Iunx
Photographie Lili Barbery-Coulon

Iunx

Iunx

La rue de Tournon est officiellement devenue un lieu de perdition comme le soulignaient plusieurs lectrices ces derniers jours. C’est désormais l’avenue Montaigne des amateurs de raffinement. Ma vision du luxe véritable. Sur quelques mètres entre le Sénat et la rue Saint Sulpice, sont alignés – dans le désordre – la créatrice de joaillerie Marie-Hélène de Taillac, la magnifique boutique Bonpoint (rendez-nous Nanashi, j’adorais y aller le midi !), Oh My Cream pour refaire le plein de Lait Onctueux Capital de Joëlle Ciocco et Astier de Villatte dont je parlais hier. Dans le prolongement, rue de Seine, il y a aussi Cire Trudon qui vient de se refaire une beauté, le chocolatier Pierre Marcolini, les experts du thé japonais Jugetsudo et la pâtisserie traditionnelle de Gérard Mulot… De quoi pulvériser son compte en banque en une après-midi. Aujourd’hui, j’ajoute une pierre à cette pyramide du bon goût avec la boutique Iunx, ouverte dans la plus grande discrétion, il y a un peu moins d’un an.

Photographie lili barbery-coulon. Il y a un jeu des textures très intéressants chez Iunx: le bois mat, la laque, les étuits en caoutchouc onyx eux aussi…

Vous avez certainement déjà entendu parler de cette marque de parfums née en 2003. A l’origine, elle était installée rue de l’Université dans le 7e arrondissement, juste à côté du showroom Farrow and Ball. Il y a treize ans, en dehors de Frédéric Malle rue de Grenelle et de Serge Lutens dans les Jardins du Palais Royal, il n’y avait pas foule dans le secteur du parfum de niche. Cette année-là, je quittais mon boulot d’attachée de presse pour devenir journaliste et j’écrivais mes premiers papiers parfums pour le magazine Vogue. Je ne connaissais quasiment rien à ce monde opaque. La boutique m’était apparue comme un ovni. Je me souviens de points d’eau à la japonaise et de noir du sol au plafond. Mais surtout d’une machine ahurissante qui distribuaient des mouillettes imbibées du parfum de notre choix lorsqu’on appuyait sur un bouton. Issue d’une association entre le groupe Shiseido, le parfumeur Olivia Giacobetti, Fabienne Conte-Sevigne et le photographe Francis Giacobetti, la marque est née avec de grandes ambitions. Celle de vendre des senteurs épurées à une époque où les gourmands colonisaient la parfumerie de masse et où les orientaux cartonnaient chez les indépendants. Quant aux flacons gigantesques, peu importe s’il semblait difficile de voyager avec eux. Iunx était déjà un manifeste d’insoumission aux règles marchandes.

Photographie lili barbery-coulon. J’adore la manière dont on sent les bougies sur des « mikados » trempés dans la cire

En 2006, les trois créateurs ont repris la main sur la marque qu’ils avaient imaginé ensemble. Shiseido s’est retiré et je ne sais plus bien quand la boutique de la rue de l’Université a fermé mais brusquement on n’a plus vraiment entendu parler de Iunx. Un jour, je me suis aperçue que les parfums avaient survécu et qu’ils étaient toujours en vente dans la boutique de l’hôtel Costes. Et puis, en sortant de chez Astier de Villatte samedi, je suis tombée sur leur nouvel espace inauguré l’été dernier et j’ai eu envie d’aller tout ressentir, intriguée par l’envoi récent d’une édition collector improbable d’un millimitre de parfum en forme de goutte d’eau.

Photographie lili barbery-coulon. Les très grands flacons

En entrant, on a l’impression de quitter Paris pour un autre pays. Une escapade japonisante, sans doute à cause du noir et du blanc déclinés dans les moindres recoins. Je ne suis pas vraiment sensible à ce genre de décor impeccable. Néanmoins, les parfums sont si innovants qu’il faut absolument promener son nez dans les corolles à sentir d’Iunx. D’autant que les fragrances existent désormais dans des flacons de voyage bien plus abordables et nettement plus pratiques que les grands formats.

Photographie lili barbery-coulon. La parfumerie Iunx à l’entrée

Je n’ai jamais eu la chance de rencontrer la très secrète Olivia Giacobetti. Je n’ai vu que des photos d’elle et nous avons échangé une ou deux fois par email pour des articles. Rien de plus. Pourtant, ses créations me donnent terriblement envie de la connaître. En plus des parfums et des bougies Iunx, ce nez a composé un paquet de merveilles, comme En Passant de Frédéric Malle, Philosykos de Diptyque, Premier Figuier de l’Artisan Parfumeur et des cires parfumées pour Byredo. Indépendante et visiblement insoumise, elle ne s’est jamais prêtée aux compétitions qui permettent de décrocher les block-busters olfactifs. Elle s’est retirée de ce jeu-là, préférant une parfumerie intimiste qui murmure sur la peau. Chez Iunx, les parfums qu’elle a imaginées il y a déjà treize ans n’ont pas pris une ride. On sent son écriture acérée, sa manière de vouloir dire une chose à la fois et distinctement, son goût pour la matière première qu’elle soit naturelle ou synthétique. Vapeurs de draps élimés par le tambour de la machine avec Eau Blanche, effluves de céréales et de miel avec Eau Baptiste, gingembre râpé et poivré avec Eau qui Pique : autant de téléportations olfactives vers un territoire d’extrême délicatesse. Quant aux bougies, elles sont dingues. Inclassables, elles se permettent des accents de pressing, de dates savoureuses, de fusain sur le papier… Fermez les yeux et laissez-vous absorber par ces voyages immobiles. Il y a du travail et beaucoup de passion derrière toutes ces créations !

Photographie lili barbery-coulon. Les fameuses corolles en papier dans lesquelles il faut plonger son nez pour découvrir les parfums

Iunx, 13 rue de Tournon, Paris 6e, Tel : + 33 1 42 02 53 52. Entre 60 et 70€ le vaporisateur de voyage rechargeable selon les parfums, 47€ la bougie de 215grs.