sans doute parce qu’elle est très verte et que je suis obsédée par ces notes qui tissent un fil conducteur dans ma salle de bain. Et puis il y a cette mousse duveteuse et humide qui me rappelle les promenades en forêt, les feuilles froissées et le bois qui craque sous les pieds… Quant à la Cologne, elle est tellement racée, tellement surprenante avec ses accents de basilic, de menthe et de bourgeon de cassis. Ca m’a fait un bien fou de sentir toutes ces merveilles. De retrouver l’excitation de la découverte.

Photographies lili barbery-coulon. En haut, Lyn Harris, en bas, la vue sur le petit laboratoire où sont pesées et préparées les formules. Lyn dispose d’un autre labo, plus grand, au sous-sol.

Perfumer H n’est pas encore disponible en France. Je suis certaine que ça viendra. En attendant, il vous faudra vous rendre à Londres pour découvrir ces parfums. Les prix démarrent à 175 livres le flacon rempli de 100ml, vendu avec deux petits vaporisateurs de voyage. Certains parfums sont plus chers à cause de leurs ingrédients. Les bougies sont vendues 90 livres et elles sentent divinement bon. 106a Crawford Street, London W1H 2HZ, Tel: + 44 207 258 7859

Photographies lili barbery-coulon