François Demachy
Photographie Lili Barbery-Coulon

François Demachy

François Demachy

Photographies lili barbery-coulon. En haut, François Demachy préparant les mouillettes qu’il voulait me faire sentir. En bas: les centaines de formules inachevées sur son bureau.

Des champs de jasmin à Grasse où il est né, François Demachy a gardé un léger accent chantant. Et une obsession des belles matières. Parfumeur-Créateur des Parfums Dior depuis déjà six ans, il milite activement pour l’utilisation d’ingrédients d’exception comme en témoigne chaque opus de la Collection Privée Christian Dior qu’il a lancée en 2010. D’ailleurs, il ne voyage jamais sans rapporter des matières locales, des épices de Zanzibar ou des variétés rares d’agrumes en Italie qui lui inspireront peut-être ses créations de demain. Débordé à longueur d’année, il a accepté de me recevoir dans son bureau du huitième arrondissement parisien et de me faire visiter les moindres recoins du laboratoire. Un privilège que je partage aujourd’hui avec vous.
 A quel moment avez-vous su que vous vouliez devenir parfumeur ?
François Demachy : Je suis devenu parfumeur par hasard. Mais étant né à Grasse, cela semblait assez logique. Si j’étais né à Romans en Isère, j’imagine que j’aurais fini dans la chaussure. J’ai grandi entouré d’odeurs, en contact direct avec la matière, les champs de fleurs comme les vapeurs de solvant. Lorsque j’étais enfant, la ville de Grasse vivait au rythme des récoltes et des extractions de matières premières, quel que soit le quartier. J’imagine que ça a du agir sur moi.

Photographie lili barbery-coulon. Le cahier dans lequel François Demachy classifie toutes les matières avec lesquelles il travaille par famille. Ici, la famille épicée…

Du coup, vous vous êtes lancé dans des études pour devenir parfumeur ?
François Demachy : Pas du tout. Mon père m’a envoyé à l’usine pour travailler pendant les vacances d’été. J’ai commencé au plus bas de l’échelle car il ne supportait pas que je ne fasse rien de mes journées. Il était pharmacien et il fabriquait sa propre Cologne, l’Eau de Grasse Impériale Demachy, dont je garde précieusement un flacon dans mon bureau. Il avait un alambic et beaucoup de produits chimiques que j’étais habitué à ranger et à manipuler lorsque je lui donnais un coup de main. A l’époque, les pharmacies avaient encore l’allure d’apothicaires et nourrissaient de nombreux liens avec la parfumerie. Il était assez sévère et me destinait à des études de médecine ou paramédicales. C’était pour lui une suite logique après mon frère aîné, qui réussissait brillamment. Mais j’adorais m’amuser et je n’étais pas franchement enthousiaste à l’idée de devenir dentiste. Entrer dans une usine de parfums m’a permis de voir tous les métiers de l’extraction, d’apprendre les matières premières en les travaillant. J’ai vu comment on distillait, comment on fabriquait certains produits. Et j’ai aussi beaucoup appris en observant toute la hiérarchie d’une usine.
Est ce que cette expérience a façonné votre rapport aux matières ?
François Demachy : Absolument. Je suis capable de conduire l’extraction d’une fleur de sa cueillette jusqu’à l’obtention de sa concrète et sa transformation en absolu. De mon passage à l’usine, j’ai toujours gardé un goût particulier pour les belles matières, les naturels et pour l’aspect artisanal de ce métier. J’y ai passé quelques étés puis j’ai appris que la société Charabot était à la recherche de parfumeurs et j’ai abandonné mes études de dentiste pour me former sous la direction de Jean Cavallier, le père de Jacques Cavallier, qui est né comme moi à Grasse et qui vient juste de s’installer dans le bureau à côté du mien (NDRL : Jacques Cavallier-Belletrud a été nommé au début de l’année 2012 parfumeur créateur de la future ligne de parfums Louis Vuitton). C’était très difficile au début, il fallait apprendre à répertorier toutes les odeurs par famille selon une classification très hiérarchisée. Une logique que j’ai toujours conservée dans ma façon de formuler. Je continue d’ailleurs de noter dans le même cahier les noms des produits, synthétiques ou naturels, qui m’évoquent la palette des odeurs que j’ai besoin d’exprimer dans mes créations.
 

Photographie lili barbery-coulon. Des morceaux d’ambre gris véritable.

A quel moment avez-vous créé votre premier parfum ?
François Demachy : J’adorais le mois d’août car comme il y avait beaucoup d’employés en vacances, on nous laissait faire plus de choses. Je me souviens de la première étude qu’on m’avait confiée : il fallait créer un parfum pour donner de l’appétit aux animaux. J’ai lu des ouvrages qui disaient qu’ils étaient attirés par la réglisse. Et j’ai fait une odeur de réglisse. Pendant trois ans, les briefs se sont enchainés. On formulait tout du bout du nez, on devait créer des contretypes et on m’a même demandé de fabriquer un mille fleurs. Dans les sociétés de parfums, il existe des cuves dans lesquelles on verse tous les essais ratés. Le mélange s’appelle un mille fleurs. C’est un joli nom mais c’est un vrai casse-tête lorsqu’il s’agit de reproduire un parfum qui contient autant de composants olfactifs. Cependant, cette expérience m’a permis de m’intéresser à la chromatographie et d’utiliser mon petit bagage scientifique.
Vous pouvez nous expliquer ce qu’est la chromatographie ?
François Demachy : Il s’agit d’un appareil qui permet de donner un aperçu des composants majeurs d’une formule. A l’origine, c’était un peu comme un buvard. Une goutte de parfum versée sur ce papier forme des auréoles. Elles ont des diamètres différents en séchant et nous indiquent quels sont les groupes de molécules les plus représentatifs du parfum. Plus récemment, cette technique a évolué avec l’industrie pharmaceutique et aujourd’hui, on obtient des résultats de plus en plus précis. Mais il s’agit toujours de déduction et d’analyse. Il faut s’enlever de la tête le fantasme de l’ordinateur qui décrypte une formule comme s’il connaissait tous les secrets de son créateur. L’approche scientifique n’a de sens que si elle est traduite par un être humain avec toute sa subtilité.

Photographie lili barbery-coulon. L’Eau de Grasse Impériale Demachy, créé par son père pharmacien à Grasse.

Et qu’avez-vous fait à la sortie de l’école Charabot ?
François Demachy : Henri Robert, le parfumeur maison de Chanel de l’époque, connaissait toutes les usines de Grasse. Il cherchait des jeunes parfumeurs et j’ai passé un concours. Je suis restée 28 ans chez Chanel et en 2006, j’ai intégré les Parfums Christian Dior en tant que Parfumeur-Créateur. Ca fait déjà six ans cette année !
Parlez-nous du processus de création. Quelles sont vos sources d’inspiration ?
François Demachy : Pour certaines lignes comme la Collection Privée de Christian Dior, je travaille sans brief, sans deadline ni limite budgétaire et je m’inspire du patrimoine de Monsieur Christian Dior. Pour les escales, je me laisse guider par mes propres voyages et les matières que j’affectionne. Pour d’autres projets, il arrive que la demande soit un peu plus précise et que le délai soit défini à l’avance. Je suis du genre à ne pas savoir m’arrêter, je ne suis jamais satisfait de mes créations. Donc, c’est bien d’avoir quelques échéances. 80% de mon temps est consacré à Dior. Je passe le reste à participer à quelques projets LVMH qui me tiennent à cœur, comme ma collaboration avec le Directeur Artistique du prêt à porter Givenchy, Ricardo Tischi, sur la création de Dalhia Noir ou bien mes interventions sur les parfums Acqua Di Parma, une maison dont j’affectionne les valeurs. Je travaille toujours sur plusieurs formules en même temps. D’abord parce que c’est nécessaire avec le grand nombre de parfums que nous lançons chaque année. Aussi parce que cela permet de laisser une piste reposer puis de la reprendre au moment opportun, une fois qu’elle a muri dans votre tête. Je pense toujours au rapport que le parfum entretient avec la peau.
 

Photographie lili barbery-coulon. Un des nombreux tableaux de Maurice Ehlinger accrochés dans son bureau

C’est pour cette raison qu’il y a autant de femmes dénudées sur les murs de votre bureau ?
François Demachy : (NDRL : il sourit) J’admire les œuvres du peintre Pierre Bonnard pour sa capacité à transcrire l’extrême sensualité de la peau. J’aime beaucoup le travail du peintre Maurice Ehlinger dont vous voyez ici quelques tableaux. C’est cette danseuse avec son tutu vaporeux qui m’a inspiré pendant toute la création de Miss Dior Eau Fraîche. J’avais envie de reproduire olfactivement cette légèreté. Cette innocence. Et j’essaie de toujours garder à l’esprit l’idée qu’un parfum ne prend vie que lorsqu’il rencontre la peau. Sans elle, il n’y a que des flacons muets qui attendent sur un bureau.
Avez-vous des matières fétiches dont vous ne pouvez pas vous passer ?
François Demachy : J’aime infiniment le patchouli parce qu’il très connoté. Il peut même avoir une facette underground, une mauvaise réputation. J’aime aussi l’ambre gris dont je garde quelques blocs sur cette étagère. (NDRL : l’ambre gris est une déjection du cachalot qui sèche pendant des mois dans l’eau de mer et qui ressemble à une pierre grise lorsqu’on le trouve au bord de la plage. Ca n’a rien à voir avec la pierre d’ambre inodore qu’on met autour des cous des enfants pour leur éviter d’avoir mal aux dents). Je suis très heureux d’avoir convaincu la Maison Dior d’en utiliser à nouveau dans ses parfums. C’est une matière qui est fascinante car elle est aussi animale que subtile. Elle est chaude, iodée, cuirée, complètement addictive. Et l’on n’a pas besoin de tuer d’animal pour la récolter, au contraire, plus il y a de cachalots, plus ils produisent de l’ambre gris. Cependant, cela reste un produit rare et précieux. Il suffit de respirer les vapeurs d’un petit morceau et l’on part en voyage à l’autre bout du monde. Et puis, en étant né à Grasse, j’ai évidemment un goût prononcé pour la rose et le jasmin.
D’ailleurs vous dites souvent que vous ne concevez pas la parfumerie féminine sans fleur.
François Demachy : Oui, c’est difficile de faire un parfum sans en utiliser. Et puis cela correspond totalement à l’histoire de Christian Dior qui cultivait ses roses dans son jardin en Normandie. Il les adorait et a lancé sa première collection de prêt à porter en même temps que sa ligne de parfums. C’était résolument visionnaire. Mais je n’aime pas que les fleurs. J’ai une passion pour les épices que j’ai redécouvertes à Zanzibar où je suis déjà allé à plusieurs reprises. J’adore sentir les parfums in situ, dans leur environnement d’origine. Le jasmin à Grasse auquel je rends hommage dans Grand Bal (NDRL : création tout juste sortie dans la Collection Privée de Christian Dior). L’encens en Inde qu’on achète en gros sachets sur les marchés. (NDRL : il sort un sachet de larmes d’encens très odorant d’un placard). Je l’ai rapporté d’un de mes voyages. Un produit comme celui-ci est absolument magique, une fois qu’on a mémorisé sa qualité, on ne peut plus l’oublier. C’est pourquoi une grande partie de mon travail consiste à m’assurer de la noblesse des ingrédients utilisés dans nos formules. Une manière de renouer indéfiniment à mes débuts à l’usine…

Photographies lili barbery-coulon. Le laboratoire de création des Parfums Dior. On y retrouve une photographie de Monsieur Christian Dior, des centaines de flacons et des formules en train d’être préparées sous nos yeux…