Lyn Harris
Photographie Lili Barbery-Coulon

Lyn Harris

Lyn Harris

Photographies lili barbery-coulon

Nouvelle rubrique de Ma Récréation, In The Lab s’immisce dans le laboratoire des créateurs de beauté. L’occasion de découvrir les coulisses de fabrication d’une formule, l’inspiration à sa source, l’histoire cachée derrière nos produits préférés. C’est à Notting Hill que je me suis rendue la semaine dernière pour inaugurer cette nouvelle série de portraits in situ, au sous-sol de la boutique Miller Harris, dans le laboratoire du parfumeur anglais Lyn Harris. Là où sommeillent les accords qui atterriront probablement sur les comptoirs à l’étage, elle reçoit ses clients en quête d’une essence sur mesure. Emmitouflée dans un gros pull Margiela, silencieuse et concentrée, elle respire les solutions pesées par son assistante, les yeux rivés sur le jardin à l’entresol. Autour d’elle, des centaines de matières parfaitement alignées, quelques fleurs dessinées à la craie sur les murs, des bidons d’huile d’olive espagnole, des photographies de son fils et une bande son continue qui nourrit chacune de ses créations.
A quel moment avez-vous su que vous souhaitiez devenir parfumeur ?
Lyn Harris : J’ai grandi à la campagne dans le nord de l’Angleterre et j’allais souvent dans la ferme de mes grands-parents écossais. Mon grand-père fabriquait des meubles en bois, ma grand-mère cuisinait les meilleures confitures au monde, on jouait avec ma sœur dans leur potager, habillées avec les vêtements que ma grand-mère imaginait dans des tissus liberty. J’étais nulle à l’école et les moments passés en Ecosse me ressourçaient profondément. Encore aujourd’hui, il n’y a pas une journée sans que je repense à ces odeurs, à cette atmosphère si inspirante. Puis, adolescente, j’ai travaillé dans une petite parfumerie pour me faire un peu d’argent de poche. Je me souviens de la haute bourgeoisie en fourrure à qui je vendais Jicky et Mitsouko de Guerlain. J’adorais leur parfum. J’ai suivi ma sœur à Londres mais je n’avais envie que d’une chose : devenir nez. J’ai lu un livre qui parlait de Monique Schlinger, fondatrice de la société française Cinquième Sens, et je l’ai appelée pour lui demander de me former.
Mais vous êtes aussi allée à Grasse ?
Lyn Harris : Oui, Monique voulait absolument m’envoyer à Grasse chez Robertet pour enrichir ma formation. Je connaissais bien la Bretagne et la Vendée où mes parents avaient une maison de vacances mais le sud est arrivé comme un choc. J’étais à la fois fascinée par la richesse de la nature et attristée par l’industrie du parfum sur place qui semblait très déprimée. J’ai compris immédiatement que je voulais rester indépendante et créer mes propres fragrances pour éviter de sombrer dans la même dépression. J’ai formulé pour quelques créateurs de mode et quelques grandes marques américaines et j’ai lancé Miller Harris en 2000.
 

Photographieslili barbery-coulon. De haut en bas, de gauche à droite: les coussins imprimés Miller Harris, son diplôme de parfumeur anglais et le jardin de la boutique qu’elle aperçoit du sous-sol.

Il n’y a pas beaucoup d’images dans votre laboratoire, de quoi vous inspirez-vous ?
Lyn Harris : La nature m’inspire plus que tout. Et je fonctionne surtout avec mon imagination, je ne relie pas directement mes créations olfactives à des photographies ou à des illustrations. Il me suffit parfois d’une expérience pour tisser un accord. Comme en Espagne, où je me suis rendue pour rencontrer les fabricants d’une huile d’olive exceptionnelle que je vends en version parfumée dans mes boutiques : ils brûlaient des branches de ciste labdanum et cette fumée est devenue une véritable obsession. En rentrant ici, j’ai commencé à associer ce ciste à du santal de Mysore, du bouleau, de l’encens et de la cardamome… Je voulais retrouver cette odeur rêvée et le parfum La Fumée est né.
Vous écoutez de la musique dans votre laboratoire. Vous en avez besoin pour créer ?
Lyn Harris : Oui, toujours. J’aime les symphonies d’Henryk Gorecki, les compositions d’Erik Satie, des groupes beaucoup plus modernes comme Swayzak ou Murcof, mais aussi du reggae – Burning Spear entre autres -, les Toots and The Maytals et l’album The Freewheelin’ de Bob Dylan qui m’inspire beaucoup actuellement.
 

Photographies lili barbery-coulon. De gauche à droite: les mini bougies que Lyn Harris fera brûler le soir même pour vérifier leur diffusion, la table des matières premières dont elle se sert pour guider sa clientèle « sur mesure », ses mouillettes trempées le jour même sur son bureau, et son mood board au dessus de son ordinateur…

Certaines matières vous obsèdent-elles?
Lyn Harris : Je suis folle de vétiver haïtien. Je l’ai toujours adoré car il possède des facettes très différentes, fruitées, vertes, végétales, terreuses ou aussi humides qu’une averse un jour d’été. Parfois, il prend des accents de transpiration, de cheveu ou de peau brûlante. J’en mets dans tous mes parfums. Il y en avait déjà dans mon tout premier Terre de Bois et je lui ai aussi rendu hommage avec Vetiver Bourbon. J’aime aussi l’absolu d’ylang ylang, une matière magique, absolument parfaite dans un bouquet de fleurs blanches si l’on cherche à obtenir une sensation de vapeur tropicale. La graine d’ambrette fait également partie de mes favoris parce qu’elle est douce et qu’elle diffuse intensément. C’est un musc naturel qui est d’une délicatesse infinie et qui offre une aura aux créations. On en trouve dans Figue Amere ou Fleurs de Sel. Et puis, je suis dingue de graine d’angélique qui est aussi épicée qu’onctueuse et d’iris, un caméléon qui embellit les accords chyprés comme les orientaux.
Vous travaillez sur quoi aujourd’hui ?
Lyn Harris : Je termine un parfum sur mesure pour une de mes clientes qui est venue avec une petite fiole de parfum ancien qu’elle voulait que je reproduise à la lettre. J’ai réussi à la convaincre de le moderniser un peu afin d’apporter une touche plus personnelle et je finalise les derniers réglages. Et puis, on teste avec mon assistante cinq nouveaux parfums qui vont entrer dans la collection Les Nouvelles Editions en 2012. Une rose hespéridée, une association d’iris et d’ambrette, une lavande boisée, un jasmin qui me ressemble beaucoup… Mais il faudra revenir dans quelques mois pour les découvrir dans leurs flacons. Juste à l’étage au dessus…
 

Photographies lili Barbery-coulon. De haut en bas, de gauche à droite: Lyn en train de courir de son bureau à ses flacons de matières premières, la balance qui permet de peser les formules, l’eau de fleur d’oranger qu’elle chérie…

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