Christophe Raynaud
Photographie Lili Barbery-Coulon

Christophe Raynaud

Christophe Raynaud

J’ai rencontré le parfumeur Christophe Raynaud il y a pile trois ans, lorsque je suis partie en Inde dans les champs de jasmin sambac et de tubéreuse. Avant ce séjour, nous nous étions déjà croisés plusieurs fois lors de lancements presse. Mais cette semaine passée à traverser le Tamil Nadu, de Madurai à Coimbatore, à bord d’un autocar brinquebalant jouissant d’une climatisation très variable, nous a définitivement soudés. A l’époque, Firmenich, la société de parfums qui emploie Olivier, avait organisé un voyage pour quelques-uns de ses créateurs les plus prestigieux et une demi douzaine de journalistes, afin de nous faire découvrir les partenariats développés avec des producteurs locaux. On a passé des heures sur la route, épuisés par le décalage horaire et les levers à l’aube. On a beaucoup échangé au sujet de notre passion commune pour le parfum. Je me souviens qu’il sentait toujours délicieusement bon – un genre de Cologne à l’orange amère – un exploit dans les conditions de notre périple. Quelques mois plus tard, ce parfum qu’il avait composé pour lui-même, a séduit les deux fondateurs d’Astier de Villatte, Ivan Pericoli et Benoit Astier de Villatte, qui lui ont demandé cette formule et l’ont baptisée « Splash Orange Amère ». Auteur de fragrances à succès (One Million de Paco Rabanne, La Nuit Trésor de Lancôme, Chrome Legend d’Azzaro…), il est l’une des personnes les moins blasées et les plus enthousiastes que je connaisse dans ce milieu. En devenant parfumeur, ce Parisien a réalisé un rêve et plutôt que de se plaindre de toutes les contraintes qui empêchent aujourd’hui les créateurs de composer des essences en toute liberté, il préfère cultiver son émerveillement continu. Il vient d’ailleurs de mettre au point la très jolie formule Eau d’Initiée pour la marque de mode Exemplaire Paris ainsi que Tubéreuse de Madras pour Boucheron, souvenir olfactif de notre périple en Inde… Rencontre.

Photographie Lili Barbery-Coulon.
Dans le bureau de Christophe Raynaud

Quelles ont été les émotions olfactives qui t’ont conduit à devenir parfumeur?
Christophe Raynaud :
J’ai énormément de souvenirs olfactifs mais, lorsque j’étais enfant, je n’imaginais pas devenir parfumeur. Je ne suis pas Grassois. Je suis Parisien. Aucune personne de mon entourage ne travaillait dans cette industrie. Quand j’étais ado, mon meilleur ami avec qui je faisais les quatre cent coups rêvait de créer sa propre marque de mode. On s’imaginait, lui dessinant les vêtements, moi les parfums. J’avais une méconnaissance totale de ce métier. Je pensais qu’Yves Saint Laurent et Christian Dior composaient eux-mêmes leurs parfums. J’ai commencé à piquer les échantillons que ma sœur collectionnait, à lire des livres sur le sujet, et mon intérêt pour l’olfaction n’a cessé de grandir.

Tu te souviens des parfums qui ont marqué ton enfance?
Christophe Raynaud : Ma mère se parfumait beaucoup, avec des trucs très puissants. Ma sœur portait Habanita de Molinard qui m’a beaucoup marqué. Quant aux parfums de ma mère, je me souviens d’Ysatis de Givenchy, d’Anaïs de Cacharel, et de tous les grands succès des années 1980… Adolescent, j’avais la certitude que je voulais faire ce métier. Ma mère a découvert l’existence de l’Isipca dans une brochure d’orientation destinée aux étudiants. Lorsque j’étais au lycée, j’ai réussi à faire un stage chez L’Oréal, qui avait à l’époque un labo de création. J’ai alors compris ce qu’était l’industrie de la parfumerie. On m’a expliqué le fonctionnement des sociétés de parfums comme IFF, Firmenich, Givaudan ou encore Mane qui composent et fabriquent les fragrances pour les marques… On m’a décrypté le métier de parfumeur. J’ai mieux compris ce qui m’attendait.

Pour entrer à l’Isipca, l’école de parfumerie à Versailles, tu as d’abord fait des études de chimie du coup ?
Christophe Raynaud :
Hélas ! Je me suis cogné deux ans de chimie où j’ai fait le minimum syndical. Je n’aimais pas ça, ça ne m’intéressait pas. L’Isipca devrait d’ailleurs prendre des gens qui ont un cursus différent, qui viennent de l’art et des lettres. L’esprit de la chimie n’est pas une garantie en matière de créativité. Ces années d’études en chimie ont été très laborieuses en tout cas. Je suis entré à l’Isipca en 1990 où j’ai été très heureux. J’étais dans mon élément. Je m’éclatais. J’ai fait mon premier stage chez Créations Aromatiques (NDLR : une société absorbée depuis par Symrise) avec le parfumeur Michel Almairac (NDLR : Michel Almairac a créé de nombreux parfums dont Chloé Signature et Fahrenheit de Dior en duo avec le nez Jean-Louis Sieuzac), une rencontre très importante. C’est une personne généreuse qui m’a donné sans compter. A l’issue de l’Isipca, Michel voulait me prendre chez Créations Aromatiques mais je devais faire mon service militaire. Après l’armée, il m’a envoyé faire de la chromatographie en Suisse, avec Christine Nagel (NDLR : la chromatographie consiste à analyser une formule afin d’en définir la composition). Elle était très douée et m’a beaucoup appris. A l’époque, il fallait détecter chaque ingrédient au nez, sans machine. Ca prenait des plombes et ça a été très formateur.

Photographie Lili Barbery-Coulon

Et comment es-tu passé de stagiaire à parfumeur ?
Christophe Raynaud :
La personne qui gérait Créations Aromatiques en France est partie pour ouvrir la filiale de Drom en France et m’a proposé de la rejoindre. Il m’a dit : «  Si vous vous occupez de créer tout le laboratoire pendant un an, je vous nomme parfumeur l’an prochain ». J’étais le premier employé. Je me souviens avoir passé mon entretien assis sur un pot de peinture. Il fallait tout installer. J’ai acheté la machine à café, l’affranchisseuse. Je me rappelle avoir vissé les dérouleurs de papier dans les toilettes. Chez Drom, c’était chez moi (rires) ! Je n’y connaissais rien mais j’ai acheté les frigos, les matières premières, les balances, les béchers, les bains-marie. Un an plus tard, j’étais apprenti-parfumeur. Et j’ai réalisé que ça allait être très long avant de pouvoir signer une création.

Pourquoi ? Tu imaginais que tu allais pouvoir créer tout de suite des trucs extraordinaires ?
Christophe Raynaud :
Oui. Les premiers briefs m’empêchaient de dormir. Aujourd’hui j’ai vieilli et j’ai beaucoup de chance car chez Firmenich, j’ai accès à tous les briefs (NDLR : les briefs en parfum sont comme des concours en architecture : une marque met en compétition plusieurs sociétés de parfums en leur livrant un « brief » et ils se battent ensuite en tentant de composer la fragrance qui sera choisie par la marque). A l’époque, le moindre petit projet me tenait éveillé. J’étais tellement excité ! Je me voyais déjà gagner avec mon parfum dans la vitrine d’une boutique. C’est important de ressentir cette excitation. D’ailleurs, le jour où on ne l’a plus, il ne faut plus faire de parfum… Je me souviens d’un parfum que j’avais composé que j’avais appelé « Jaguar Intérieur Cuir ». C’était naze comme nom, j’en ris encore. N’empêche qu’un jour, je reçois un appel de Drom qui m’annonce que ma formule a été vendue ! J’étais surpris car je ne me souvenais pas avoir reçu de brief de Saint Laurent ou de Dior. J’ai demandé quelle marque avait acheté ma composition ? Ils m’ont répondu qu’il s’agissait d’un magasin de chaussures en plastique basé en Norvège qui vaporisait mon parfum pour donner l’impression d’un soulier en cuir. C’est bien de te prendre une bonne baffe dès le départ. Ca remet les pendules à l’heure (rires) moi qui croyais que c’était tout à fait portable…

Photographie Lili Barbery-Coulon.
Une lettre d’Edmond Roudnitska, un célèbre parfumeur venu rendre visite à l’Ecole de Parfum Isipca, lorsque Christophe Raynaud y était élève

Et ensuite ?
Christophe Raynaud :
Je suis resté six ou sept ans chez Drom. J’y étais très heureux mais la société ne recevait presqu’aucun « brief » et j’avais envie de travailler pour des marques prestigieuses. D’autant qu’à l’époque, la parfumerie dite de niche n’existait pas encore. La société Symrise m’a débauché et j’ai eu l’occasion de travailler avec le parfumeur Maurice Roucel sur des fragrances intéressantes comme Insolence de Guerlain. J’ai complètement calqué ma méthodologie de travail sur la sienne : il avance en cascade, en ajoutant une matière première après l’autre plutôt que de jeter plein d’essais en même temps. C’est plus laborieux mais cela permet de savoir précisément ce que chaque ingrédient apporte et si ça vaut le coup financièrement. Exemple : si on met 0,3% d’essence de rose dans une formule, il faut que cela apporte quelque chose à la formule. Si ce n’est pas le cas, alors il faut continuer à améliorer la formule mais autrement. Maurice Roucel m’a beaucoup impressionné par sa puissance de travail. Chez Symrise où je suis resté six ans, j’ai aussi eu la chance d’observer le parfumeur Jean-Claude Ellena avant qu’il ne parte. Je les regardais, je les écoutais, je me sentais chanceux d’être à leur contact.

Photographie Lili Barbery-Coulon

Après Symrise, tu es parti travailler pour la société Quest qui a fusionné avec Givaudan ? Tu savais qu’il y allait avoir une fusion entre ces deux boites quand tu as accepté ce nouveau job ?
Christophe Raynaud :
Pas du tout ! C’était une période un peu déstabilisante. Mais j’ai commencé à signer des parfums pour de très belles marques comme Guerlain, puis Azzaro. Et puis, le moment charnière est arrivé lorsqu’on a gagné One Million de Paco Rabanne en 2007.

Tu dis « on » mais tu étais pourtant seul le jour du lancement ? Je m’en souviens, c’était à l’extérieur de Paris dans un hangar où on avait reconstitué une salle des coffres…
Christophe Raynaud :
Chez Puig, la famille espagnole à qui appartiennent les parfums Paco Rabanne (NDLR : Puig est aussi derrière les parfums Jean-Paul Gaultier, Nina Ricci, Prada, L’Artisan Parfumeur, Penhaligon’s, Valentino), on ne met qu’un parfumeur en avant le jour du lancement mais ce parfum, on l’a créé à trois avec Olivier Pescheux et Michel Girard. Je ne me suis pas aperçu immédiatement de ce qui était en train de se passer. Il faut dire qu’on s’est tellement amusé en le créant. Le concept était très amusant, c’était un vrai brief, pas une étude de marché comme celles qu’on nous propose aujourd’hui. On savait qu’il fallait sortir des sentiers battus. J’ai compris avec le succès de ce parfum que les consommateurs sont désormais en quête de diffusion. Quand on dépense environ cent euros dans un flacon, ce qui représente une somme énorme, on en veut pour son argent. On a envie d’entendre de la part de son entourage : «  Tu sens bon ». D’où l’importance de la diffusion qui est devenue une de mes obsessions.

Photographie Lili Barbery-Coulon: dans le bureau de Christophe Raynaud, trois de ses créations récentes, Tubéreuse de Madras de Boucheron, Wow! de Joop!
et Splash Orange Amère d’Astier de Villatte.

A quel moment prends-tu conscience que ça se vend plus que tout ce que tu as fait avant ?
Christophe Raynaud :
Pendant le lancement, les journalistes semblaient enthousiastes mais je pensais qu’il s’agissait d’une forme de flatterie. Je n’imaginais absolument pas le succès que ça allait devenir. J’étais content d’avoir fait un parfum pour une belle marque. Ca sentait bon. Ensuite, tout s’est déchainé. Et j’étais heureux de faire partie de cette aventure. Ce parfum a changé ma vie de parfumeur car du jour au lendemain, on s’est mis à me proposer beaucoup plus de briefs qu’avant, à m’accorder plus d’attention.

Quand as-tu quitté Givaudan pour Firmenich ?
Christophe Raynaud :
En 2012. Ça fait cinq ans que je suis chez Firmenich. Je rêvais de cette société depuis toujours, pour plein de raisons. D’abord parce qu’elle emploie des parfumeurs que j’admire – Alberto Morillas, Olivier Cresp et bien d’autres – mais aussi parce qu’elle donne accès à des matières premières d’exception. Je suis très heureux ici.

Quels sont les ingrédients qui t’obsèdent ?
Christophe Raynaud :
La feuille de violette. J’adore cette matière. J’en ai mis pas mal dans ce flacon que tu regardes (NDLR : il s’agit de Wow ! de Joop !, une marque de parfums qui cartonne en Allemagne). C’est mon ingrédient phare, à tel point qu’une de mes filles s’appelle Violette. C’est vraiment un concentré de nature. C’est vert, ça sent un peu le concombre. Ce qui est intéressant avec la violette c’est qu’on peut l’utiliser avec toutes ces notes « methyl ionones » (NDLR : une molécule de synthèse qui évoque l’iris). On peut se servir de la feuille de violette dans un parfum pour homme ou dans un parfum pour femme. Le premier parfum que j’ai porté était Grey Flannel de Geoffrey Beene, qui contient beaucoup de violette, d’où mon obsession. J’aime aussi beaucoup la tubéreuse. Le voyage que nous avons fait en Inde m’a vraiment marqué. Je m’étais juré, en rentrant à Paris, de réussir à faire des tubéreuses et de donner envie à des marques d’adopter mes compositions. Chez Boucheron qui voulait justement une évocation de voyage, j’ai récemment signé Tubéreuse de Madras. C’est formidable d’être influencé à ce point par un voyage parce qu’on n’invente pas un story telling. Il suffit juste d’aller puiser dans ses propres souvenirs. Je ne sais pas si tu te souviens qu’on allait sentir les tubéreuses sur pieds, à l’aube. Elles étaient encore un peu vertes, un peu fraiches, pas encore animales. Je voulais retranscrire cette odeur-là. J’ai également intégré cette fleur dans la formule de McQueen d’Alexander McQueen dans une version plus cuirée.

Photographie Lili Barbery-Coulon

Et en dehors des voyages où puises-tu tes inspirations ?
Christophe Raynaud :
La gastronomie m’inspire beaucoup. J’aime bien manger. Je trouve les desserts intéressants. Surtout qu’aujourd’hui, on nous demande pas mal de notes gourmandes, addictives, fruitées. C’est assez intéressant de travailler autour de ça.

Tu crois qu’on va réussir à sortir de cette période appétante, gourmande ?
Christophe Raynaud :
On n’en sortira pas. Les parfums gourmands constituent désormais une famille à part entière, ce n’est plus une question de mode.

Il existe pourtant plein d’autres familles olfactives qui coexistent. Ca me désespère que celle-là prenne le dessus sur toutes les autres.
Christophe Raynaud :
Je comprends. Les gens aiment beaucoup les notes gourmandes et elles ont la particularité d’être puissantes et diffusives. Aujourd’hui, on sent bien que les marques aimeraient en sortir. Elles aimeraient faire autre chose. On les accompagne dans ce sens tout en essayant de répondre à leur demande de créer de l’addiction. On travaille aujourd’hui aussi sur de la gourmandise salée, des notes de légumes par exemple…

Peut-être que toute la tendance de l’alimentation healthy et des cures de jus va finir par influencer la parfumerie ?
Christophe Raynaud :
C’est sûr.

Je ne suis cependant pas convaincue qu’une senteur kale/céleri rave pourrait avoir du succès (rires)…
Christophe Raynaud :
(Rires) oui, pas sûr. Mais on s’intéresse à toutes ces tendances, on goûte des jus, on essaie de s’inspirer des textures, de toutes ces histoires de céréales et de graines…

Photographie Lili Barbery-Coulon.
Le parfumeur Christophe Raynaud dans son bureau.

Nos nouvelles habitudes alimentaires vont peut-être nous conduire à aimer de nouvelles senteurs. Je pense notamment au curcuma. Je ne me souviens pas avoir connu cet ingrédient lorsque j’étais enfant. Aujourd’hui, on en retrouve dans des granolas, dans des golden lattes… C’est comme le chai. Cette boisson épicée est très à la mode aujourd’hui et son parfum s’immisce dans notre quotidien et façonne nos préférences olfactives, sans qu’on s’en aperçoive.
Christophe Raynaud :
Je suis convaincu que ces senteurs vont avoir une influence à un moment ou un autre. Faut-il encore qu’une marque ait l’audace d’aller dans cette direction.

De manière personnelle, cette famille des gourmands, ça ne me gêne pas qu’elle existe. Ce que je trouve un peu triste c’est qu’elle ait pris le dessus sur tout. Ça a créé un cercle vicieux dont on n’arrive pas à sortir. D’un côté, les marques accusent les distributeurs de ne pas leur laisser assez de temps pour s’imposer, ce qui les oblige à lancer des produits archi testés pour performer. Un peu comme dans l’industrie du cinéma : on n’a que le premier jour de sortie pour faire un succès, à 16h, on sait déjà si le film va marcher ou pas. Du coup, on tire sur les mêmes ficelles pour convaincre rapidement. Résultat : il y a une grande déception chez une partie des consommateurs qui ont l’impression de sentir éternellement la même note sucrée barbe à papa partout. Ces clients-là se sont lassés et ont fini par se détourner des « grandes marques » pour se diriger vers la parfumerie de niche qui est progressivement récupérée par les grands groupes. Elle ne fait que répondre à un besoin de différenciation olfactive.
Christophe Raynaud :
Malheureusement, sur le plan olfactif, la parfumerie de niche n’est pas toujours d’une grande originalité.

Je suis d’accord. J’en ai parfois marre de sentir la même fleur d’oranger ou la même note cuir fumé/bois de bouleau déclinée à toutes les sauces. C’est au consommateur de faire le tri, d’aller sentir, de s’intéresser à ce qu’il met sur sa peau…
Christophe Raynaud :
C’est en effet une histoire d’éducation et de curiosité. Mais dès qu’on laisse les parfumeurs un peu plus libres et qu’on ne leur impose pas de poser une tête de praline sur leurs créations, ils ont plein d’idées audacieuses. Faut-il encore trouver le brief pour les lancer.

Oui ! D’autant que je suis certaine que les marques pourraient avoir de grandes surprises à proposer des parfums qui se distinguent du « consensus pur sucre ». Regarde ton Wow ! de Joop !, il cartonne en Allemagne alors que ce n’est pas un masculin qui ressemble à tous les masculins qui sortent actuellement… Cette violette est super chic !
Christophe Raynaud :
Oui, il marche super bien, c’est un contre-exemple et ça montre qu’on peut y arriver. Que l’on s’adresse à un petit nombre de consommateurs ou au plus grand nombre, on doit pouvoir proposer des compositions originales.

Photographie Lili Barbery-Coulon

Il y a un parfum que tu aurais rêvé de créer ?
Christophe Raynaud :
Angel de Thierry Mugler. C’est le parfum que j’aurais rêvé faire ! Je le dis tout le temps à Olivier Cresp (NDLR : qui l’a signé en 1992) qui occupe le bureau en face du mien. C’est un des plus grands parfums qui existe.

C’est un parfum au succès incontestable qui a lancé la famille des gourmands. Ce qui est amusant c’est de voir qu’il paraît très peu sucré comparé aux parfums actuels qui contiennent beaucoup plus de cette molécule qui sent la barbe à papa ou la praline…
Christophe Raynaud :
Mais bien sûr ! Dans Angel, il y a pourcentage infime de praline. C’est surtout le patchouli qui caractérise cette formule. Aujourd’hui on en met tellement que le parfum cristallise. Notre limite est la cristallisation du parfum.

Ça cristalliserait vraiment ?
Christophe Raynaud :
Ça arrive tout le temps ! On met tellement de vanilline, de praline, d’éthyl-maltol, de poudres tellement puissantes pour obtenir de la diffusion ! Aujourd’hui, notre limite est la quantité de poudre. C’est un signe des temps.

Photographie Lili Barbery-Coulon: si vous me cherchez dans la photo encadrée à gauche, vous allez me trouver 🙂

En Inde, j’étais surprise de voir que tu te parfumais. C’est rare les nez qui se parfument. J’adorais cette senteur que tu portais et qui est finalement sortie chez Astier de Villatte sous le nom de Splash
Christophe Raynaud :
J’adore porter du parfum et je ne porte pas que ce que je crée. Je suis déjà acheté la Cologne Mugler, le parfum Dior Homme… Parmi les parfums qui m’ont le plus impressionné il y a Opium d’Yves Saint Laurent que Jean-Louis Sieuzac avait créé, mais aussi Fahrenheit de Dior pour la violette. Tous les grands classiques ! Je n’ai aucun complexe à admirer les autres, à leur trouver des qualités. Ça me fait jubiler. Je n’ai pas de jalousie, je me dis juste « mais quel bonheur d’avoir créé ça ! ». J’aurais adoré le faire mais c’est ce qui me fait avancer.

Je suis épatée par ton sens de l’organisation. Il y a des petits post-its hyper bien alignés sur ton bureau…
Christophe Raynaud :
Ici tout le monde se marre en voyant mes Post-it. J’indique la marque pour laquelle je travaille. Je note les essais et ce que j’ai fait. Lorsque je sens, je me remémore plus rapidement ce que j’avais à faire, ce que j’ai déjà fait. Parfois, je note un petit commentaire. Par exemple, sur celui-ci, j’ai écrit qu’il fallait un départ juteux, que je rende le floral plus dense, que j’augmente un peu l’addiction. J’ai mis les différents essais. Lorsque je sens mes essais, ça me permet de me remémorer très vite les choses. Je n’ai pas besoin de regarder dans mon ordinateur. Ça me fait gagner du temps. Et il faut toujours que ce soit aligné. Si c’est organisé, je m’en sors beaucoup mieux. C’est vraiment une façon de faire. Tu m’as demandé en arrivant si j’avais rangé mon bureau pour toi. Et bien non, il est toujours comme ça. Et chez moi c’est pareil, c’est toujours rangé. Ce n’est pas obsessionnel mais il faut que ce soit clair pour que je puisse m’y retrouver.

Photographies Lili Barbery-Coulon

En même temps, tu travailles en musique (NDLR : il y a tout le temps un fond musical dans son bureau), ce qui m’est impossible. Je suis une bordélique qui me soigne au silence ☺ Tu veux bien me parler des objets qui sont disposés sur ces étagères ?
Christophe Raynaud :
Il y a les parfums que j’ai signés, les photos des gens avec qui je travaille. Ce flacon a été créé pour les 100 ans de Puig, il y a deux ans. Ils ont ressorti l’Agua Lavanda qu’ils vaporisent d’ailleurs dans le hall de leur immeuble en Espagne. Ça sent très bon. Une senteur masculine qui avait été offerte aux invités présents à cette occasion. Regarde, il y a ici une photo de notre voyage en Inde. J’ai des bouquins sur des designers. Il y a aussi cette lettre d’Edmond Roudnitska (NDLR : le parfumeur qui a créé des dizaines de succès dont la célèbre Eau Sauvage de Christian Dior). Il était venu nous voir à l’Isipca et nous avait ensuite rédigé une lettre très motivante. Plusieurs paragraphes parlent de la nécessité de savoir se juger, de ne pas se laisser impressionner, de ne pas être non plus trop sûr de soi, de toujours se remettre en question. Il parle beaucoup de sport. C’est une métaphore. « Soyez sportifs assidument » disait-il. J’en ai pris bonne note et faire du sport me soulage. Je fais beaucoup de vélo, de natation et de ski nautique car j’ai toujours été convaincu que l’endurance était nécessaire en parfumerie… C’est très long de développer un parfum !

Photographies Lili Barbery-Coulon

Propos recueillis par Lili Barbery-Coulon et retranscrits par Géraldine Couvreur.